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au Brésil, les peuples indigènes luttent contre la spoliation de leurs plantes


9 août 2024 à 10h02

Durée de lecture : 4 minutes

Brasília (Brésil), correspondance

Açaï, cupuaçu, guarana, stévia… Les « super » propriétés de ces aliments les ont rendus très populaires. Ceux-ci, mais aussi d’autres ressources génétiques issues de la faune et de la flore brésiliennes, parmi les plus riches en biodiversité, sont utilisés par les entreprises étrangères dans la confection de produits : des cosmétiques aux semences, en passant par les médicaments, les biotechnologies et les compléments alimentaires. Mais ce succès a un goût amer pour les peuples autochtones qui ont identifié ces ressources et leurs vertus, amélioré leur culture, transmis ces savoirs de génération en génération, et continuent aujourd’hui de les protéger face à l’avancée de la déforestation et des monocultures.

« Quand une ressource génétique, un savoir traditionnel est exporté dans un autre pays sans qu’il existe une procédure de consultation préalable [du peuple autochtone concerné] et un accord de répartition des bénéfices, cela caractérise une appropriation indue ou biopiraterie », affirme Fernanda Kaingang, leadeuse indigène et docteure en propriété intellectuelle et patrimoine culturel des peuples autochtones. Elle dénonce un « extractivisme intellectuel » depuis l’arrivée des premiers colons au Brésil en 1500.

Fernanda Kaingang, leadeuse indigène : « Nous comptabilisons 271 demandes de brevets sur l’açaï, plus de 1 000 sur la stévia. »
© Rodolpho Villanova

« Le cupuaçu est à nous »

Les peuples autochtones ne reçoivent que peu de crédit scientifique pour leurs savoirs et inventions. Ils en perdent même la reconnaissance de la propriété intellectuelle et des droits de commercialisation lorsqu’un brevet est déposé par une entreprise ou un organisme de recherche, voire quand certains vont jusqu’à déposer une marque sur des noms d’espèces. Le gouvernement brésilien a fait annuler en 2007 l’enregistrement par une entreprise japonaise d’une marque sur l’açaï, baie typique amazonienne, mais aussi sur le cupuaçu, fruit amazonien similaire au cacao, et qui avait déclenché une campagne nationale de protestation en 2003, sous le slogan « le cupuaçu est à nous ».

Des laboratoires étrangers ont aussi déposé des demandes de brevets pour la production d’analgésiques à partir de la sécrétion de la grenouille kambô, utilisée dans la médecine indigène amazonienne.

Le cupuaçu, fruit amazonien similaire au cacao, ici utilisé en dessert.
Flickr/CC BYND 2.0/Cupuacu-fruit

Le phénomène se poursuit selon Fernanda Kaingang, également directrice du Musée national des peuples indigènes à Rio. « Nous comptabilisons 271 demandes de brevets sur l’açaï, plus de 1 000 sur la stévia », adoucissant naturel très prisé comme substitut au sucre, et « 453 sur le guarana », énumère-t-elle. La culture du guarana, liane qui produit des baies rouges aux vertus énergisantes, est un savoir sacré du peuple amazonien Sateré Mawé.

On peut citer encore, parmi les ressources visées, l’ayahuasca, hallucinogène utilisé lors de rituels religieux indigènes.

Brevets indus

Des leaders indigènes se sont à nouveau présentés devant les instances internationales pour réclamer la « fin de la spoliation de [leurs] droits et de l’exploitation de [leurs] savoirs », selon le document élaboré par des représentants des six biomes brésiliens [1]. Il a été remis en mai à Genève à la Conférence diplomatique de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), pour la mise en place d’un instrument juridique international en la matière.

La conférence de cette agence de l’Organisation des Nations unies (ONU) a abouti à un nouveau traité, signé le 24 mai dernier par plus de 170 pays, après vingt ans de négociations. Il oblige les demandeurs de brevets à rendre publique l’origine des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles utilisées dans leurs travaux, afin de « prévenir la délivrance de brevets indus ». Fernanda Kaingang, qui faisait partie de la délégation autochtone, se félicite de l’adoption du traité qui « reconnaît pour la première fois les peuples indigènes comme sujets de droits de propriété intellectuelle ». Elle déplore toutefois le principe de non-rétroactivité sur les brevets déjà délivrés, et que certains pays, comme les États-Unis et le Japon, n’aient pas signé le traité.

Reste aussi la question du juste partage des bénéfices, essentielle pour sortir les peuples indigènes de situations de pauvreté et de vulnérabilité, selon Mme Kaingang. C’est sur celle-ci que se pencheront les négociateurs de la Convention sur la diversité biologique (CDB) à Montréal du 12 au 16 août, avant sa COP16 en Colombie en octobre.

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