• mer. Sep 18th, 2024

Comment les militants écolos veulent combattre l’extrême droite


Melle (Deux-Sèvres), reportage

« On a tous pris une baffe, mais cet électrochoc nous permet de changer de stratégie », a lancé Victor Vauquois, cofondateur de l’association Terres de luttes. Au Village de l’eau, rassemblement dans les Deux-Sèvres consacré au combat contre les mégabassines, les ateliers, tables rondes et assemblées organisées sous des chapiteaux se penchent, aussi, sur la montée de l’extrême droite.

Sur les gradins du « Chap Libellule », quelques dizaines de personnes étaient réunies mardi 16 au matin pour lancer les « Territoires en résistance » — qui recense notamment les « événements populaires partout pour se retrouver et pour faire front » contre le Rassemblement national. Victor Vauquois, qui a introduit l’atelier, a vite dressé un « constat d’échec et d’humilité ». Vu ses scores, ce qu’ont fait les luttes locales écologistes pour contrer la montée de l’extrême droite jusqu’ici n’a visiblement pas suffi.

Le Village de l’eau se tient du 16 au 21 juillet à Melle, non loin de Sainte-Soline.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

Pendant quatre jours, sous un soleil ardant, les milliers de participants qui investissent le Village de l’eau, installé sur des terrains municipaux à Melle, à quelques kilomètres de Sainte-Soline, ont eu l’occasion de réfléchir à comment organiser, concrètement, la résistance à la flambée xénophobe.

Des discussions, animées, sont ressorties plusieurs pistes : briser l’entre-soi militant, construire des réseaux paysans de lutte et combattre l’empire Bolloré.

Recréer du lien

Les participants à l’atelier se répartissent en groupes par régions. Un joyeux brouhaha envahit le chapiteau : « Les Bretons, où êtes-vous ? Par ici l’Occitanie ! Le centre par là ! Oh les Normands ! » Une fois les discussions engagées, un constat s’impose : le sentiment d’abandon et d’isolement des habitants dans la ruralité.

Pour y remédier, Nathalie, habitante de l’Hérault, propose d’explorer la piste de créer des lieux de rencontre, non étiquetés comme militants. Chargée de programme dans une fondation qui finance les luttes écologistes, elle inaugure bientôt un café associatif, « Le Bar à tof ». Dans sa commune de 380 habitants, 107 personnes ont voté à gauche au premier tour des législatives, et 105 pour le Rassemblement national. Des résultats qui traduisent selon elle une « fracture entre “néo” et “ruraux” ». « Pour recréer du lien, on veut que ce soit le café de tout le monde, même si on ne partage pas les mêmes idées politiques », résume Nathalie.

Devant les scènes, les slogans antifascistes scandés en chœur résonnent.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

Côté Grand Est, Joël, militant contre le projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure (Meuse) présente l’exemple de son local à Commercy, « Là qu’on vive ». Il porte l’idée de « briser l’entre-soi militant », et faire de ces lieux une « occasion de discussions informelles pour faire bouger les lignes ». Ces efforts d’intégration n’ont pas empêché plus de 40 % de vote RN aux européennes puis aux législatives dans sa commune. « C’est un travail de longue haleine, mais c’est en continuant de se parler qu’on changera l’image que certains ont de nous à cause de ce qu’ils voient sur CNews », conclut Joël.

« Bolloré participe grandement à la fascisation de la société »

À l’autre bout du village, sous le « Chap Outarde », c’est une autre initiative antifasciste qui se lance. Celle pour « Désarmer Bolloré », le milliardaire français propriétaire de plusieurs médias, dont le groupe Canal + (CNews, C8, Canal+, CStar), Europe 1, RFM ou le Journal du dimanche. La campagne d’actions a été annoncée par plus de 150 organisations, dont Les Soulèvements de la Terre, Extinction Rebellion, Action antifasciste, Attac ou Survie. « En plus de participer aux ravages écologiques et d’être un acteur néocolonial, Bolloré participe grandement à la fascisation de la société, à travers ses médias qui ont mené une campagne pour l’extrême droite pendant les élections », introduit une animatrice.

