• ven. Sep 20th, 2024

Etienne Stott, le champion olympique devenu figure d’Extinction Rebellion


Paris, reportage

Lorsqu’Etienne Stott sort de la gare de l’Est, trois jours après le début des Jeux olympiques de Paris, son visage s’illumine. « Je n’ai pas voyagé en-dehors du Royaume-Uni depuis 2017, lorsque j’ai décidé d’arrêter de prendre l’avion », lâche-t-il, plein d’enthousiasme. Cette simple traversée de la Manche ne suffit toutefois pas à expliquer son sourire : le Britannique est aussi radieux parce qu’il s’apprête, quelques heures plus tard, à prendre un nouveau train. Direction, cette fois, Vaires-sur-Marne et son stade nautique. Le lieu d’accueil des épreuves olympiques de canoë-kayak, qui lui ont par le passé procuré ce qui reste « la plus grande joie » de son existence.

C’était en 2012, presque dans une autre vie, chez lui à Londres. En canoë biplace (aussi appelé C2, la discipline n’est plus présente aux JO aujourd’hui), la paire qu’il formait avec son ami Timothy Baillie avait décroché la médaille d’or sur le bassin d’eaux vives de Waltham Cross, à la surprise générale. Ce qui l’avait propulsé, le temps d’un après-midi, au rang de héros national, de ceux qui gagnent le droit de « rencontrer la reine ». « Les Jeux olympiques, c’était ma vie. Mon identité toute entière, se remémore-t-il. Toutes les décisions que je prenais, c’était pour essayer de réussir dans le sport. »

Douze ans ont passé depuis et Etienne Stott apparaît toujours aussi obsessionnel et passionné. Mais son moteur a changé. Depuis la fin de sa carrière en 2016, l’ancien céiste — comme on appelle les pratiquants du canoë — a en effet choisi de dédier sa vie entière à la lutte contre le changement climatique, avec la même intensité, alternant entre actions de blocages et prises de parole dans les médias britanniques. Sans jamais renier son passé olympique, puisqu’il tente tous les jours de convaincre, via son organisation Champions for Earth, des athlètes de rejoindre son combat.

« Les Jeux olympiques, c’était ma vie. »
© Cha Gonzalez / Reporterre

Du canoë dans le désert

Depuis son arrivée à Paris, Etienne Stott se balade ainsi de réunions en sites olympiques pour convaincre les dirigeants et les institutions de changer les choses, et les sportifs d’utiliser leur influence. « J’ai envie de préserver le sport, même s’il est actuellement dans une position très précaire et n’aura plus de sens dans des conditions extrêmes, assure le quadragénaire. Je considère que le sport est un moyen de communiquer et d’être moteur dans la lutte contre l’urgence climatique. Ça aide les gens à créer des liens, à distance et à travers le monde, à s’unir et à se motiver. C’est un pouvoir qu’on doit utiliser. »

Dans la capitale française, son discours est d’autant plus susceptible de passer qu’il ne milite pas pour une fin pure et simple des Jeux olympiques et rêve plutôt du « message incroyable » qu’enverrait une édition « vraiment durable ». Il demande pour ça un changement rapide et radical, avec des déplacements bas carbone pour tous les athlètes et les spectateurs et une réduction drastique du nombre de compétitions internationales hors des JO.

« Si l’on continue comme ça, les Jeux de Paris seront les derniers à avoir lieu dans un monde normal. Envisager des JO en 2032, lorsqu’on voit l’impact que la sécheresse va avoir en Afrique, les millions de personnes déplacées… Ce ne sera plus possible de faire comme si de rien n’était, ou ça ressemblera aux Hunger Games », cette saga où des jeunes sont contraints de s’entretuer dans une arène afin de divertir les dirigeants d’un régime totalitaire.

Etienne Stott est désormais végane et ne prend plus l’avion.
© Cha Gonzalez / Reporterre

Les dérives écologiques du sport du haut niveau, Etienne Stott les a vues de ses propres yeux, alors qu’il était encore en activité. De lui-même, celui qui a découvert le canoë dans un camp scout évoque l’absurdité du « camp d’entraînement de Dubaï, au milieu du désert, sur une rivière artificielle » — la ville des Émirats arabes unis dispose en effet d’un camp d’entraînement d’hiver —, ou l’indécence d’un « bassin de Rio construit au milieu d’une favela » à la chaleur suffocante. Autant d’incongruités qui ont contribué à le convaincre de changer de mode de vie à sa fin de carrière.

