« Le principal péril était bien sûr la menace de l’extrême droite à Matignon, dit Geoffrey Tarroux au bout du fil. Toutefois, la victoire du Front populaire [aux élections législatives] signe aussi pour nous le début d’un nouveau chapitre. » Chez le porte-parole du collectif La Voie est libre, comme dans grand nombre de chaumières jouxtant le tracé de l’autoroute A69, la soirée électorale du 7 juillet a été vécue comme une bouffée d’espoir.
La nouvelle force politique dominant l’Assemblée nationale est une alliée résolue des opposants à ce mégachantier entre Toulouse et Castres. Mieux ! Dans son programme, elle promet l’adoption « immédiatement de 20 actes de rupture », dès ses 15 premiers jours aux manettes de l’État. Parmi eux, figure la volonté de décréter un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières.
« L’accord établi est simple : balayer l’ensemble de ces projets pour déterminer s’ils remplissent, ou non, l’argument de la nécessité absolue », détaille Christine Arrighi, députée fraîchement réélue dans la neuvième circonscription de la Haute-Garonne. La plupart datant des années 1990, l’alliance de gauche désire les revisiter un à un à l’aune des connaissances actuelles sur le changement climatique. Une proposition bien loin d’être « extravagante », assure l’écologiste. En 2023, Clément Beaune, alors ministre des Transports, avait d’ailleurs promis un tel décret… finalement maintes et maintes fois ajourné : « Encore une parole non tenue », tacle Christine Arrighi.
Persuadé que le Nouveau Front populaire (NFP) tiendra, lui, ses promesses, le collectif La Voie est libre projette déjà l’abandon de l’A69 : « Honnêtement, nous sommes vraiment confiants, poursuit Geoffrey Tarroux. Le vrai sujet est plutôt de savoir si Macron s’assoira sur la démocratie en ne respectant pas le choix des urnes [en ne choisissant pas un Premier ministre issu du NFP], au risque d’embraser la France. »
Carole Delga, contre vents et marées
De « vrai sujet », il y en a un autre. Défenseure indéfectible de l’autoroute, la présidente socialiste de la région Carole Delga a elle-même soutenu le programme du NFP au cours de la campagne, appelant à « agir en responsabilité et être à la hauteur de l’Histoire ». Un appui inespéré, auquel le climatologue Christophe Cassou a aussitôt réagi — avec un brin railleur — sur le réseau social X : « Merci Mme Delga de faire passer l’intérêt de la République avant tout. Le moratoire de l’A69 n’a pas dû être facile. Cet accord vous honore d’autant plus. »
Seulement voilà ! Contacté par Reporterre, l’entourage de la présidente d’Occitanie précise désormais son propos : « Le moratoire inscrit dans le programme porte sur les projets. Or, on ne peut plus vraiment parler de projet au sujet de l’A69, tant le chantier a avancé. Alors non, elle n’est pas concernée par le moratoire. » Le concessionnaire de l’autoroute, pouvant difficilement rêver meilleure opportunité, se délecte du positionnement de l’élue : « Nous ne sommes pas inquiets. Comme l’a dit Carole Delga, l’A69 est déjà au stade de chantier. Nous sommes tous à pied d’œuvre pour rester dans les clous du calendrier fixé, et mettre l’autoroute en service d’ici fin 2025. »
« Il y a des intérêts personnels qui m’échappent »
Forte de la parole donnée par Olivier Faure en faveur d’un moratoire, le président du Parti socialiste (PS), Christine Arrighi sourit : « L’A69 est évidemment concernée. Même si Atosca [le concessionnaire] refuse de l’admettre, le chantier a pris du retard. Les terres arables menacées n’ont pas encore été endommagées. Il est encore temps de tout arrêter. » Aux yeux de Geoffrey Tarroux, le comportement de la présidente d’Occitanie est « hallucinant » : « Pourquoi ce silence sur toutes les inégalités du chantier ? Pourquoi être prête à sacrifier une alliance nationale pour défendre ce projet ? Il y a là-dessous des intérêts personnels qui m’échappent. »
Un macroniste aux commandes
Par ailleurs, Carole Delga n’est pas la seule élue à freiner ces velléités d’abandonner l’A69. Dans la troisième circonscription du Tarn, le député Renaissance Jean Terlier a conservé son siège. Un succès sur le fil (50,99 % des voix), face au candidat LR–RN Guilhem Carayon (49,01 %) : « Il aura beau s’en vanter, il doit cette victoire au front républicain, tranche Geoffrey Tarroux. Sa crédibilité est disqualifiée, et sa voix n’aura plus la même portée à l’Assemblée. »
Hauts perchés dans les arbres des zad, ou épluchant la paperasse en quête de failles, les militants anti-A69 semblent plus déterminés que jamais à entraver le projet. De nouvelles plaintes au pénal devraient ainsi être déposées dans une poignée de jours. Quant à l’ultime bataille juridique — un recours en annulation concernant l’autorisation environnementale —, celle-ci risque de se jouer entre octobre et décembre.
