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Pourquoi les Japonais continuent de chasser la baleine


27 juillet 2024 à 08h00
Mis à jour le 27 juillet 2024 à 10h23

Durée de lecture : 4 minutes

Ça aurait dû être la lutte du zodiac contre le Goliath : Paul Watson, fondateur de l’ONG Sea Shepherd, prévoyait de s’opposer cet été au Kangei Maru, le nouveau navire baleinier japonais, nec plus ultra du bateau-usine tueur de baleines dont la construction a coûté l’équivalent de 44 millions d’euros. Mais c’était sans compter sur l’arrestation du capitaine étasunien par les autorités danoises, dimanche 21 juillet, à Nuuk, au Groenland : un rebondissement qui laisse toute latitude au navire-usine pour démarrer la saison de chasse.

Si le Japon, qui est l’un des trois derniers pays à chasser le cétacé avec la Norvège et l’Islande, continue de s’illustrer tristement année après année, il faut pourtant noter que les Nippons eux-mêmes ne consomment presque plus de baleine : ils en mangeaient 200 000 tonnes par an dans les années 1960, contre 2 000 tonnes aujourd’hui. Le nombre de baleines tuées a aussi fortement baissé : environ 1 200 par an, dont 333 par le Japon, contre près de 70 000 (pour l’ensemble des pays) dans les années 1960.

Le « Kangei Maru », dernier né des baleiniers japonais, mesure plus de 112 mètres de long.
© Masaki Akizuki / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun via AFP

La consommation a notamment baissé depuis un moratoire international adopté en 1986 qui bannit la chasse à la baleine à des fins commerciales — le Japon a tout de même poursuivi son activité baleinière pendant près de 30 ans, utilisant une dérogation qui autorise la chasse à dessein scientifique.

Le Japon a ensuite quitté en 2019 la Commission baleinière internationale (CBI), assumant à présent pêcher la baleine pour des raisons commerciales. Pour se défendre, les autorités japonaises ont argué qu’il s’agit d’une pratique traditionnelle remontant au XIIᵉ siècle. L’anthropologue Nakazawa Shin’Ichi remarque par exemple que « la chasse à la baleine est magnifique », en ce qu’elle révèle une relation profonde des Nippons avec ce qui les dépasse. La chasse s’apparente alors à une « forme de sacrifice permettant d’aller directement à la rencontre avec le divin », expliquait encore un anthropologue japonais à Courrier international au début des années 2000.

« Une nourriture qui évoque des souvenirs d’enfance »

Mais il n’est pas nécessaire de remonter aussi loin pour comprendre la pratique : la baleine a été une source importante de protéines au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en 1946, alors que l’économie de l’archipel était à genoux et que la nourriture était rare. Les forces d’occupation étasuniennes avaient alors autorisé la conversion de deux navires de guerre en immenses chasseurs de baleines, et initié le mouvement que l’on connaît aujourd’hui : toute une génération d’écoliers Japonais a grandi en mangeant de la viande de baleine aux repas servis à l’école.

De quoi comprendre que, pour les aînés d’un pays à la population vieillissante, manger de la baleine c’est « manger une nourriture qui évoque des souvenirs d’enfance », relève auprès de Wired Katarzyna Cwiertka, professeure d’études japonaises et autrice de Modern Japanese Cuisine : Food, Power and National Identity (La Cuisine japonaise moderne : nourriture, pouvoir et identité nationale). Le fait qu’une grande part des membres du gouvernement japonais soit des hommes âgés ayant grandi à cette période n’est pas étranger à cette obstination, suppose Cwiertka.

Impérialisme culinaire

La chasse à la baleine ne serait-elle qu’une question d’honneur et de tradition ? Philippe Pelletier, fin connaisseur de l’archipel, relève que « pour les Japonais, les Occidentaux sont particulièrement malvenus de leur reprocher leur chasse et leur consommation baleinières alors qu’ils sont des carnivores invétérés, ayant transformé la vénerie [la chasse à courre] en un véritable abattage industriel » (La fascination du Japon, ed. Le Cavalier Bleu, 2021). Les dénonciations des environnementalistes pourraient même renforcer le soutien des Japonais à la pratique.

Le fait que les principaux empêcheurs de chasser en rond, comme la Fondation Paul Watson ou Greenpeace, soient des organisations nord-américaines réactive aussi un « reproche impérialiste », observe Pelletier, qui pointe les critiques en « impérialisme culinaire » d’américains perçus comme plus préoccupés du sort des baleines japonaises que des vaches de McDonalds et des poulets de KFC.



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