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Ces poissons qu’Anne Hidalgo a pu croiser dans la Seine


Paris, reportage

Sur le quai désert, le calme n’est troublé que par le clapotis de l’eau. Les premiers rayons du soleil se reflètent sur les eaux grises de la Seine qui semble encore endormie. D’un côté se dresse le chantier de la cathédrale Notre-Dame, de l’autre l’Hôtel de Ville. Sur l’île Saint-Louis, pas de voiture ni de touriste, seuls quelques joggeurs au loin. C’est le moment que choisit Hubert Nicanor pour faire le « coup du matin ». « Les poissons sont plus actifs au lever et au coucher du soleil que pendant le reste de la journée », explique le Parisien de 39 ans, membre de l’Union des pêcheurs de Paris. Autrement dit, s’il veut attraper du poisson, c’est maintenant, il est déjà 7 heures en cette matinée de mi-juillet.

Si depuis l’annonce des épreuves de nage en eau libre dans la Seine pour les Jeux olympiques (JO) de Paris, la pollution du fleuve a été maintes fois pointée du doigt, un aspect essentiel n’est presque jamais mentionné : sa biodiversité. « La Seine est un endroit très poissonneux, y compris en plein Paris. Il y a des perches, brochets, sandres, silures… On dénombre une trentaine d’espèces, c’est l’endroit de la capitale qui recense le plus de biodiversité », affirme Hubert Nicanor.

Sentinelle de la rivière, depuis l’âge de 15 ans le pêcheur et hydrobiologiste inspecte les eaux du fleuve au moins deux fois par semaine lors de ses parties de « street fishing », ou pêche urbaine, pendant la saison du carnassier, entre avril et décembre.

Hubert Nicanor pêche au moins deux fois par semaine dans la Seine, entre avril et décembre.
© Mathieu Génon / Reporterre

Alors que d’habitude le trentenaire aux cheveux bruns est certain de faire au moins un poisson à chaque sortie, ce matin, en regardant l’eau, il est plutôt pessimiste. « À cause des pluies de cet hiver et du printemps, le niveau de la Seine est très haut : 1 m 75 au lieu de 1 mètre. Les pluies ont aussi rafraîchi la température, donc les poissons se nourrissent et se déplacent moins, je sens qu’on va avoir du mal à trouver des perches. » Depuis mai, il n’en est qu’à trois perches attrapées contre une cinquantaine les années précédentes.

Plusieurs milliers de brochets

Une fois le leurre choisit pour la proie recherchée, il monte sa tresse pour accrocher l’hameçon. Le petit poisson en plastique sert d’appât pour les carnassiers. Après quelques lancers sans faire une touche, Hubert Nicanor marche plusieurs mètres et relance sa canne dans les profondeurs. Il pêche selon le principe du « no kill », le poisson est relâché sitôt la prise immortalisée en photo. « De toute façon, on n’a pas le droit de consommer les poissons de la Seine, ils sont pollués aux PCB », dit le Parisien. Ces polluants organiques persistants issus de l’industrie se déposent dans le fond du fleuve et sont ensuite ingérés par toute la chaîne alimentaire.

Les poissons ont beau être pollués, ils sont de plus en plus nombreux dans la Seine à Paris. S’il est difficile de connaître leur nombre précis, « on a une bonne connaissance du milieu en fonction de ce que l’on attrape ». Les membres de l’Union des pêcheurs de Paris organisent aussi chaque année plusieurs opérations de rempoissonnement. Ainsi, « les brochets sont plusieurs milliers, leur nombre a explosé en quelques années ». Pour quelles raisons ? « La crue de 2016 a complètement changé l’eau du canal Saint-Martin, beaucoup d’herbiers s’y sont développés et les brochets adorent ça. Le canal étant connecté à la Seine, les brochets sont arrivés jusqu’ici. »

Les espèces dans la Seine se sont multipliées, passant de six au début des années 1990 à 36 aujourd’hui.
© Mathieu Génon / Reporterre

Autre exemple avec les sandres : « La Seine est l’un des meilleurs endroits pour pêcher ce carnassier, certains mesurent jusqu’à 1 mètre, la population se porte très bien », ajoute le pêcheur. Il n’est désormais pas rare de croiser des goujons, petit poisson habitué des ruisseaux montagne, et le chabot, une espèce protégée dont le mâle garde les œufs.

