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Les statues de la Liberté, par Arnaud de Montjoye (Le Monde diplomatique, août 2024)

ByVeritatis

Août 3, 2024


Le 11 novembre 1620 : le Mayflower accoste sur la côte atlantique de l’Amérique du Nord. Avec à son bord une trentaine de puritains anglais dissidents décidés à trouver la Terre promise, persuadés qu’une « destinée manifeste » les a guidés dans ce monde qu’on dit nouveau : « À l’image des premières Églises chrétiennes, nous fonderons une communauté innocente sur le sol vierge de cet éden. » Le roman national américain les nommera « Pères pèlerins ». Et la littérature américaine, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, s’édifiera sur cette « destinée » et les réalités qu’elle a engendrées : du massacre des Amérindiens à Thanksgiving, de l’esclavagisme à la « liberté pour tous », des grandes prairies aux villes affairées… Dans la bande dessinée Il était une fois l’Amérique (1), Catherine Mory (texte) et Jean-Baptiste Hostache (dessins) présentent cette littérature née dans le bruit et les fureurs, et ses multiples chatoiements, au XIXe siècle, de James Fenimore Cooper (auteur notamment du Dernier des Mohicans, 1826) abordant l’instrumentalisation des peuples amérindiens lors des guerres opposant Français et Anglais, mais aussi la fascination qu’ils suscitent, à Jack London, en passant par Nathaniel Hawthorne (rendu célèbre par La Lettre écarlate, 1850) évoquant les vieux démons puritains de Salem, le poète et nouvelliste Edgar Allan Poe et ses visions mi-fantastiques mi-policières… Mais on fréquente aussi Henry David Thoreau, celui de La Désobéissance civile (1849) et de Walden ou la Vie dans les bois (1854), Herman Melville, Emily Dickinson, Mark Twain et Henry James… Apparaît ainsi une littérature sous tension, marquée par d’incessants allers-retours entre exaltation d’une jeune nation et constat parfois amer de ce qu’elle est en train de devenir.

C’est ce qu’elle est devenue qu’interroge l’écrivain Paul Auster, en particulier sa violence, et son rapport aux armes, à partir des photographies, signées Spencer Ostrander, de lieux de tueries de masse (2). Lieux désertés, temples, écoles, centres de santé, lieux oubliés « jusqu’à ce qu’Ostrander débarque avec son appareil photo et en fasse les pierres tombales de notre chagrin collectif ». Il rappelle comment, dans les années 1950, livres, films et chaînes de télévision construisent une culture propice à la banalisation des « guns ». Aux peurs, réelles ou fantasmées, de la population répond la possibilité, voire l’injonction, d’en détenir et porter un, un droit garanti dans la Constitution.

Auster étudie plus particulièrement le cheminement des mentalités : ce qui fut considéré comme nécessaire par certains lors de la création des États-Unis et l’expansion coloniale est devenu un American way of life, un « folklore » soigneusement mis en scène. En 2021, « les résidents des États-Unis détiennent 393 millions d’armes à feu. (…) Chaque année, environ 40 000 Américains meurent de blessures par balles. » Ainsi, « depuis le tout premier jour de la République, nous sommes divisés entre ceux qui croient que la démocratie est une forme de gouvernement qui garantit aux individus la liberté de faire absolument ce qu’ils veulent, et ceux qui croient que nous vivons en société et sommes responsables les uns des autres. » La question reste posée : « Dans quel genre de société voulons-nous vivre ? »



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