Lire aussi : « Ce sport ne respecte rien » : Stan Thuret, le skipper qui a quitté la compétition

En quelques mois, le Britannique est devenu végétarien, puis végane, s’est renseigné sur les dégâts du néolibéralisme et a décidé d’arrêter de prendre l’avion. Alors même qu’une partie de sa famille, son camarade de médaille, Timothy Baillie, et les enfants de ce dernier, qu’il considère « comme ses neveux », habitent au Canada.

10 arrestations, 2 condamnations

La création d’Extinction Rebellion, fin 2018, qu’il a rejoint très vite, a donné un sens à tous ses sacrifices. « Lorsque tu es un athlète, tu apprends à être performant dans un domaine. Gérer son temps, se concentrer, planifier, travailler en équipe… Ce sont aussi des qualités particulièrement utiles lorsqu’on est un activiste. Je pense que je serais moins efficace si je n’avais pas été sportif. »

Avec le mouvement, il est sorti de « sa zone de confort ». Sans rendre sa présence publique, il a participé à une première action de blocage, neutralisant cinq ponts à Londres, et s’est fait arrêter par la police pour la première fois.

« Lorsqu’on se fait arrêter avec Extinction Rebellion en tant que champion olympique, c’est un grand pas en avant. »
© Cha Gonzalez / Reporterre

Ce qui ne l’a pas empêché d’y retourner, quelques semaines plus tard. Sans se cacher, cette fois. « Lorsqu’on se fait arrêter avec Extinction Rebellion en tant que champion olympique, c’est un grand pas en avant. C’était partout dans les journaux, sur la BBC, la Fédération de canoë a reçu des coups de fil du Sun. En sortant de garde à vue, j’ai fait plein d’interviews pour expliquer l’action, sourit-il. Sur une échelle de la célébrité au Royaume-Uni, je ne suis qu’à 3/10. Mais peut-être que mon action va permettre à une célébrité 5/10 de prendre la parole, puis une 7/10 après elle… »

Outre-Manche, Etienne Stott est en tout cas devenu une figure des actions de désobéissance civile, interpellée par la police à 10 reprises, condamnée 2 fois. C’est nous qui lui apprenons l’arrestation d’une cinquantaine de militants accusés d’avoir planifié des actions de sabotage en marge des Jeux olympiques, le 27 juillet. « Je n’en ai pas entendu parler, concède-t-il. Mais j’ai beaucoup pensé à tout ça, en tant que sportif et activiste. Que ce soit clair, j’aimerais que ça n’arrive pas, que nous n’ayons pas à utiliser ces méthodes. Si je participais à une épreuve, que j’étais perturbé dans mon mode “ultra-focus”, je trouverais ça horrible. Mais quand personne n’écoute les cris d’alerte, il faut trouver un moyen d’attirer l’attention. »

« Pas de sport sur une planète morte »

Lorsqu’on lui demande s’il serait capable, lui-même, de perturber les Jeux, ses yeux d’habitude pétillants s’embuent. « Je ne le ferais pas, tranche-t-il après un long silence. Je pourrais, ça aurait probablement une résonance extraordinaire, mais je ne crois pas que ce soit la chose à faire pour moi. C’est dur, ça me fait me demander si je donne vraiment tout pour la cause ou si je fais semblant. »

Lui s’estime plus efficace ailleurs, au contact direct des athlètes, à identifier des profils susceptibles de collaborer avec Champions For Earth. Avec son programme, il les conseille ensuite dans leurs communications sur les réseaux sociaux, leur propose des lettres ouvertes, les aide à se sentir légitimes à parler d’écologie. « Je pense que mon message passe mieux auprès d’eux. Ils savent que j’aime cette communauté, et doivent ressentir que c’est aussi pour eux, pour nous, que je fais ça. »

Sortie pour le bien d’une séance photo, sa médaille finit par attirer l’attention d’un groupe de jeunes curieux. Il joue le jeu, laisse les badauds la palper, répond volontiers aux questions, puis tend à tout le monde des autocollants Champions for Earth, et déclare, en français, « Pas de sport sur une planète morte ». Quelques minutes plus tôt, il expliquait : « Dès que j’ai eu ma médaille, j’ai su qu’elle me conférait un pouvoir et que j’allais l’utiliser. » Reste maintenant à convaincre tous les autres médaillés de faire de même. Pour cela, Etienne Stott a encore beaucoup d’autocollants et, surtout, son abnégation de champion.



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