• sam. Sep 21st, 2024

ils préfèrent la forêt au cimetière


Muttersholtz (Bas-Rhin), reportage

Au milieu de l’ail des ours, on aurait presque pu les louper. Douze plaques funéraires entourent un chêne qui se dresse majestueusement. Autour, se mélangent pêle-mêle érables, noisetiers, acacias, et hêtres. À leurs pieds, des urnes funéraires. C’est ici, dans le petit village alsacien de Muttersholtz, que la première forêt sanctuaire est née en janvier 2023.

Près du chêne, de la terre encore fraîche a été retournée. « C’est la sixième mise en terre ce mois-ci », explique Luc Dettwyler, l’adjoint au maire. Si une rose a été posée à l’occasion, la commune n’accepte pas les ornements en dehors des cérémonies. « C’est un non-entretien volontaire. Le but est que ça reste sauvage », confie Patrick Barbier, maire de Muttersholtz. Depuis l’inauguration, il y a un an, la municipalité a reçu des demandes de la France entière, « souvent des jeunes gens qui étaient proches de la nature ».

Ce mode funéraire est en effet plus écologique. Les cendres des personnes qui y reposent ont rejeté 233 kg d’équivalent CO2 dans l’atmosphère lors de la crémation, bien loin des plus de 1 200 kg engendrés par un enterrement traditionnel — il faut alors compter l’entretien des espaces où sont les sépultures, la construction d’un caveau, la pose d’un monument et le cercueil en bois. Les forêts funéraires, elles, permettent aussi à cette partie de la forêt et la biodiversité qu’elle abrite d’être désormais protégées de l’exploitation forestière.

« Un cimetière classique, c’est la société de consommation jusqu’à la mort »

Pour une concession de trente ans, il faut débourser entre 400 et 800 euros, soit le même prix qu’une concession traditionnelle. « On ne veut pas que ce choix soit économique », explique Patrick Barbier. C’est pourtant l’option la moins onéreuse, puisqu’elle n’implique pas l’installation d’un monument funéraire, qui coûte jusqu’à 10 000 euros. « Un cimetière classique, c’est la société de consommation jusqu’à la mort », résume Patrick Barbier.

Caroline Laemmel, ancienne employée dans des pompes funèbres classiques, dénonce elle aussi un business de la mort peu respectueux de l’environnement : « La grande majorité des monuments viennent de Chine ou d’Inde. On ne sait pas si c’est produit de manière éthique et on ne connaît pas le bilan carbone. » Elle souhaite être inhumée dans une forêt sanctuaire, symbole d’une nouvelle façon d’appréhender la mort : « Cela relie les hommes et les arbres. L’arbre va protéger le défunt tandis que le défunt protège l’arbre. » La présence des plaques funéraires interdit effectivement toute coupe d’arbre.

La clairière d’accueil de la forêt sanctuaire de Muttersholtz où se tiennent les cérémonies.
© Fanny Lardillier / Reporterre

Isabelle Caulay cherche aussi ce lien particulier avec la nature. Après la mort de sa mère, elle a réalisé que le modèle des cimetières ne lui correspondait pas. Au même moment, elle s’est rendu compte « à quel point le contact des arbres pouvait être apaisant », nous explique-t-elle par téléphone. Avec Didier, son mari, ils ont visité la forêt de Muttersholtz et choisi le hêtre sous lequel ils souhaitent être inhumés. « On s’est dit qu’on allait choisir un arbre qui allait grandir, qui serait prêt à nous accueillir dans 20 ou 30 ans. C’est une façon de prendre soin de nous au-delà de la mort. »

Préserver les forêts

Si ce couple va pouvoir confier ses cendres à la forêt, c’est un peu grâce à Denise Heilbronn, présidente de l’association Au-delà des racines, fondée en 2017. Son but ? Trouver les communes prêtes à se lancer dans le concept et leur offrir un accompagnement. Pour ce faire, elle a tourné son regard vers l’Allemagne, où cette idée est née il y a plus de vingt ans. « Depuis 1999, ils mettent en place des processus en plus de protection de la faune et de la flore, à la suite d’une loi qui les contraint à garder des zones naturelles », explique Denise Heilbronn.

Si l’outre-Rhin est précurseur en la matière, il ne s’agit pas de simplement transposer ce nouveau type de cimetière en France. Il faut également l’adapter à la législation de notre pays, où payer la dispersion de cendres dans l’espace public est interdit. Il a donc fallu contourner ce problème, en enfermant les cendres dans des urnes non biodégradables, mais en matière naturelle, pour que les cendres ne se dispersent pas dans la terre. Afin de concrétiser ce projet, la commune a dépensé 50 000 euros et bataillé juridiquement autour de ce concept, interdit par aucun texte de loi.

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Marie-Ange Humm, secrétaire de l’association, salue la première étape d’un cercle vertueux : « Aujourd’hui, beaucoup d’arbres qui deviennent adultes sont abattus au moment où ils commencent à capter du carbone. C’est la garantie de les préserver. » Reste à convaincre une majorité de cimetières classiques de se lancer dans cette pratique, pour que les répercussions soient réelles.

De ce processus, découle en effet la perspective d’une forêt plus équilibrée, avec tous les avantages que cela engendre : filtration de l’air, de l’eau, piège de carbone. Et surtout, dans un futur proche, « ce sont ces forêts périurbaines qui permettront de faire baisser la température en ville », avance Denise Heilbronn. Un argument de poids au vu du dernier rapport du Giec : le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a évalué que la hausse des températures atteindra au moins 2,8 °C d’ici à la fin du siècle, dans le meilleur des scénarios.

Une 3e forêt sanctuaire en France

Face à ces prédictions cauchemardesques, la naissance d’une troisième forêt sanctuaire à Sommerau, toujours en Alsace, ne semble pas peser bien lourd. Pourtant, il s’agit pour le maire, Bruno Lorentz, d’ajouter une pierre à l’édifice et de répondre à la « demande sociétale d’un retour vers la naturalité ».

Bruno Lorentz, le maire de Sommerau, sur le chantier de la future forêt sanctuaire.
© Clara Lainé / Reporterre

Le cimetière sera inauguré en septembre 2024, après un an de travail. Plusieurs aspects logistiques restent à régler, comme la mise en place de blocs de pierre pour en faire notamment des bancs et ainsi accueillir les cérémonies. La mairie a également dû s’entretenir avec les chasseurs pour qu’il ne puissent plus entrer sur cette zone. « Une tronçonneuse [comme les fusils des chasseurs] à quelques mètres d’un enterrement d’urne, ce ne sera pas possible ! » sourit, pragmatique, le maire. Tout sera mis en place pour offrir aux promeneurs un moment de recueillement.

Avec l’organisation de trois visites mensuelles de forêts sanctuaires en Allemagne et en France, l’association Au-delà des racines compte bien démocratiser le concept. « Lors de la dernière visite il y avait 60 personnes, surtout des élus », se réjouit Denise Heilbronn. Avant d’ajouter, convaincue : « C’est un rêve universel de mourir au pied d’un arbre. »



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