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Ministres et députés à la fois … merci qui ?

ByVeritatis

Août 2, 2024


TRIBUNE – Les institutions de 1958 étaient faites pour que la politique financière, économique et sociale ne se fasse plus « à la corbeille » (donc à pas à Davos et ailleurs), et que la France ne soit pas sous tutelle américaine (donc pas comme depuis un bon bout de temps). Avec comme chef d’orchestre le général de Gaulle. Avec des mécanismes qui visaient à empêcher que les décisions engageant l’avenir des Français et de leur pays, ne dépendent désormais des jeux du moment des partis et des politiciens. Lesquels subordonnaient en quelque sorte, souvent les intérêts de la France à ceux de leurs carrières. 

Parmi les techniques introduites dans le texte de 1958, les ministres ne pouvaient plus en même temps être parlementaires, avec diverses conséquences ce que ça impliquait à l’époque (3).  Ils pouvaient certes se présenter aux élections, mais devaient, dans le mois, choisir entre les deux fonctions.  A moins que la démission du gouvernement les dispense d’opter et les mette ipso facto en dehors du gouvernement…   

Si la constitution avait été rédigée pour empêcher les présidents de la République (en pensant cette fois-ci, non plus à de Gaulle, mais en particulier à Mitterrand, à Sarkozy ou à Macron) de mettre la France sous la direction des marchés financiers (Maastricht, Lisbonne et autres) et sous la tutelle américaine (OTAN notamment), avec l’accord de la classe politique dans son ensemble, elle aurait été rédigée autrement. 

Les mécanismes juridiques imaginés en 1958 peuvent être techniquement utilisés et ont été utilisés politiquement pour faire le contraire de ce que de Gaulle voulait faire. Simplement en tordant un peu, sinon le texte, du moins l’esprit du texte. 

Avec une classe politique « complice » ayant trouvé avec le chef de l’Etat – devenu petit à petit une sorte de maître de ballet du régime des partis (exemple idéal-typique de Macron) -, de nouveaux moyens de faire carrière … 

 Il en va ainsi aujourd’hui avec les ministres qui, après la dissolution, ont été élus députés et restent ministres en attendant le bon vouloir du président de la République de nommer un nouveau gouvernement pour remplacer celui qui a démissionné.  Et font leurs affaires comme parlementaires. 

Que le président de la République fasse trainer les choses de cette manière dans le contexte du moment n’était pas envisagé par les auteurs de la constitution. Que la loi organique (**) mettant en œuvre l’article 23 (*) de la constitution soit utilisée à l’encontre de l’esprit dudit article 23 … non plus (1). 

Alors … ??? 

Les parlementaires ont abrogé en 2008 la règle qui voulait que l’on ne retrouve pas automatiquement son siège de parlementaire en quittant le gouvernement, le suppléant devant accepter de démissionner pour permettre une élection partielle (2)  

Il reste à l’équipe politicienne en place de rendre compatible (3) en droit, après l’avoir pratiqué en fait comme on l’observe actuellement, « l’exercice des fonctions de membre du gouvernement avec l’exercice de tout mandat parlementaire ». 

Et puis également, on ne voit pas pourquoi les membres du gouvernement ne conserveraient pas une activité professionnelle. Voire même, pourquoi ils ne pourraient pas trouver un job extérieur à partir du conseil des ministres et pendant qu’ils le sont, alors même que les fonctions gouvernementales aident, ainsi que le CV de beaucoup en atteste, à pantoufler. Ça permettrait de gagner du temps dans le mélange des genres. 

 

Marcel-M. MONIN

Maitre de conférence honoraire des universités

  

  

 (*) article 23 de la constitution 

« Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle. 

Une loi organique fixe les conditions dans lesquelles il est pourvu au remplacement des titulaires de tels mandats, fonctions ou emplois. 

Le remplacement des membres du Parlement a lieu conformément aux dispositions de l’article 25 ». 

  

(**) Loi organique du 17 novembre 1958   

« Pour chaque membre du Gouvernement, les incompatibilités établies à l’article 23 de la Constitution prennent effet à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de sa nomination. Pendant ce délai, le parlementaire membre du Gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire (ajouté en 2013) . Les incompatibilités ne prennent pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai. …/… 

1)  La LO laisse un mois au député-ministre (à compter de la survenance du cumul) pour choisir entre les deux fonctions. En cas de démission du gouvernement avant l’expiration de ce mois, il n’y a pas lieu d’attendre l’expiration du délai de réflexion offert à chaque individu. C’est ce que prévoit l’art 1er de la loi organique qui précise les modalités de mise en œuvre de l’article 23 de la constitution. Soutenir qu’en cas de démission du gouvernement les députés-ministres pourraient exercer les deux fonctions, en contradiction avec l’interdiction de l’article 23 de la constitution, est évidemment osé. Les rédacteurs des textes de 1958 n’étaient probablement pas des sots ou des pervers qui auraient contredit dans la loi organique, ce qui est prévu par la constitution. 