Parallèlement à la hausse du nombre de poissons, les espèces se sont multipliées, passant de six au début des années 1990 à 36 aujourd’hui. Par exemple, « l’aspe a fait son apparition à Paris il y a trois-quatre ans. Ce poisson de la même famille que les carpes est un très bon indicateur de la qualité de l’eau », ajoute Hubert. Le saumon ne fait pas non plus exception : un spécimen de plus de 4 kilos a été pêché en 2012 sous le pont de Puteaux.

À cause des pluies de cet hiver et du printemps, le niveau de la Seine est très haut et les prises sont moins nombreuses cette année.
© Mathieu Génon / Reporterre

Tandis que les cloches de l’église Saint-Gervais sonnent 8 heures, toujours aucune touche. Pendant ce temps, la ville se réveille : les éboueurs ramassent les bouteilles et autres déchets abandonnés par les fêtards la veille, les ouvriers installent en face les gradins pour la cérémonie d’ouverture et les péniches commencent leur bal. De quoi déranger les poissons ? « Ils y sont habitués, toutes les espèces restent dans le secteur, il n’y a pas vraiment de migrateur », répond l’hydrobiologiste.

« Si on prend la peine de bien regarder, la nature n’est pas si loin »

L’amélioration ne concerne pas seulement les poissons, elle gagne le reste de la faune et de la flore. Par exemple, les potamots, plantes aquatiques qui servent d’abri à de nombreuses espèces, sont de plus en plus visibles sur les bords de Seine. « On en voit beaucoup sous le Pont-Neuf, c’est aussi un bon indicateur de la qualité de l’eau », précise Hubert Nicanor. Il y a aussi les herbiers et les mousses, eux aussi très importants, « car c’est là que viennent se fixer les œufs des poissons ». À cet instant, il coince son leurre dans un vélo jeté à l’eau. Après quelques gestes précis, il parvient à l’en dégager.

À quelques mètres de là, une bergeronnette des ruisseaux, petit oiseau au plumage jaune et gris, s’envole. Mouettes, sternes, cormorans… Les oiseaux de la Seine se portent également très bien. « Le matin de bonne heure, je vois de temps en temps un martin-pêcheur au niveau de la place de La Concorde, poursuit Hubert Nicanor. On a beau être en plein Paris, si on prend la peine de bien regarder, la nature n’est pas si loin. »

Le pêcheur est adepte du principe du « no kill » : le poisson est relâché sitôt la prise immortalisée en photo.
© Mathieu Génon / Reporterre

Tandis que deux femmes passent à côté d’Hubert Nicanor, l’une d’elles s’exclame : « On peut nager et manger les poissons de la Seine c’est une nouvelle vie ! » suivi d’un rire moqueur. Le pêcheur a l’habitude des railleries. « Il y a une telle méconnaissance, à chaque fois que je viens pêcher les passants m’arrêtent pour me demander s’il y a vraiment des poissons dans la Seine. La seconde question est toujours la même : est-ce que je les mange », raconte-t-il.

Et lorsqu’il en attrape un « c’est le festival, un attroupement se crée autour de moi, les gens n’en reviennent pas ». Le pêcheur regrette cette ignorance : « À part quelques panneaux explicatifs au niveau du pont de l’Alma, il n’y a aucune information sur les poissons le long de la Seine, c’est dommage. »

Alors que l’heure tourne et que les chances d’attraper un poisson se font de plus en plus minces, l’hydrobiologiste sent enfin une touche au bout de sa canne. Il ferre d’un geste précis et remonte progressivement une perche à l’aide de son moulinet. Le poisson au dos vert-bronze et ventre blanc frétille au bout de la ligne. Avant de le décrocher et de le remettre à l’eau avec délicatesse, il jauge sa taille : environ 26 centimètres. L’honneur sauf, il peut maintenant rentrer. Surtout que l’eau est anormalement agitée : plusieurs bateaux de la brigade fluviale défilent à toute vitesse.

En face, un peu plus loin, un groupement d’une centaine de personnes se forme. S’il y a tant de monde, c’est pour voir la maire de Paris Anne Hidalgo se baigner dans le fleuve. Après des années de travail, la Seine est enfin assez propre pour s’y baigner.




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