Un œil braqué sur les péripéties électrisant la campagne tarnaise, la porte-parole de La Déroute des routes, Anna Tubiana, appelle toutefois à ne pas oublier les autres luttes : « S’il voit le jour, le moratoire du NFP serait une formidable avancée. Toutefois, il doit être plus ambitieux. » Parmi la soixantaine d’affaires défendues par le collectif, seules sept concernent des autoroutes : « Elles sont les quelques arbres cachant la forêt. Ce moratoire doit absolument inclure les grands projets du réseau secondaire, comme les contournements et les périphériques. »
Contre les mégabassines, l’espoir renaît
De moratoire, il sera également question au Village de l’eau : une mobilisation festive organisée du 16 au 21 juillet à Melle, dans le Poitou, par les opposants aux projets de mégabassines. La victoire électorale du Nouveau Front populaire, dont le programme prévoit également un moratoire sur tous les projets de mégabassines, a donc été accueillie avec enthousiasme par les militants.
« L’espoir renaît. Le consensus au sein du NFP sur le moratoire nous réjouit. Mais cela doit aller au-delà de la gauche : que chaque élu se pose la question de la pertinence des mégabassines. De nombreux scientifiques ne cessent de prévenir qu’elles sont une maladaptation au changement climatique. Et la justice vient de remettre en cause la pertinence des bassines en annulant les autorisations de prélèvements d’eau dans le Marais poitevin, jugés excessifs. Tous les élus attachés à l’État de droit, y compris au centre, devraient être favorables à un moratoire », appuie Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci, qui coorganise le Village de l’eau.
Convaincre au-delà de la gauche pourrait en effet être un enjeu crucial, en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale. « L’objectif est d’appliquer tout notre programme sans concession, et d’amener des députés au-delà du NFP sur l’idée de moratoire », confirme Benoît Biteau, député écologiste nouvellement élu au sein du NFP. Parmi l’alliance de gauche, le moratoire fait en tout cas consensus, « pour les socialistes comme pour les autres », précise le député, écartant l’idée d’éventuelles tensions sur le sujet au sein de l’alliance, à l’instar de celles qui menacent à propos de l’A69.
Si le NFP est amené à gouverner, l’Assemblée ne serait toutefois pas forcément un obstacle. « Seul ce qui a été fait par la loi doit être défait par la loi. Ce n’est pas le cas des mégabassines », rappelle la députée écologiste Lisa Belluco.
Un moratoire serait donc applicable librement par un gouvernement de gauche, même minoritaire à l’Assemblée. Dans son programme, le NFP prévoit la mise en place de celui-ci dans les quinze premiers jours de son arrivée au pouvoir. « Il va falloir aller très vite, car la situation sera instable. L’extrême droite et les macronistes nous mettront évidemment des bâtons dans les roues. On avancera par décret dès que possible », prévoit Martine Billard, en charge des luttes écologistes pour La France insoumise.
Un 3e tour social, en attendant le NFP
Les militants, eux, ne comptent pas attendre sagement le dénouement de la bataille politique. « La désobéissance civile sert à alerter la société civile. Et la pression de cette dernière est indispensable pour permettre aux gouvernements d’appliquer leurs projets et de résister aux pressions des industriels. Sans les Faucheurs volontaires [des opposants aux OGM], on n’aurait pas gagné le combat contre les OGM », souligne Camille, qui sera présente au Village de l’eau au sein d’Extinction Rebellion pour maintenir la pression.
« Le Village de l’eau, c’est un peu la première étape du “troisième tour social” de l’élection. Le NFP doit être à l’écoute de toutes les forces vives présentes ici. Y compris au-delà de l’Assemblée. La gauche est présente dans de nombreuses collectivités locales, le consensus sur le moratoire doit s’y exprimer : aucun denier public ne doit aller aux mégabassines », insiste Julien Le Guet.
« La victoire du NFP est une très bonne chose, mais le moratoire n’est qu’une étape, dit également Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre. L’objectif à terme, c’est l’abandon définitif de tous ces projets. » Reste un préalable indispensable à toutes ces étapes : que les élections législatives débouchent sur la formation d’un gouvernement du Nouveau Front populaire. Ce qui, à ce jour, est encore loin d’être acquis.