Certains voudraient que le Conseil constitutionnel déclare non conforme à la constitution, la disposition de l’ordonnance : « Les incompatibilités ne prennent pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai »   Ce qui n’est tactiquement peut-être pas très « malin ».  le Conseil d’Etat ne transmettra vraisemblablement pas la QPC au Conseil constitutionnel. Son refus permettra de toute évidence d’en tirer argument à l’équipe gouvernante pour soutenir et faire répéter par leurs médias amis, que les ministres n’ont rien violé du tout et que le président de la République a eu une attitude irréprochable en tant de garant du bon fonctionnement des institutions. 

(2) Dans le système de 1958 originel, quand on devenait ministre on perdait son mandat parlementaire lequel passait au suppléant à l’issue du délai de réflexion d’un mois (prévu à l’art. 1er de l’ordonnance 58-1099 du 19 novembre 1958). 

Quand on sortait du gouvernement, on n’avait plus rien. Le seul moyen de retrouver un siège de parlementaire passait par la démission du suppléant. Mais alors une élection partielle était organisée, qui comportait des risques d’autant plus grands que l’opinion de l’électorat avait pu évoluer. En outre, l’élection partielle était interdite par les lois organiques, qui régissaient le remplacement des députés et des sénateurs, dans l’année qui précède les élections législatives (art. 6 de l’ord. n° 58-1065 du 7 novembre 1958), ou qui suivent un renouvellement partiel du Sénat (art. 7 de l’ord. n° 58-1097 du 15 novembre 1958). L’indemnité de ministre continuait à être versée jusqu’à ce que l’intéressé retrouve une rémunération, pendant une période de six mois maximum. 

(3) Dans le régime parlementaire idéal, les ministres sont choisis parmi les députés ou les membres de la chambre haute et conservent leur mandat parlementaire tout en occupant un portefeuille ministériel.  Ce qui procurait traditionnellement des avantages électoraux : – le ministère de l’agriculture permet de soigner les électeurs paysans, – l’intérieur donne accès aux préfets, aux Renseignements généraux et permet de préparer les découpages électoraux, – la santé permettait jadis de faire construire des hôpitaux … 

La Constitution de 1791 avait interdit au roi de choisir les ministres parmi les députés. À l’époque, c’était de peur que ceux-ci ne se laissent corrompre par l’attrait des portefeuilles ministériels. 

Par la suite, aucun texte n’a interdit aux hommes politiques de conserver leur mandat parlementaire lorsqu’ils devenaient ministres. Au sein de leur assemblée, ils occupaient une place sur le « banc des ministres », situé en bas de l’hémicycle. S’ils démissionnaient de leurs fonctions ministérielles, ils quittaient les bancs des ministres, montaient quelques marches et allaient s’asseoir à la place qui leur était attribuée en tant que parlementaire. Lorsqu’à la suite des tractations entre les états-majors, ils redevenaient ministres, ils faisaient le chemin en sens inverse : ils redescendaient. Lors des scrutins, les ministres-parlementaires votaient. 

Cette situation était confortable pour les intéressés : les crises ministérielles ne les chassaient pas de l’enceinte du pouvoir.  Mais ces garanties de stabilité professionnelle avaient des effets pervers. Il est arrivé que les ministres d’un même gouvernement votent en ordre dispersé 

En 1936, Tardieu écrivait : « La responsabilité ministérielle a été inventée, non pour atteindre les ministres qui gouvernent mal, mais pour faire le plus souvent possible place aux parlementaires qui veulent devenir ministres sans être sûrs de bien gouverner … La profession veut que l’on devienne ministre. La profession admet qu’on ne le reste pas. Dès lors qu’on a cessé de l’être, on a, quoi qu’on ait fait au temps où on l’était, payé tout ce que l’on devait … » Tardieu, La Révolution à refaire, tome 2, 1936.  

Pour éviter ces pratiques aux effets pervers, les rédacteurs de la Constitution de 1958 avaient fixé une double règle :  celui qui devient ministre abandonne son mandat de parlementaire (art. 23) Règle qui est actuellement pour le moins malmenée, voire violée.  Et s’il quitte le gouvernement, le ministre n’a plus rien (loi organique). Règle qui a été abrogée. 

« Les pouvoirs doivent être séparés par leur composition. Si les membres du Gouvernement sont en même temps membres du Parlement dans un pays comme la France où la nature même de la vie politique conduit à la multiplicité des partis, le Gouvernement sera divisé…les membres du Gouvernement ne doivent pas être parlementaires… (il faut) trouver un système de démission d’office du parlementaire nommé membre du Gouvernement, cette démission d’office étant assortie d’une inéligibilité ultérieure … (il faut) trouver le moyen de les (= les ministres) dégager de leurs attaches partisanes… Le Gouvernement étant ainsi séparé du Parlement, la responsabilité ministérielle n’entraînera pas l’instabilité gouvernementale… (qui, quant à elle) ne joue pas sur tous les sujets, mais seulement sur certains d’entre eux, n’intervienne pas à chaque instant, mais seulement à certains intervalles. » (Interventions du Général de Gaulle au cours de la réunion du vendredi 13 juin 1958 à l’hôtel Matignon). J.-L. Debré, Les idées constitutionnelles du Général de Gaulle, Paris, L.G.D.J. 

  1. sur ces questions, v. notre «  Textes et  documents constitutionnels depuis 1958. Analyses et commentaires » . Dalloz – Armand Colin





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