• ven. Sep 20th, 2024

au Tchad, des réfugiés humanitaires et bientôt climatiques


Adré et Metché (Tchad), reportage

Le soleil écrase tout au creux de cette rivière asséchée dont les courbes dessinent la frontière entre le Tchad et le Soudan. Au poste frontalier d’Adré, il n’y a point d’ombre à l’horizon, seuls les vestiges d’un pont inachevé offrent un peu de répit à ceux qui passent par là. En-dessous, deux militaires scrutent les allées et venues des camions de marchandises, au milieu desquels de frêles carrioles tirées par des ânes se frayent un chemin pour déposer les nombreuses personnes qui fuient la guerre civile soudanaise.

Mohamed Hassan Abdallah vient d’arriver tôt ce matin de juin, avec quelques membres de sa famille depuis la ville de Kreinik, à environ 80 kilomètres à l’est. Soulagé d’être arrivé, l’homme de 50 ans, vêtu d’un long vêtement blanc, n’en revient pas de ce qu’il a vécu. « Tous les gens se font tuer, même les enfants », dit-il, racontant les combats meurtriers qui ravagent son pays. Mais après un an de guerre, c’est le manque de nourriture qui l’a poussé à fuir avec ses proches. « Nous sommes venus sans rien, tu te rends compte ? Nous n’avons ni vêtements, ni eau, ni nourriture. Le thé, le sucre, le riz… Là-bas, chez nous, il ne reste plus rien. »

Le drame soudanais se joue en plusieurs actes. D’abord, la lutte de pouvoir entre le général Abdel Fattah Al-Burhan, à la tête de l’armée régulière, et le général Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », commandant des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), a plongé le pays dans un affrontement armé généralisé depuis le 15 avril 2023. Puis la crise humanitaire s’est creusée et près de la moitié de la population fait face aujourd’hui à « une insécurité alimentaire aiguë », selon les Nations unies.

Plus de 160 000 personnes vivent dans le camp de transit d’Adré, au Tchad.
© Nissim Gasteli / Reporterre

La guerre, la faim puis la soif, ont contraint 12 millions de personnes à fuir leur foyer et plus de 2 millions d’entre elles ont franchi les frontières des pays voisins, estime l’Organisation internationale pour les migrations, dont plus de 600 000 personnes vers le Tchad. Le Tchad, l’un des pays les plus pauvres au monde, est aussi le plus vulnérable aux changements climatiques, selon le classement de l’Initiative mondiale pour l’adaptation de l’Université Notre-Dame, ce qui renforce la grave crise d’insécurité alimentaire à laquelle sa population est confrontée.

Une réfugiée soudanaise pendant la procédure d’enregistrement dans le camp de transit d’Adré.
© Nissim Gasteli / Reporterre

Au camp de transit d’Adré, à quelques encablures de la frontière, un gigantesque dédale d’abris de fortune s’étend à perte de vue. Devant une tente, frappée du logo du Programme alimentaire mondiale (PAM), des femmes, enveloppées dans des habits de couleur attendent sous la chaleur que leur nom soit appelé pour récupérer du sorgho, des haricots, un peu d’huile et du sel. Les rations ont été réduites de 20 % dans toute la région environnante du Ouaddaï, après avoir frôlé l’arrêt complet des distributions, faute de financements, précise l’officière chargée d’urgence du PAM au Tchad, Vanessa Boi. L’ONG Médecins sans frontières (MSF) « nous a dit avoir constaté l’impact direct sur la malnutrition, avec davantage de personnes venant à leur hôpital », se désole-t-elle.

L’eau, « notre plus gros problème »

À une trentaine de kilomètres à l’ouest, Metché, lieu-dit de quelques centaines d’habitants, compte désormais quelque 50 000 nouveaux résidents avec le camp de réfugiés, l’un des cinq sites construits depuis le début de la guerre par le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies et les autorités locales pour désengorger.

Mais en plus du manque de nourriture, l’eau n’y coule que de manière irrégulière. Cette journée de juin, la file d’attente s’allonge, bidon après bidon, devant le robinet de l’un des points de distribution. De toutes les formes et de toutes les couleurs, ils sont déposés là par les femmes du camp. Certaines patientent depuis plus d’une heure. « C’est notre plus gros problème, s’agace l’une d’entre elles. En plus, l’eau est de mauvaise qualité et elle cause des problèmes aux enfants ! »

La scène se répète chaque jour, la faute à l’inadéquation entre les besoins et l’approvisionnement. Le contraste est saisissant : d’un côté, le paysage rouge et aride battu par le vent qui s’étend à perte de vue rappelle inexorablement la rareté de l’eau ; de l’autre, les innombrables toits en tôle des abris reflètent les puissants rayons du soleil. À l’origine, il était prévu de doubler la capacité du camp. Le HCR et ses partenaires locaux comptaient sur les forages souterrains pour assurer l’approvisionnement en eau. Mais les sondages n’ont rien donné, le camp dépend désormais des livraisons par camion et tout projet d’extension a donc été abandonné.

