• jeu. Sep 19th, 2024

Ainhoa Leiceaga, multimédaillée en surf et championne de l’écologie


Socoa (Pyrénées-Atlantiques), reportage

D’un œil affûté, les pieds dans le sable cuivré de la plage de Socoa, sur la Côte basque, Ainhoa Leiceaga balaie l’océan. Du doigt, elle pointe une balise en pierre caressée par l’onde, à une centaine de mètres du rivage. L’hiver, « quand il y a des tempêtes, il y a une vague qui déferle là-bas », décrit-elle. Un grand sourire fend son visage hâlé : « Je l’ai surfée. » Manque de chance, le jour de notre rencontre, pas le moindre remous ne cambre l’eau salée. Pour voir la championne bondir sur sa planche, foncer dans les creux et virer dans les embruns, il nous faudra revenir. Pour parler sport de haut-niveau et écologie, en revanche, on est au bon endroit.

Sacrée championne de France de surf en 2016, à 14 ans, la jeune Basque fait partie des meilleurs espoirs de sa discipline. Avant qu’elle se blesse au genou en effectuant une figure, en janvier dernier, et soit contrainte de faire une pause thérapeutique de six mois, elle occupait la quatrième place française et la treizième place européenne sur le prestigieux circuit QS européen de la World Surf League (WSL). Une crack, donc, dansant sur les flots comme d’autres respirent.

Ainhoa Leiceaga surfe depuis ses 9 ans. Ici sur la plage de Socoa (Pays basque), le 20 juillet 2024.
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Celle qui a passé les treize dernières années à surfer sur la vague sait aussi penser à contre-courant. Dans le milieu du surf professionnel, globalement « pas très engagé » sur l’écologie, l’athlète de 22 ans détonne. Certains de ses pairs chassent les rouleaux aux quatre coins de la planète, et nouent de juteux partenariats avec des marques de voiture ; elle tente – « sans être parfaite », insiste-t-elle – de mener sa discipline vers plus de sobriété.

Selon les calculs du surfeur Félix Morau, un surfeur français qualifié aux championnats du monde émet, par saison, 40 tonnes de CO2 dans l’atmosphère – soit quatre fois l’empreinte carbone moyenne annuelle d’un de ses concitoyens, et vingt fois celle compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Ces émissions démentielles sont dues, pour les trois quarts, à la dizaine de trajets en avion nécessaires pour rallier les sites de compétition, dispersés aux quatre coins de la planète par les organisateurs.

Elle refuse des compétitions trop lointaines

Cette année, Ainhoa Leiceaga a renoncé à participer à deux épreuves nationales de surf, organisées en Guadeloupe et à La Réunion, afin de ne pas exploser son bilan carbone. Une décision non sans conséquences : « Ça réduit mes chances d’avoir un bon classement, parce que si tu fais moins de compétitions, tu as moins le droit à l’erreur sur celles que tu fais, nous explique-t-elle depuis le jardin de sa maison familiale, à Urrugne, flanquée de montagnes verdoyantes où s’agrippent les nuages. Et puis ce sont des compétitions où le gagnant peut se faire de l’argent. »

Dans sa balance morale, ces éléments n’ont pas pesé bien lourd. « Si je ne fais pas ces compétitions, ça ne va pas complètement anéantir ma carrière sportive. Les enjeux n’étaient pas assez élevés pour que ça prenne le dessus sur mon engagement. »

Erosion du trait de côte, pollution plastique, détérioration de la qualité de l’eau… « Je suis tous les jours ramenée à cette réalité-là. Ça me fait un rappel pour continuer d’agir. »
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Comme la wingfoileuse Flora Artzner et l’utratrailer Xavier Thévenard, Ainhoa Leiceaga refuse de fermer les yeux sur les excès de leur discipline. Constatant l’influence des sponsors polluants, l’omniprésence de l’avion, l’effet des infrastructures sportives sur le sauvage, certains athlètes, comme le navigateur Stan Thuret, ont choisi de déserter ; Ainhoa Leiceaga veut encore y croire, et montrer qu’il est possible d’allier performance et écologie. « Sinon, je ne serais pas là. Je suis kasko [têtue, en basque], lâche-t-elle en riant. Je vais continuer la compèt’, en essayant de réduire le plus possible mon impact. »

Dont acte. Il est courant, pour un surfeur professionnel, d’aller plusieurs fois par an en Indonésie, en Polynésie ou en Australie afin de perfectionner sa technique. « En métropole, l’hiver, on a de grosses combinaisons, il fait très froid, donc c’est difficile d’aller surfer plusieurs fois par jour, explique la surfeuse basque. Et puis, en France, on a de très bonnes vagues, mais elles sont changeantes. Elles entraînent le sens marin, mais elles ne permettent pas forcément de répéter plusieurs fois la même gamme de figures et travailler un point précis. »

Elle-même a bénéficié de ces stages d’entraînement à l’autre bout du monde : « Je n’en suis pas très fière, mais ça m’a permis d’énormément progresser. » Désormais lucide sur leur bilan carbone « catastrophique », elle tente de les réduire, et surtout de partir moins loin. L’été dernier, elle est allée s’entraîner au Portugal, en seize heures de bus. Le train, elle a aussi tenté. Sans succès : en arrivant en gare, elle a découvert qu’il n’y avait aucune place disponible pour son armada de planches, pour lesquelles elle avait pourtant réservé un emplacement vélo. Changement in extremis de wagon, cavalcade sur le quai avec soixante kilos de bagages sous le bras, arrêt forcé de la locomotive… « Le contrôleur m’a dit : ”Que je ne te revois plus jamais avec une planche dans un train” », rit-elle au souvenir de cette mésaventure.

