• sam. Sep 21st, 2024

une manifestation mouvementée contre les mégabassines


Vivonne et Migné-Auxances (Vienne), reportage

Il faut faire preuve de patience pour manifester contre les mégabassines. Supporter les incessants contrôles policiers, les fouilles au corps, les confiscations d’objets personnels aussi innocents que des bouchons d’oreilles, des piquets de tente ou des masques chirurgicaux. Subir les menaces proférées par les autorités, comme le futur ex-ministre Gérald Darmanin qui a dit redouter « des actes d’une très grande violence » lors des mobilisations.

Il faut également surmonter sa peur de l’arsenal déployé : 3 000 gendarmes et policiers, vingt-et-une unités de forces mobiles, cinq hélicoptères et une dizaine de drones. Le douloureux souvenir de Sainte-Soline, où de nombreux manifestants avaient été gravement blessés en mars 2023, reste dans toutes les mémoires.

Malgré tout, plusieurs milliers de personnes se sont réunies à Melle (Deux-Sèvres) pour réaffirmer leur opposition aux projets de mégabassines et surtout, appuyer la demande de moratoire promise par le Nouveau Front populaire.

Entre 5000 et 6000 personnes étaient présentes lors de la manifestation contre les mégabassines. Elles dénoncent un accaparement de l’eau par l’agro-industrie.
© Pierre-Yves Lerayer

Après trois jours de conférences et de débats au Village de l’eau, les participants étaient invités à participer à un pique-nique dans la forêt de Saint-Sauvant. C’est dans cette commune que devrait être construite la prochaine nouvelle mégabassine en septembre.

Trois points de rendez-vous avaient été donnés : Poitiers, Saint-Maixent-L’École, et Vivonne. Pour les rejoindre, les militants comme les journalistes ont subi une succession de contrôles policiers, allant de la simple photo de la pièce d’identité à la fouille méticuleuse du véhicule ainsi que des fouilles au corps. « Ils m’ont pris mes bouchons d’oreille car ils nous ont dit que c’était du matériel de protection. Et que cela les empêchait de bien travailler car nous, on n’entendrait plus le bruit des grenades de désencerclement », raconte Alexa [*], une jeune militante à Vivonne.

« Mauvaise réputation » et « sentiment d’étouffement »

Avec son amie Néo [*], elles sont venues des Pays-de-la-Loire. C’est la première fois qu’elles manifestent contre les mégabassines. Depuis 9 heures du matin, elles patientent avec une cinquantaine d’autres personnes sur le parking du Super U de Vivonne, à l’ombre des panneaux photovoltaïques. « Le patron du supermarché est venu nous voir, il n’était pas content qu’on soit là. Il a dit qu’on avait mauvaise réputation et voulait voir si on n’allait pas abîmer son parking », poursuit la jeune femme.

Quelques minutes plus tard, quelques policiers arrivent. L’un d’eux s’adresse au groupe : « Si vous allez pique-niquer à Saint-Sauvant, sachez que la manifestation est interdite », prévient-il. Personne ne lui répond. Tous attendent les consignes des organisateurs pour savoir de quel côté se diriger afin de commencer la manifestation. Alexandre [*] fait partie du groupe. Il vit à Champagné-Saint-Hilaire et participe à la lutte contre les mégabassines depuis cinq ans : « Ce dispositif policier est symbolique et politique. Il génère un sentiment d’étouffement. Avec tous ces checkpoints, on a l’impression d’être dans un pays en guerre ».

© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

À 10 heures, la consigne arrive enfin : les militants sont invités à se rendre au nord de Poitiers, dans la ville de Migné-Auxances. Chacun dégaine son portable, ouvre l’application Waze afin de trouver le chemin optimal qui évitera les contrôles policiers.

Dolorès [*] déplie sa carte IGN sur le capot de sa voiture. Elle vient de Charente avec plusieurs amis et se mobilise depuis des années contre les bassines. Elle est membre des Amis de la Confédération paysanne. Le syndicat paysan est présent sur le Village de l’eau, mais n’a pas appelé à participer à la manifestation. Un retrait qui laisse un goût amer à Dolorès. « Je suis dégoûtée. Ils appellent à un moratoire et après ils ne viennent pas aux manifestations. C’est comme les partis politiques, ils ne sont pas là. Du coup, les flics se lâchent », peste cette fille et petite-fille de paysan.

Parmi les nombreux drapeaux flottant dans les airs, aucun syndicat ni parti politique. La Confédération paysanne n’a pas participé à cette mobilisation.
© Pierre-Yves Lerayer

Mille détours

Avec ses amis, ils vont rouler plus d’une heure trente en faisant mille détours afin d’éviter les contrôles. D’ordinaire, la route ne prendrait que 30 minutes. Ils arrivent sur le parking d’un autre supermarché : le Netto, du village de Migné-Auxances. D’autres voitures de manifestants sont déjà garées. Leurs passagers prennent le frais sur une bordure d’herbe pour éviter le soleil brûlant : il fait près de 30 °C. « Venez ici, la dame du supermarché veut bien remplir nos gourdes », s’exclame un militant.

