• sam. Sep 21st, 2024

À la rencontre de la pie-grièche, écorcheuse de nos campagnes


Reporterre a imaginé un calendrier révolutionnaire et écologique, pour symboliser un changement d’ère. Noms des mois, noms des jours et éphémérides sont réinventés pour célébrer les écosystèmes et celles et ceux qui les défendent. Le mois de juillet a été rebaptisé pie-grièche, un oiseau étonnant à la réputation… écorchée.


Elle a une réputation exécrable, ce qui donne sacrément envie de mieux la connaître. La pie-grièche fait partie de la famille des Laniidae, qui regroupe 32 espèces que l’on retrouve en Europe, en Asie et en Afrique. La plus répandue en France est la pie-grièche écorcheuse. Elle est facilement repérable par son plumage blanc rosé et brun roux sur le dos et, surtout, par sa tête grise cerclée d’un bandeau noir qui lui donne des airs de bandit de grand chemin. Même un neuneu de l’ornithologie saurait la reconnaître.

Mais pour cela, il faut sortir de la ville et arpenter la campagne. Svelte, harmonieuse dans son vol, la pie-grièche est la patronne des paysages semi-ouverts ponctués d’arbres et de haies denses, mais aussi des prairies de fauche, des plaines ouvertes aux lisières des bois. Elle évolue dans des territoires délimités par des perchoirs élevés d’où elle scrute l’environnement à l’affût de proies potentielles.

Elle niche dans des haies et des zones broussailleuses mais pas avec n’importe quel arbre, s’il vous plait : elle en pince pour les prunelliers, les aubépines et les églantiers, bref tout ce qui pique… car elle aime que son gîte abrite aussi son couvert.

La particularité de cet oiseau est qu’il stocke ses proies sur des épines ou branches pointues, constituant ainsi un véritable garde-manger. Ici, une femelle, au plumage moins contrasté.
Pierre Dalous / CC BYSA 3.0 Deed / Wikimedia Commons

Ce qui caractérise cet oiseau, c’est sa façon de remplir un garde-manger impressionnant qui lui confère la réputation de boucher des prairies ! En latin, son nom est Lanius collurio. Or Lanius désigne le vendeur de viande placé devant son étalage à crochets, mais aussi le sacrificateur ou le bourreau. Pourquoi un tel nom pour un si bel oiseau ? En référence à son talent d’amasseuse de proies. Insectivore, voire carnivore, la pie-grièche raffole de gros insectes, de lombrics, d’amphibiens ou de petits reptiles.

Les plus hardies n’hésitent pas à se confronter à des petits mammifères comme les campagnols ou même des petits passereaux. Une fois capturées, leurs proies finissent invariablement transpercées par une épine ou une branche pointue, voire plantées sur les fils barbelés de nos campagnes. Ces zones de stockage, appelées lardoirs, sont disséminées sur l’ensemble de son territoire.

« Avec de bons écorcheurs, les femelles et les petits s’en sortent toujours mieux »

Cet empalement n’est pas un simple artifice sadique qui la ferait jouir de l’agonie de ses victimes, c’est sa façon à elle d’immobiliser ses proies trop grosses pour être gobées avant de les dépecer, mais aussi de confectionner son garde-manger pour les périodes les plus rudes. Avec un soupçon de lyrisme, on se dit qu’elle symbolise la complexité des écosystèmes, mais aussi le rôle crucial joué par chaque espèce dans le grand théâtre de la nature.

Non, la pie-grièche n’est pas un cruel bourreau des airs, elle est aussi précautionneuse et méthodique que la fourmi de La Fontaine… « Ce sont souvent les mâles qui écorchent pendant la nidification, explique Maxime Zucca, naturaliste et ornithologue chevronné. La femelle, elle, a moins le temps de chasser. Et avec de bons écorcheurs, les femelles et les petits s’en sortent toujours mieux en fin de saison. » Après quinze jours de couvade et quinze jours de becquées, les petits sont prêts à s’envoler.

Elle dispose d’un bec un peu particulier dont la mandibule supérieure est légèrement crochue. « C’est un rapace en miniature, poursuit Zucca, et c’est un très bon indicateur de l’état des milieux. Si elle est là, c’est qu’elle trouve de quoi se nourrir. Sa présence est toujours très bon signe. » Ainsi, nous ne la verrons pas survoler les grandes cultures du bassin parisien, vidées des proies dont elle raffole : celles qui vivent en France naviguent rarement au nord d’une ligne Nantes-Charleville Mézières.