La jeune femme profite également de son statut de sportive pour donner de la voix contre les projets qui lui semblent aberrants : le forage de puits de pétrole à la Teste-de-Buch, sur la côte girondine, et la construction, pour l’épreuve de surf aux Jeux olympiques, d’une « tour des juges » en aluminium au beau milieu des coraux tahitiens. « Les impacts sur la nature sont certainement irréversibles, dénonce-t-elle. Il y a aussi tous les déplacements, le fait de loger les athlètes sur une petite île perdue, pas du tout prête pour accueillir un événement de cette ampleur. » Une trentaine des participants sont logés sur un bateau de croisière de 126 mètres de long, doté d’une piscine, d’une bibliothèque et d’un salon de tatouage, amarré dans une baie voisine.

Ainhoa Leiceaga surfe environ vingt heures par semaine, en parallèle de ses études universitaires en physique-chimie.
@we-creative

En « performant » toujours davantage, Ainhoa Leiceaga espère parvenir à rayonner assez pour « faire bouger les choses » de l’intérieur. En incitant les fédérations à relocaliser et regrouper les compétitions à un même endroit, par exemple ; en nouant des partenariats entre les clubs et la SNCF ; ou même, un jour — rêvons un peu ! —, en rejoignant les meilleurs spots en voilier.

Un rythme « à la limite de l’invivable »

« J’ai plein d’idées, s’enthousiasme-t-elle. Mais pas encore le temps de tout faire. » Entre sa licence de physique-chimie – dont elle est sortie major deux années de suite – et sa vingtaine d’heures de glisse hebdomadaires, sa vie est un marathon, auquel est venue se greffer son engagement écologique : conférences sur le sport et le changement climatique, tables rondes, ateliers de sensibilisation des enfants aux écrans… « C’est devenu un troisième projet. » Ce rythme parfois « à la limite de l’invivable » implique des sacrifices. « Je ne vois jamais mes amis. Côté vie perso, il n’y a rien. »

Elle accepte ces concessions sans trop de mal. « Je n’ai pas envie de laisser les humains détruire la nature devant mes yeux sans agir. Ce serait un peu comme regarder quelqu’un battre ma sœur sans rien faire. Ce n’est pas possible, ça me brise le cœur. »

La jeune femme a grandi à Urrugne, au milieu des montagnes, avec des parents très soucieux de préserver les ressources naturelles.
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Cette sensibilité a pris racine dans l’enfance. Elle a grandi dans la campagne basque avec sa petite sœur, Sarah, toute aussi blonde, musclée et multimédaillée en surf que son aînée. Dans le jardin, sous les arbres de soie piquetés de houppettes roses, on laisse des coupelles d’eau pour les oiseaux de passage. Les meubles abîmés sont réparés plutôt que jetés, l’eau du lavabo de la cuisine réutilisée dans les toilettes. Le père est artisan tapissier, ancien joueur de pelote basque, la mère infirmière – et, de plus en plus, manageuse de ses deux championnes. « On a toujours essayé de garder du bon sens paysan, on n’a jamais été dans le gaspillage, ni dans la consommation », raconte son père.

La découverte de la glisse, à neuf ans, l’a instantanément rendue « accro ». « L’océan, c’est quasi le seul endroit où je me sens bien, souffle Ainhoa Leiceaga. C’est tellement imprévisible, tellement puissant, ça t’amène à être à 200 % dans l’instant présent, à juste ressentir le courant et analyser les vagues. Quand je suis dans l’eau, je suis en osmose. »

« Le soir, j’ai vomi parce que l’eau de mer était sale »

Qu’il vente, qu’il grêle, que le crépuscule guette ou que les vagues soient glacées, elle y va. Ce lien quotidien avec la mer la place aux premières loges de sa destruction. « Parfois, quand je vais dans l’eau, j’ai l’impression d’être un test de prélèvement, raconte-t-elle. La dernière fois, je suis allée m’entraîner, et le soir même, j’ai vomi parce que l’eau était sale. Imagine pour les poissons qui passent leur vie dedans ! »

Remontent à la surface les souvenirs de ses premières vaguelettes, sur la plage de Lafitenia, à Saint-Jean-de-Luz. « L’eau était claire, il y avait des petites algues, des poissons de toutes les couleurs, des crabes. Et maintenant, c’est mort. C’est juste de la vieille mousse verte. Je vois ça à mon échelle, et je n’ai même pas encore beaucoup vécu. »

Et puis, il y a les plages jonchées de restes de filets de pêche et de bouchons en plastique, qui nécessiteraient « des sacs entiers » pour être ramassés. « Tous les jours, quand je vais m’entraîner, ça me fait un rappel. Qu’il faut que continuer d’agir, essayer de faire mieux. » Les podiums semblent à sa portée. Mais pour l’écologie, « c’est encore loin d’être gagné ».





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