Beaucoup laissent leur voiture et partent à pied rejoindre le lieu dit Pré-Sec, situé à trois kilomètres. Un peu de confusion et de lassitude pointe derrière leurs lunettes de soleil. Certains se demandent pourquoi se rendre au beau milieu d’un grand champ, à des dizaines de kilomètres de la cible initiale. Des agacements vite oubliés une fois arrivé au bord de l’Auxance, la rivière locale. Beaucoup ne résistent pas à l’appel de l’eau fraîche et plongent faire quelques brasses. « C’est comme Anne Hidalgo dans la Seine », rigole un militant.

« On est en slip dans la rivière alors que les flics vont arriver en armure face à nous », dit Brocoli pour montrer ces deux mondes qui s’affrontent.
© Laury-Anne Cholez / Reporterre

Brocoli [*] vient juste de se rhabiller, les cheveux noirs encore mouillés. Elle vient de Nancy en compagnie d’une délégation des Soulèvements de la Terre 54. « L’objectif, c’est de montrer qu’il y a du monde et que malgré la répression, ils n’arrivent pas à nous arrêter. On est en slip dans la rivière alors que les flics vont arriver en armure face à nous. J’espère que cela restera tranquille pour bien montrer que le but de ces mobilisations, c’est de montrer notre désaccord dans la joie. Car la guerre de l’eau est devenue une guerre des images », explique-t-elle.

La foule commence à affluer dans le champ qui avait accueilli le convoi de l’eau en 2023. Certains font la sieste à l’ombre. D’autres chantent et dansent au son de la fanfare. L’ambiance est joyeuse malgré la fatigue de la journée. « Nous sommes entre 6 000 et 7 000 personnes à avoir fait preuve de détermination et de patience pour arriver jusqu’ici, scande au mégaphone l’une des organisatrices. Nous ne sommes pas contre les agriculteurs, mais contre les accapareurs de l’eau. Et nous voulons maintenant tenter un geste symbolique envers eux. » À quelques kilomètres de là se trouve le siège social de Cérience, un semencier français membre du groupe agro-industriel Terrena. Un site vers lequel se dirige le cortège, au bruit des hélicoptères qui survolent les têtes.

Un incendie s’est déclaré dans les champs de blé à cause des grenades lacrymogènes lancées par les gendarmes.
© Pierre-Yves Lerayer

Quelques kilomètres plus loin, une partie des militants bifurque dans un champ avant d’être arrêtés par des tirs de gaz lacrymogènes. Les grenades ont immédiatement embrasé des lignes de paille en train de sécher. Bernard, 82 ans, est l’exploitant des champs incendiés. Il est immédiatement venu sur place pour constater que ses deux parcelles de 10 et 14 hectares sont parties en fumée. « C’est désespérant. Ça a été moissonné hier soir. Toute la paille est perdue, non seulement celle qui a brûlé, mais aussi le reste parce que les animaux ne mangeront pas la paille qui a l’odeur de fumée », se lamente-t-il.

« Ça représente une perte d’environ six tonnes de paille l’hectare multiplié par 24 hectares. Avec une chaleur comme ça, c’est pas raisonnable d’envoyer quelque chose qui génère des étincelles. C’est une faute. C’est incompréhensible », se désole-t-il, en observant le ballet des camions de pompiers qui éteignent les flammes.

« Avec une chaleur comme ça, c’est pas raisonnable d’envoyer quelque chose qui génère des étincelles », se lamente Bernard dont plusieurs tonnes de paille sont parties en fumée.
© Léa Guedj / Reporterre

Que pense-t-il des bassines ? « On n’est plus du temps où il fallait arroser avec un arrosoir. Il n’y a qu’en irriguant que les exploitants s’en sortiront », dit-il, tout en étant conscient que ces retenues d’eau ne bénéficieront qu’à une minorité : « Il y a une bassine qui est prévue pas très loin, et il n’y aura que deux agriculteurs reliés. C’est pour les gros, les bassines ; les petits, ils peuvent crever. »

Avec les feux, beaucoup de manifestants rebroussent chemin et suivent la consigne des organisateurs : revenir à Melle afin de « se préserver pour la Rochelle ». Une autre mobilisation a lieu ce samedi 20 juillet dans le port maritime de la ville, second site exportateur de céréales en France. Il est considéré par les militants comme « le dernier maillon de la chaîne du système-bassines », comme l’a montré une enquête de Reporterre.



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *