• ven. Sep 20th, 2024

Vivre toute l’année au camping, symptôme de la crise du logement


Vous lisez la troisième partie de notre série d’été « Le camping, une pratique écolo ? ». Retrouvez tous les épisodes de nos séries estivales ici.


Gaspard Lion est docteur en sociologie, maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord. Il a publié Vivre au camping — Un mal-logement des classes populaires (ed. Seuil), résultat de son immersion pendant plusieurs années dans des campings du bassin parisien.

Dans cette enquête au long cours, il relate avec justesse le quotidien des personnes vivant à l’année au camping, parfois volontairement, parfois de façon subie. Il dénonce le regard misérabiliste que l’on porte à toutes celles et ceux qui vivent dans des formes d’habitat dérogeant aux normes sociales en vigueur.

Reporterre — Combien de personnes vivent-elles au camping à l’année ?

Gaspard Lion — Il faut compter a minima plusieurs dizaines de milliers de personnes, probablement même plus de 100 000. On peut seulement formuler des estimations, car ces situations échappent aujourd’hui largement à la statistique publique.

Pourquoi cette population échappe-t-elle aux statistiques ?

Il existe deux types de loi. Le droit du tourisme qui stipule explicitement qu’on ne peut pas élire domicile sur un terrain de camping. Puis, le Code de l’urbanisme, disant que les terrains de camping ne peuvent accueillir que des habitations légères de loisirs du type caravane, mobil-home, chalet pour un usage saisonnier ou temporaire. La loi nous dit en creux que ce n’est pas destiné à une occupation permanente.

Les gérants sont ainsi très réticents à déclarer la présence des personnes, ils se savent en porte-à-faux avec la législation. Ces terrains de camping sont aussi très peu contrôlés par la puissance publique. Il n’y a pas eu de réflexion en haut lieu sur la base d’une situation qui aurait été définie comme problématique.


Pourquoi est-ce illégal de vivre au camping à l’année ?

Le camping s’est développé pour un usage de tourisme et de loisir après la Seconde Guerre mondiale. Il n’a jamais été pensé pour ce type d’occupation à l’année. Lorsque cette situation est évoquée, par exemple à l’Assemblée nationale ou au Sénat, elle est systématiquement évacuée avec l’idée que ces habitats dérogent aux normes du logement traditionnel et que ce serait dangereux pour ces habitants. Mais cela ne s’appuie sur aucune étude.

« Il y a un enjeu d’image »

On a surtout de grands gérants de camping qui y sont opposés. Ils ont donc tendance à minimiser l’existence du phénomène pour ne pas entacher l’attractivité touristique de ces lieux et à arguer que c’est inapproprié. Il y a un enjeu d’image.


Alors pourquoi ces gérants acceptent-ils les résidents à l’année ?

Il y a différents profils. Tout d’abord, les gérants privés de campings haut de gamme, qui avaient jusque-là des professions de cadres, ou libérales plutôt situées en haut de la hiérarchie sociale. Ils se sont reconvertis et vont trouver dans des terrains de camping une niche immobilière. Ils n’ont généralement pas de problème à accueillir des résidents, car cela leur permet de s’assurer une trésorerie sur l’année.

Pour les campings bas de gamme, les gérants ont moins de ressources et sont plutôt issus des classes populaires. Ils logent des personnes plus précarisées. Certains ont pu avoir des parcours dans l’associatif ou sont des militants ancrés à gauche. J’ai en tête un des gérants qui distribuait des repas alimentaires en région parisienne pour les personnes sans-abri.

Des municipalités vont aussi utiliser les campings quand leurs administrés sont privés de logement, c’est alors la seule possibilité de les reloger.

Il y a également des situations où des gérants privés vont accepter des personnes qui venaient pour leurs loisirs et qui ont eu un accident de vie : divorce ou licenciement. Ces personnes demandent si elles peuvent rester un mois à l’arrivée de l’hiver, le temps de se retourner. Le gérant ferme les yeux et la situation prend une dynamique qui n’avait pas été prévue ainsi au départ.

Ne pas habiter dans du « solide » oblige à s’adapter tout au long de l’année pour le linge, la toilette, la cuisine, etc.
Unsplash/Brina Blum

Pourquoi de plus en plus de gens vivent-ils en camping ?

C’est à cause de la précarisation sociale, de l’augmentation des inégalités et de la paupérisation d’un certain nombre de ménages. Dans le même temps, il y a eu une augmentation exponentielle des prix du logement et les ressources des ménages n’ont pas augmenté, ou se sont dégradées. Les derniers chiffres de l’Insee parlent de 15 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

Second facteur, la France offre un cadre particulièrement propice, avec 7 500 terrains de camping, plus de 860 000 emplacements. Il existe également des centaines de milliers de caravanes en circulation qui valent quelques centaines d’euros sur LeBonCoin. Enfin, depuis les années 90, les mobil-homes ont monté en gamme et sont pensés pour une occupation prolongée.


