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En France, les meutes de loups affaiblies par le braconnage


L’avenir du loup gris dans l’Hexagone est-il menacé ? Pour la toute première fois depuis 1992, année du retour naturel du grand prédateur par les Alpes italiennes, les conditions démographiques du canidé se dégradent : « Les clignotants rouges s’allument… et ils sont nombreux », alerte Roger Mathieu. Référent de l’animal à France Nature Environnement (FNE) Auvergne-Rhône-Alpes, le Drômois a dévoilé le 23 juillet le résultat de l’observation de 36 meutes, menée en 2023 avec l’aide d’une trentaine de collaborateurs.

À la fin de l’hiver, l’Office français de la biodiversité enregistrait déjà une baisse des effectifs de 9 % comparé à l’an passé. Un coup d’arrêt dans l’augmentation exponentielle de la population de l’espèce : entre 2015 et 2023, celle-ci avait bondi de 294 %, passant de 280 individus à 1 104. Petit à petit, déjouant les pronostics des biologistes, l’espèce était ainsi parvenue à coloniser l’est de la vallée du Rhône.

Le nombre de louveteaux par meute en baisse

L’analyse de FNE apporte à ces observations globales des données concernant la biologie des meutes étudiées, notamment leur taille et l’efficacité de la reproduction. En 2023, cinq individus – toutes classes d’âge confondues – composent en moyenne chaque clan. En 2022 comme en 2021, ce chiffre s’établissait à 6,2. Le nombre de louveteaux par meute reproductrice a lui aussi baissé, passant progressivement de 5,2 à 3,8 entre 2020 et 2023. Plus d’un quart des meutes observées n’ont d’ailleurs produit aucun nouveau-né. Troisième et ultime paramètre : le nombre de louveteaux ayant survécu au moins jusqu’au début de l’hiver suivant leur naissance a fléchi lui aussi.

« Ce ne sont pas des chutes de 50 %, tempère Roger Mathieu. Ce serait absurde de dire que les loups disparaîtront dans les trois années à venir. Toutefois, dès qu’un voyant rouge s’allume sur le compteur d’un véhicule ou dans une usine, on agit. Même si la catastrophe n’est pas imminente, ces voyants annoncent son approche. »

Établir avec précision le nombre d’individus composant une meute est illusoire. D’une part parce que celui-ci fluctue tout au long de l’année dans des proportions allant du simple au triple. D’autre part, parce que les caméras à déclenchement automatique, utilisées par les collaborateurs de FNE, sont bien souvent incapables de saisir le passage d’une famille au complet. Neuf fois sur dix, les loups se déplacent seuls ou à deux. La nuit, la qualité des images enregistrées est par ailleurs trop faible pour que soient identifiés précisément les spécimens.

Pièges à mâchoire, empoisonnements…

De janvier à décembre 2023, plusieurs centaines de vidéos de loups ont toutefois pu être collectées. En plus des informations démographiques, celles-ci fournissent des éléments sur les disparitions suspectes : une louve a été filmée avec un collet lui enserrant le cou, détaille Roger Mathieu. « Elle est morte quelques jours après. » Les images ont aussi capturé des grands prédateurs amputés à une patte avant, une patte arrière, ou encore au genou. Dès lors, l’hypothèse du braconnage est soulevée… et parfois confirmée par des renseignements recueillis sur le terrain, notamment auprès de chasseurs et d’éleveurs.

Une chose est sûre : en 2023, le nombre de signalements d’actes de braconnage « certains à quasi-certains » documentés par des vidéos est en nette augmentation. Une meute sur trois en a été victime. « Les pièges à mâchoire [un dispositif particulièrement cruel, illégal en France depuis 1995] sont à nouveau en vogue », déplore le naturaliste. Même constat pour les empoisonnements : bien qu’interdit à la vente, le poison circule. « Les braconniers s’en procurent en Italie. Et le braconnage, c’est comme le trafic de drogue. Si vous identifiez un empoisonnement, vous pouvez être sûr que 40, 50 ou 100 autres sont passés inaperçus. »

