• ven. Sep 20th, 2024

De nos jardins, nous pouvons aussi combattre l’extrême droite


Notre journaliste Marie Astier a un grand potager, chez elle, dans les Cévennes. Dans cette chronique, elle livre astuces et réflexions parce que jardiner… c’est politique.




Ce jeune pêcher, on le surveillait depuis quelque temps déjà. Il est le premier à donner, sur toute la série de variétés que nous avons plantées. Elles nous promettent des pêches de juin à septembre, toute une continuité de délices au cours de l’été. Pendant des jours, des semaines même, nous jetons des coups d’œil régulièrement. Les premiers fruits sont presque prêts, on les goûte, on se délecte, on se pourlèche par avance de l’arrivée des suivants. Puis je suis partie quelques jours rejoindre la rédaction parisienne. Et à mon retour, il n’y avait plus que des pêches pourries.

Le jardinage est ainsi fait, de moments de patience infinie, d’attente, d’observation, puis d’accélération. Il faut agir, maintenant ou jamais. Récolter vos kilos de légumes et fruits mûrs, vite en profiter, les transformer, les conserver avant qu’ils ne soient plus bons que pour le compost.

Le jardinage est ainsi fait, de moments de patience infinie, d’attente, d’observation, puis d’accélération.
© Marie Astier / Reporterre

Ces dernières semaines, c’est un peu le même sentiment que j’éprouve côté politique. Depuis que j’habite dans mon village cévenol, j’observe les voix se diriger vers le RN. Je me suis toujours dit qu’il faudrait que je trouve comment lutter contre cela. Et que j’avais le temps. Puis, à l’annonce de la dissolution par Macron, il a fallu courir pour éviter que tout ne pourrisse. On a sauvé une partie de la récolte, certes, écarté le pire. Mais on le sait, on ne pourra réitérer ainsi à chaque élection.

Aller à l’affrontement n’est pas la solution

Jusqu’ici, j’avais repoussé le moment d’agir, car aller à l’affrontement ne me semble pas être la solution. Tenir des discours féroces et clivants est possible quand on est loin de l’adversaire. Pas quand c’est le voisin avec lequel vous partagez un territoire – échangez des plants de courgettes et organisez la fête de l’école – pendant encore de longues années. C’est la militante des quartiers populaires Fatima Ouassak qui me l’a appris.

Je ne me vois pas tracter au marché ou organiser une réunion publique contre l’extrême droite. J’aurais même peur – probablement à tort – d’ouvrir la boîte de Pandore et de provoquer des conflits. Car je sais que dans chaque association qui fait vivre le village, il y a de tout : des gens de gauche, du Rassemblement national, des abstentionnistes, des qui ne savent pas comment définir ce qu’ils pensent, un peu de droite… Et puis, pour agir de la sorte, il me manque aussi un collectif. Je suis dans les associations du village, mais pas dans les réseaux militants locaux, qui ne viennent d’ailleurs quasiment jamais jusque chez nous.

Je me prends donc à rêver que le jardin soit un moyen de diffuser l’émancipation, de contrebalancer l’extrême droite. D’opposer à son récit d’individualisme et d’exclusion des possibilités réelles de partage et de vivre ensemble. De montrer par le bas que son discours est sans issue.

« Je me prends à rêver que le jardin soit un moyen de diffuser l’émancipation »

Il y a quelques années, j’ai partagé mes graines et initié la première bourse aux plants, qui a lieu désormais chaque année. Autant d’échanges non monétaires pour renforcer nos liens, promouvoir des semences libres, valoriser des variétés paysannes.

Une épicerie participative vient de se créer. Avec l’idée d’offrir des produits alimentaires de qualité à moindre coût, grâce à des commandes groupées. Avec elle, on prévoit déjà à l’automne une récolte et une transformation collective du surplus de nos pommiers, dont on n’arrive jamais à valoriser toute la généreuse production. Tout cela incite à la subsistance, au collectif, au partage. Mais je constate que c’est insuffisant. Qui, parmi les enthousiastes de ces activités, fait le lien avec les projets de société proposés par les différents partis politiques ? Voit que ces activités n’ont plus de sens si on décide d’en exclure certaines personnes ?

Ici, dans cette terre rurale à la population peu diplômée, le concret vient avant les idées. Le lien est si peu fait. Comme dans tant d’autres domaines de l’écologie, il me faut donc repolitiser mon jardin et les partages qu’il suscite.

« Certaines pratiques permettent d’accéder à une radicalité politique. Faire un potager peut nous amener à accepter d’entendre les critiques du système de production alimentaire, du capitalisme, de l’agrobusiness, etc. Parce que ce discours ne nous attaque pas dans notre façon de vivre », me confiait la jardinière Bertille Darragon en mai dernier.

Je pourrais rappeler que la prodigalité de nos potagers est due à un patient métissage. Les aubergines sont arrivées d’Asie. Les melons d’Afrique. Le persil était méditerranéen avant de parsemer le jambon et les escargots bourguignons. Les tomates, reines du potager d’été, viennent d’Amérique. De même que les courges, les pommes de terre ou les haricots. Autant d’ingrédients indispensables à nos fiertés culinaires nationales telles que le cassoulet ou la purée. La ratatouille, elle, est le fruit de l’alliance entre deux continents.

Une logique contraire à l’essence d’un jardin vivant

Petits cultivateurs du monde, nous avons aussi une communauté de ressentis. Nous faisons les mêmes gestes, craignons les mêmes aléas climatiques. C’est une évidence que fermer nos frontières, rejeter l’ailleurs, c’est refuser des savoirs et des plantes qui sont l’avenir de nos jardins.

C’est aussi une logique qui m’apparaît contraire à l’essence même d’un jardin vivant. Si mon jeune pêcher a tant donné, si vite, c’est qu’il vient de chez un pépiniériste qui cultive la diversité. Grâce à d’infinies précautions prises pour préserver son sol, à ses haies, à ses efforts pour accueillir le vivant sur ses terrains, c’est toute une communauté bactérienne et fongique qui habite les racines de ses plants. Une altérité qui les renforce.

Brahim en session arrosage aux jardins des Vertus à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Nous devons reconstruire un discours à opposer au RN dans des milieux où il n’y a plus que sa parole qui circule, explique le sociologue Félicien Faury. Dans nos colonnes, l’écrivaine féministe Juliette Rousseau nous invite à « se rappeler que le pouvoir se fabrique d’abord par le bas, là où les gens vivent. Les associations de parents d’élèves, les clubs de sport, la défense des services publics, la fermeture des classes… Il faut investir ces espaces avec une vision antiraciste. »

Parmi ces espaces figurent nos communautés d’échanges potagers. Alors, partons des gestes et ressentis partagés des jardiniers, pour proposer l’accueil et le métissage plutôt que la xénophobie.



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