« Nous luttons au quotidien pour l’eau », se désole Salwa Małek Adam, 27 ans, l’une des représentantes de la communauté locale, assise à l’un des cafés au marché du camp. Le manque d’eau — mais aussi de combustible comme le bois — poussent de nombreuses femmes à s’aventurer à l’extérieur du camp pour s’approvisionner. « Lorsqu’elles sortent, elles se font souvent frapper, harceler et parfois même violer », rapporte Mme Adam, citant quelques cas à l’appui.

À Metché, près de 50 000 personnes ont été relocalisées depuis la frontière et installées dans des abris préfabriqués.
© Nissim Gasteli / Reporterre

La rareté des ressources crée des tensions entre les réfugiés et les locaux. En marge du camp, près du village originel de Metché, quelques habitants sont assis sur une natte à l’ombre d’un arbre. « Chez nous, nous n’avons pas d’eau, explique une femme d’une quarantaine d’années. Nous sommes obligés d’aller creuser dans le sol de la rivière asséchée » qui court non loin.

Si elle se félicite de l’arrivée des réfugiés, grâce auxquels « le marché s’est agrandi et il y a plus de services comme la santé et les écoles », un homme assis plus loin, dirigeant de la communauté locale, dresse un constat différent. Il affirme que les réfugiés viennent aussi puiser dans la rivière et regrette de ne plus pouvoir cultiver son champ sur lesquels ces derniers ont été installés : les terres arables sont de plus en plus réduites et dégradées à cause de l’érosion et de la sécheresse. Avant qu’il n’ait le temps d’en dire plus, la pluie déchire le ciel qui s’était assombri et force tout le monde à fuir vers des abris.

Khamis Mohamed Khamis, 14 ans, a perdu sa jambe dans une explosion, au milieu des combats qui ont déchiré sa ville, El Geneina, capitale du Darfour occidental, au début de la guerre.
© Nissim Gasteli / Reporterre

« Une crise oubliée »

Début juin, la saison humide débute dans la bande sahélienne. Metché est prêt : les abris préfabriqués ont été pensés pour protéger de la pluie bien que ses habitants restent menacés par les événements climatiques extrêmes. À cause du règlement climatique, ils se sont multipliés, alternant entre des « pluies abondantes » et des épisodes de « sécheresse », avec pour risque majeur les inondations, constate Abdel Hakim Tahir, directeur de l’Agence de développement économique et social, une des principales ONG tchadiennes. « Comme les réfugiés vivent dans des abris de fortune qui ne résistent pas forcément aux pluies torrentielles, ils sont extrêmement vulnérables. »

« Nous avons tout perdu, toutes nos propriétés, tous nos biens. Ici, nous mourrons doucement sous la chaleur. Notre futur est très sombre », prédit un avocat et activiste soudanais qui préfère rester anonyme.
© Nissim Gasteli / Reporterre

À Adré, environ 160 000 personnes vivent dans des conditions extrêmement précaires. Les oueds asséchés qui zèbrent la carte de la région menacent de déborder à cause des pluies torrentielles. Les autorités veulent accélérer leur relocalisation. « Ce qui nous manque, ce sont les moyens, regrette le préfet de la vaste région d’Adré, Mohamed Issa. Avec, tout est possible, mais ils ne peuvent pas venir du gouvernement tchadien, ils doivent venir de tous. Au niveau des bailleurs, le Soudan est une crise oubliée », dans l’ombre des guerres « en Ukraine et à Gaza ».

La conférence de Paris en avril dernier a obtenu des promesses de 2 milliards d’euros de dons, mais sur le terrain, « on n’en voit pas encore la couleur », grince une humanitaire. Il manque encore 81 % du budget au plan de réponse d’urgence préparé par l’ONU alors que le siège, par les FSR, d’El Fasher, dernière ville du Darfour aux mains de l’armée régulière soudanaise où vivent près de 2 millions de personnes, fait craindre une nouvelle grande vague d’exode. Au milieu de l’immensité désertique, l’avenir des exilés semble bien incertain. À la merci des éléments, les aléas de la météo les transformeront peut-être bientôt en réfugiés climatiques.



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