• ven. Sep 20th, 2024

À l’Inrae, des chercheurs refusent de se mettre « au service du modèle agricole d’avant »


L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), principal institut français de recherche agricole, est-il irrémédiablement dévoué à l’agriculture productiviste ? C’est ce que craint un collectif de 27 personnels de l’Inrae — techniciens, chercheurs, femmes et hommes, travaillant tant du côté des sciences sociales que de la biologie. Fait rare, ils ont décidé de contester la politique de leur institut, qui « échoue visiblement à transformer le système agricole en bout de course ».

Ils l’écrivent dans une lettre commune de candidature collective à la présidence de l’Inrae. L’institut doit renouveler le mandat de son PDG, qui arrive à échéance en octobre prochain. Leur initiative est soutenue par le mouvement Scientifiques en rébellion et l’association Sciences citoyennes.

Cette candidature a été refusée sur un point juridique, car la présidence de l’institut ne peut être collective, leur a expliqué la présidente du comité de sélection. Reste qu’ils continuent de défendre une réorientation des politiques de l’Inrae, afin qu’il se consacre vraiment à la transition agroécologique. Simon Fellous, directeur de recherches à l’Inrae, nous explique ce qui a poussé cette prise de position collective inédite.



Reporterre — Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’une candidature collective ?

Simon Fellous — On est régulièrement interpellés par la gestion de notre institut. On pense que l’un de ses rôles est de défendre le consensus scientifique et les productions des équipes de recherche, et qu’il ne le fait pas.

Un exemple assez récent est celui de l’indice de calcul des phytos [indice servant à calculer l’utilisation des pesticides en France]. Le gouvernement a remplacé l’indice de calcul historique — qui était validé scientifiquement de façon interdisciplinaire — par un autre indice totalement décrié par la communauté scientifique, qui permet de dire que l’usage des phytos baisse, même si ce n’est pas le cas.

Le PDG de l’Inrae aurait dû aller dans les médias pour dire : « Mais attendez, c’est n’importe quoi ! Ce n’est pas du tout ce que produisent nos études scientifiques. » Mais il n’a rien fait. Pour nous, c’est le c’est le rôle de la direction d’un institut de recherche de défendre les savoirs.

« Si la science est bien faite, il n’y a pas besoin de faire un mea culpa »

Quand la recherche elle-même ou des scientifiques sont attaqués par des intérêts privés, la direction de notre institut a tendance à courber l’échine. On l’a vu encore une fois juste avant le Salon de l’agriculture. Dans un tweet à l’occasion de la Saint-Valentin, une étude qui pointait la nécessité de baisser notre consommation de viande était mise en valeur. Parce que des syndicats agricoles [FNSEA et Jeunes agriculteurs d’Île-De-France] ont protesté, l’Inrae a enlevé le tweet en faisant un mea culpa. Mais si la science est bien faite, il n’y a pas besoin de faire un mea culpa.

Il peut y avoir controverse, on peut écouter les éléments tangibles et circonstanciés à mettre en face, mais pas plier face à un lobby ou aux politiques. Ces intimidations peuvent attaquer des gens ad hominem. C’est la responsabilité de notre institut que de que de se positionner et de défendre ces personnes-là ou ces travaux-là.


Votre collectif conteste la politique du « en même temps » de l’Inrae, qu’est-ce que cela signifie ?

Notre institut produit des prospectives, des synthèses, des expertises collectives, par exemple, sur comment décarboner l’agriculture ou pour une agriculture zéro phyto. Cela donne des directions. Mais derrière, ce n’est pas transformé en politique de recherche. En pratique, l’institut fait des recherches sur l’agroécologie, mais aussi sur l’agriculture numérique, les OGM améliorés, etc. On nourrit encore le système agro-industriel qui a montré qu’il n’était pas soutenable.

L’Inrae ne choisit pas, n’assume pas les résultats de ses travaux qui pointent tous vers les mêmes modèles agricoles pour le futur. Ce faisant, il se met plutôt au service du modèle agricole d’avant, très technophile et extractiviste. Cela ne résout ni les questions de souveraineté alimentaire, ni les questions de soutenabilité environnementale, ni les questions de justice sociale en termes de rémunération des agriculteurs ou d’accès à une alimentation de qualité.


L’actuel PDG, Philippe Mauguin, pourrait bien rempiler pour un troisième mandat. Il est ingénieur agronome, haut fonctionnaire, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll. Pourquoi son profil ne vous convient pas ?

L’intention de notre action n’est pas du tout de l’attaquer. Simplement, son parcours montre qu’il vient du côté politique, il n’est pas issu de la recherche. Il ne va pas se positionner en défenseur des savoirs scientifiques, les définir comme un contre-pouvoir comme la presse ou la justice peuvent l’être.

« Repolitiser nos activités de recherche »

En quoi cette candidature collective sert aussi à toucher vos collègues ?

L’idée de la candidature collective, c’est aussi de repolitiser nos activités de recherche. Dans les laboratoires, les gens sont très dépolitisés et font une énorme distinction entre leur recherche personnelle et comment fonctionne le monde. On est tellement occupés à aller chercher des financements, ou dans des contraintes de ressources humaines, qu’on est toujours un peu en difficulté pour mener nos recherches. On n’a pas forcément le contexte, le temps ou l’envie de questionner le système.

Personnellement, j’ai travaillé de nombreuses années sur les questions de biocontrôle — donc l’idée qu’on va trouver des alternatives aux produits phytosanitaires. Mais je ne me rendais pas compte que je travaillais sur le concept français de biocontrôle, inventé par le gouvernement Fillon au tout début des années 2010, qui consistait à remplacer les phytos par une technologie alternative sans refonte des systèmes agricoles. Avec les collègues, on nourrissait l’ancien système alors qu’on croyait participer à la transition agroécologique.


Quelle autre gestion de l’Inrae souhaiteriez-vous ?

Un institut comme le nôtre, c’est une grosse machine avec un poids hiérarchique assez fort. Nous aimerions promouvoir une gestion par les pairs et ascendante, de bas en haut, afin que tous les personnels puissent participer à la réflexion et à l’orientation de notre Institut.


Vous et les autres collègues qui portent cette candidature collective avez affiché vos identités, communiquez autour de cette candidature. Risquez-vous des conséquences liées à cette prise de position ?

C’est difficile à dire, mais il y a un moment où il faut assumer ses engagements. Nous sommes 27 personnels dans cette candidature collective. D’autres personnes s’étaient manifestées mais nous étions pris par le calendrier. Et beaucoup de gens ne se sont pas engagés parce qu’ils avaient peur d’un positionnement public sur ces thèmes-là.

Contacté, l’Inrae n’a pas encore été en mesure de nous répondre. Nous ajouterons la réponse dès qu’elle nous parviendra.



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