Cependant, c’est une « espèce parapluie » [1] : tout travail de conservation mené en sa faveur devrait avoir des retombées positives pour l’ensemble de la biodiversité de nos zones rurales.

Un oiseau à la cervelle bien faite

Son chant est discret, mais complexe. La pie-grièche enchaine trilles, sifflements et gazouillis en ayant la capacité d’imiter d’autres oiseaux, signe d’une grande intelligence et d’un sacré pouvoir d’adaptation. « Elle fait partie de la famille des corvidés — les branches se sont séparées il y a 23 millions d’années —, elle a un cerveau très développé et elle peut faire preuve d’innovations très marquées. On a vu des cas d’écorcheurs capables de tirer la peau entière d’un crapaud avec le bec. »

C’est une migratrice qui file en Afrique dès les premiers frimas de l’automne. Et elle a une sacrée endurance. En 2016, les routes migratoires de neuf pies-grièches écorcheurs scandinaves ont pu être établies par des chercheurs : les oiseaux parcourent en moyenne 22 000 kilomètres aller-retour et passent en moyenne quatre mois et demi sur leur site d’hivernage (Botswana, Namibie ou Angola).

En couplant un accéléromètre à son géolocalisateur, les chercheurs ont espionné sa migration dans les moindres détails : on a découvert que « sa longue migration lui impose la bagatelle de 67 nuits de vol dans l’année », écrit Maxime Zucca dans son livre La migration des oiseaux : comprendre les voyageurs du ciel (éditions Sud ouest). « Sans savoir qu’elle était surveillée de si près, notre pie-grièche a quitté le Danemark le 4 août et volé huit nuits consécutives jusqu’au 11 août, faisant des vols assez brefs de quatre heures par nuit en moyenne. »

« Elle a ensuite passé un mois en Grèce, continue-t-il, au cours duquel elle n’a effectué qu’un bref vol migratoire nocturne de 4 h 30. La deuxième période de migration a eu lieu entre le 8 et le 16 septembre : elle a traversé la Méditerranée et le Sahara en six vols nocturnes entrecoupés par une halte de trois jours, vraisemblablement dans une oasis. »

Inutile cependant d’aller si loin pour la voir : « Fin août et début septembre, on peut l’apercevoir lors de ses haltes migratoires à Paris, au parc de la Villette ou au jardin des plantes », précise le naturaliste. Elle revient chaque année dans le même territoire, et si la chance le permet avec le même partenaire. « Ce sont des couples soudés, fidèles d’une année sur l’autre ».

La menace de l’agriculture intensive

Auparavant communes dans nos paysages pastoraux, les pie-grièches sont désormais de plus en plus rares. Dans la liste rouge des oiseaux de France métropolitaine réalisée selon les critères UICN, la pie-grièche écorcheur est classée en catégorie « quasi menacée », c’est-à-dire qu’elle est proche du seuil des espèces menacées ou qui pourrait être menacée « si des mesures de conservation spécifiques n’étaient pas prises ». Comme bon nombre d’oiseaux communs, elle n’est pas en très bonne forme. En cause : tout ce qui contribue à la destruction de leur habitat et à la diminution de leurs ressources alimentaires. Forte de 100 000 à 200 000 couples en France selon la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), la population recule au fil de l’extension de grandes monocultures.

« Avec l’arrachage des haies, le recours aux pesticides et aux insecticides, sa population régresse un peu partout en France », explique Zucca. Évidemment, les pratiques agricoles sont en ligne de mire (suppression de haies, cultures intensives, déprises de certaines parcelles, traitements phytosanitaires, drainage…). Les pies-grièches craignent aussi l’artificialisation toujours croissante de nos territoires qui fragmente les milieux qui leur sont propices.

« Pour tenter de les sauvegarder, il n’y a pas de secret, il faut soutenir les pratiques agricoles extensives et respectueuses de la biodiversité », explique-t-on à la LPO. « Il est nécessaire de maintenir la qualité des paysages de nos campagnes en y conservant le bocage, les prairies riches en fleurs et les zones humides. » Un grand programme de sensibilisation des agriculteurs est actuellement déployé dans le Massif central où nichent 85 % des effectifs de pies-grièches grises. Des programmes de replantation de haies se multiplient aussi en France.



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