S’installer en camping, est-ce un choix voulu ou subi ?

La notion de choix est compliquée à manier sur la question résidentielle. L’installation dans un logement est toujours le produit d’un certain nombre d’arbitrages et de compromis. D’un côté, des personnes qui pourraient se maintenir dans le parc ordinaire choisissent de s’installer dans un mobil-home sur un terrain de camping haut de gamme. Ce choix est souvent motivé par l’incapacité d’accéder à une maison ou un pavillon, ou par la volonté d’éviter un endettement jugé trop important lié à un crédit immobilier.

« Malheureusement, parfois,
le provisoire va durer »

De l’autre, des personnes vont vivre cette situation comme un déclassement social, une relégation, une vraie rupture dans leur trajectoire. Elles ressentent le poids de la honte, de l’humiliation. Elles se retrouvent dans cette situation après une séparation conjugale, un licenciement et elles n’arrivent pas à retrouver un logement équivalent à celui qu’elles avaient auparavant. Elles vont dans un camping à titre provisoire, le temps de retrouver quelque chose de convenable. Malheureusement, parfois, le provisoire va durer.

Il y a un dernier profil : des personnes pour qui le camping constitue une alternative à la rue. Elles vont disposer d’un jardin, parfois d’un poulailler, d’un potager qui leur permet de réduire les dépenses alimentaires. Elles vont y déployer tout un réseau d’entraide, de solidarité leur permettant de faire face à la pauvreté et d’avoir une image plus positive d’elles-mêmes que celle que leur renvoie la société.


Avez-vous rencontré des écologistes pour qui vivre au camping est une manière d’être plus proche de la nature ?

Il peut y avoir un discours qu’on pourrait qualifier d’écologique chez certains, mais ce n’est pas la majorité. Beaucoup en font surtout une alternative à la maison individuelle inaccessible. ll s’agit de gens qui ont été socialisés durant l’enfance à ce type de territoire rural et qui y sont attachés. Ces personnes cherchent à se soustraire à ce qu’elles perçoivent comme des nuisances de la vie urbaine. Le fait d’avoir un potager, des fleurs, est très fortement apprécié.

« Depuis les années 90, les mobil-homes ont monté en gamme et sont pensés pour une occupation prolongée », explique Gaspard Lion.
Dakeyran / CC BYSA 4.0 / Wikimedia Commons

Peut-on faire un parallèle entre cette interdiction de vivre en camping à l’année et la législation assez sévère à l’encontre de l’habitat léger, comme les yourtes ou les tiny house ?

Complètement. Ces habitats dérogent aux formes de logement standardisées et heurtent les représentations sociales et culturelles de ce que devrait être un logement. La législation actuelle pense ces habitations uniquement par défaut, sans se donner la possibilité d’en saisir ses qualités d’un point de vue écologique. Pourtant, ces habitats se développent dans des trajectoires de vie avec une dimension écologique, qui recherchent une alternative au modèle capitaliste.

Toutes ces personnes ont aussi en commun une précarité statutaire et sont privées de certains droits comme les APL, le fonds de solidarité logement pour la rénovation énergétique. Elles ne sont pas propriétaires du foncier et ne sont jamais à l’abri d’une expulsion.

Si l’on veut les protéger, améliorer leur vie et permettre l’expérimentation d’autres manières d’habiter dans les territoires ruraux, il faut revoir la législation et donner à ces personnes les droits dont elles sont privées.


Comment travailler l’imaginaire sur d’autres formes de logement, loin du rêve des pavillons individuels périurbains ?

Toutes ces nouvelles formes d’habitat peuvent s’inscrire dans une perspective respectueuse de l’environnement, notamment grâce à la réversibilité des constructions. Il faut savoir entendre la parole des personnes qui trouvent des formes de satisfaction à vivre dans ces campings et d’autres formes de lieux.

Aujourd’hui, le regard dominant est largement misérabiliste. On saisit ces habitats uniquement de manière négative, en termes de manque, de carence, d’insécurité et de risque, sans reconnaître les qualités et les possibilités qu’ils offrent, ainsi que les styles de vie associés, en termes d’autonomie, d’écologie, de relations sociales et de solidarité.

Il est donc important de rendre visibles les manières de vivre et d’habiter qui s’y déploient, afin de déconstruire un certain nombre d’idées reçues sur ces habitats. Ces préjugés persistent et alimentent la méfiance et l’hostilité, notamment de la part des élus locaux, souvent enclins à prendre des mesures contre le développement de l’habitat léger sur leur territoire, au mépris de la vie des personnes qui les occupent.



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