Un site est déjà en ligne, reste à définir les modalités d’actions pour démarrer la campagne à la rentrée. Une carte des sites liés au groupe Bolloré doit être alimentée pour identifier les cibles : dépôts pétroliers, agences de son entreprise de communication Havas, usines de production de batteries électriques…

« C’est en continuant de se parler qu’on changera l’image que certains ont de nous à cause de ce qu’ils voient sur CNews », dit Joël.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

Former un réseau de « fermes en résistance »

À l’extérieur du chapiteau, le village prend vie, entre les chapiteaux, les bottes de paille et les stands d’Extinction Rebellion, Attac, Greenpeace, CGT, Ligue des droits de l’Homme… couverts de livres, posters et pin’s.

Dans une salle de la mairie, prêtée pour l’occasion, les Associations pour le développement de l’emploi agricole et rural (Adear) organisent un « slow dating » entre porteurs de projets et paysans en recherche de repreneurs ou d’associés. Ortie, 35 ans, propose d’ouvrir un lieu de vie collectif sur le plateau des Millevaches, dans le sud de la Creuse, avec une dizaine d’hectares en polyculture élevage. « Le climat est hostile, mais je cherche des camarades pour en faire un lieu politisé », explique le membre des Naturalistes des Terres.

Dans ce territoire souvent dépeint dans les médias comme « investi par l’ultragauche », le Rassemblement national a réalisé des scores de plus de 30 % aux élections législatives. Dans la première circonscription de la Creuse, au sud du département, c’est même un candidat Les Républicains – Rassemblement national qui a été élu. Pas de quoi décourager Ortie, qui compte bien « militer en cultivant et revenir à une solidarité paysanne même si on est des opposants politiques », défend Ortie.

L’installation en paysannerie comme outil de lutte contre l’extrême droite, Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération Paysanne, y croit. Sur la commune d’Auzat en Ariège, où elle élève ses lamas, 128 des 409 votants ont opté pour le Rassemblement national. « Chaque ferme doit devenir un espace de résistance et de refuge, mais aussi une alternative qui présente des façons de produire, de gagner notre vie et nourrir nos concitoyens autrement », défend la paysanne.

« Chaque ferme doit devenir un espace de résistance et de refuge », estime Laurence Marandola.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

À l’entrée du village, le foule s’amasse aux cris de « la jeunesse emmerde le front national ». Des centaines de personnes investissent la mairie pour assister à l’Assemblée générale des mouvements sociaux et environnementaux pour « s’organiser face à l’offensive néofasciste ». Au micro, Marius, membre du comité local des Soulèvements de la Terre de Marseille, suggère de multiplier les « comités de quartier antifascistes ». Dans la cité phocéenne, les militants écologistes se sont alliés aux collectifs antifascistes (l’Antifa Social Club, la Riposte Antifasciste et Marseille vs Darmanin) pour « se retrouver, se former et se rendre visibles dans l’espace public ».

« Tout est bon à prendre pour combattre ce poison de l’extrême droite »

« Tout est bon à prendre pour combattre ce poison de l’extrême droite », réagit Hervé Auguin, codélégué de Solidaires dans les Deux-Sèvres. Son syndicat a été à l’initiative de la création d’un collectif départemental de résistance contre l’extrême droite, baptisé « Cred », dans l’entre-deux-tours des législatives, alors que des candidats du Rassemblement national s’étaient qualifiés au premier tour. Le collectif intersyndical réunissant la CGT, la FSU et Solidaires, souhaite désormais accueillir d’autres organisations comme la Ligue des droits de l’Homme, Bassines non merci, Migr’action 79 et Nous toutes.

Jeudi 18 juillet au soir, à la veille de la première manifestation contre les bassines, Hervé Auguin a pris la parole devant un immense parterre de participantes et participants sur la scène du Village de l’eau. « L’extrême droite est une imposture sociale et porte un projet écocidaire », clame le syndicaliste, reçu par les « Siamo tutti antifascisti ! » [1]



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