Aux yeux de Roger Mathieu, les discours de diabolisation de l’animal jouent un rôle essentiel dans cette recrudescence : « Les élus n’arrêtent pas de taper sur le loup, sans jamais se référer aux chiffres. Certains prétendent que la prédation s’accroît sur le bétail, c’est faux ! » Contacté par Reporterre, Claude Font, le secrétaire général de la Fédération nationale ovine (FNO), rattaché à la FNSEA, n’en démord pas : « Nous, notre boussole, c’est la baisse de cette pression sur le bétail, note Claude Font. Or, les chiffres ne sont pas du tout à la baisse. Il suffit d’observer les données de la Dreal [Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement]. »

Après analyse des tableaux de la Dreal, le verdict est sans appel : entre 2018 et 2023, le nombre annuel d’animaux domestiques tués a bel et bien diminué de 13 %. Or, sur la même période, la population lupine a bondi de 93 %. « Il y a chaque année entre 10 500 et 12 500 victimes du loup, reconnaît le spécialiste de FNE. Cela peut sembler énorme au premier abord. Mais là où des loups vivent au contact du bétail, seulement 1 % du cheptel est touché. Autrement dit, une brebis sur 100. Les maladies et les chiens errants en tuent bien plus encore. »

« Nous ne prônons surtout pas le braconnage, prévient de son côté Claude Font, aussi éleveur en Haute-Loire. En revanche, si la protection des troupeaux est une piste essentielle, l’intervention humaine par prélèvement légal [c’est-à-dire leur abattage] en est aussi une.  » Entre 2018 et 2024, le quota de tirs dérogatoires létaux, accordés aux éleveurs et à toute personne mandatée par les préfectures, a bondi de 400 % en France, pour s’établir à 209. « Ces chiffres ne sortent pas du chapeau, poursuit le syndiqué de la FNO. L’État les détermine en fonction de l’estimation de la population de loups. »

« Les loups pourraient réguler les populations de cerfs, de chevreuils et de sangliers »

Aux yeux de Roger Mathieu, une telle politique empêche toutefois les loups, « grands voyageurs dans l’âme », de partir à la conquête d’autres territoires : « Bien souvent, dès qu’un individu s’aventure à l’ouest de la vallée du Rhône, la préfecture ordonne de l’abattre. Ces prédateurs jouent pourtant un rôle clef dans les écosystèmes et pourraient réguler les populations de cerfs, de chevreuils et surtout de sangliers dont on connaît les dégâts sur l’agriculture. » Aujourd’hui, plus de 90 % des loups sont ainsi confinés à l’est du fleuve.

Par ailleurs, « certains auteurs estiment que dans des zones où le loup n’est pas soumis à des tirs légaux, [seuls] 15 % des meutes ont une productivité nulle », détaille l’étude de FNE. Autrement dit, elles ne produisent aucun louveteau. Ce chiffre grimpe à 28 % dans les territoires où le taux de mortalité anthropique est élevé. Durant l’élevage des louveteaux, l’élimination d’adultes ou de subadultes – chargés de l’alimentation, de la protection et de l’éducation des plus petits – provoque ainsi une dégradation de leur taux de survie.

Effets des canicules et sécheresses

Si plusieurs pistes semblent justifier la détérioration de la biologie des meutes françaises, « il n’existe aucun élément permettant d’éliminer ou de privilégier une hypothèse plutôt qu’une autre », écrivent les auteurs. Parmi les autres facteurs, figurent les conditions climatiques extrêmes. Lors des canicules et des sécheresses, les proies – comme les loups – peuvent succomber de déshydratation.

En 2020, une publication conjointe de l’Office français de la biodiversité et du CNRS fixait le taux de survie annuel des loups français à 42 %. Autrement dit, un individu vivant au 1er janvier d’une année X a seulement un peu plus d’une chance sur deux d’être encore en vie au 31 décembre de la même année. « Il faut comprendre que l’avenir des loups en France, à moyen et long terme, n’est pas assuré », conclut Roger Mathieu.

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