10 juillet 2024 à 17h15
Mis à jour le 10 juillet 2024 à 19h15
Durée de lecture : 4 minutes
Le tribunal administratif de Poitiers vient de mettre les mégabassines du Poitou au régime sec. Mardi 9 juillet, les juges ont annulé l’autorisation unique pluriannuelle de prélèvement (AUPP), délivrée fin 2021 par les préfets. Résultat : les volumes pouvant être prélevés, jugés « excessifs » par le tribunal, doivent être revus à la baisse. Les préfets, favorables aux mégabassines, n’ont donc plus le dernier mot. La décision intervient à dix jours d’une importante manifestation contre ces immenses réserves accusées d’accaparer l’eau.
La loi sur l’eau impose en effet une réduction régulière des prélèvements, ce qui oblige à changer les pratiques agricoles. Mais on assiste à un subtil contournement des règles. En fixant des seuils très hauts, il est facile de procéder à des réductions…
La décision du tribunal calme sérieusement le jeu : l’Établissement public du Marais poitevin, organisme ayant autorité sur le bassin, dispose d’un mois pour proposer et publier un nouveau plan. Le tribunal a considéré que la création de mégabassines entraînait « une augmentation nette des prélèvements annuels, alors que les nouveaux prélèvements hivernaux servant au remplissage de ces réserves de substitution doivent normalement être compensés par une diminution des prélèvements estivaux ». Il s’agira donc de proposer un plan qui prenne en compte cette évidence : puiser davantage dans les nappes l’hiver, d’accord, mais à condition de moins puiser l’été (ce qu’on appelle le « principe de substitution »). En attendant, le tribunal accorde une autorisation de prélèvement provisoire de 67,6 millions de m3, contre 87 millions de m3 dans l’AUPP qui vient d’être déclarée illégale.
La Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres, structure gestionnaire du projet des mégabassines, dénonce « une décision incompréhensible et incohérente ». « Elle constitue un très mauvais message envoyé à toute la profession agricole. Elle fragilise le principe même de gestion collective de l’eau », assure dans un communiqué de presse Thierry Boudaud, le président de la Coop. « Nous constatons une contradiction totale avec les précédents jugements où nous avions pu nous exprimer. »
Pourtant, cette décision n’est pas la première. En 2019, déjà, le même tribunal administratif avait jugé la même autorisation excessive. Trois ans avaient été donnés pour calmer les pompages. Trois ans d’irrigation excessive gagnée en jouant sur les délais d’instruction du dossier.
Le tribunal demande « d’arrêter de tricher avec la loi sur l’eau »
« La décision du juge administratif est cohérente : il demande d’arrêter de tricher avec la loi sur l’eau, analyse Marie Bomare, juriste pour Nature environnement 17 qui a porté l’affaire en justice. La décision d’une juridiction administrative de se substituer aux préfectures dans le respect de la loi sur l’eau est inédite. Et ce qui l’est aussi, c’est que le juge s’appuie ici sur une base scientifique. » À ce jour, la science comme la loi ne vont guère dans le sens des bassines, des réserves couvrant 10 hectares en moyenne, recouvertes de bâches plastifiées, dans un territoire déjà asséché par des cultures agricoles intensives.
Côté scientifique, les études de référence qui remontent aux années 2000 à 2007 vont bientôt être actualisées par des analyses poussées, dîtes Hydrologie-Milieux-Usages-Climat (HMUC), intégrant notamment les effets du changement climatique. Les premières données ont conclu à l’impossibilité d’irriguer certains mois pour respecter les débits biologiques des cours d’eau. De quoi compromettre tout futur projet de bassine voire le remplissage de celles déjà prévues.
Côté réglementaire, l’application effective du « principe de substitution » pourrait provoquer des conflits d’usage entre les agriculteurs eux-mêmes. Pas sûr que les irrigants non raccordés continuent de soutenir le projet de mégabassines si le remplissage des retenues d’eau en hiver les prive du droit d’arroser leurs cultures en été.
L’État devrait faire appel via le cabinet du ministère de la Transition écologique. Mais la décision du tribunal administratif étant exécutoire, c’est-à-dire applicable immédiatement, ce recours n’empêchera pas la mise au régime sec du système bassine. D’autres recours du même ordre ont été portés par Nature environnement 17 au tribunal administratif et sont en attente de jugement.