« Dans un boudoir vermeil », par Marcus Malte (Le Monde diplomatique, août 2024)

Contexte : l’heure est grave. Au sein de la République médiocratique de la Frzangzwe, la révolte gronde. Le Grand Chambardement est annoncé. Dans le palais présidentiel, l’archimaréchal Herbert Robert, président-directeur général de la nation, ne peut dormir. Son principal conseiller, Gabriel Pipaudi, a été kidnappé, ainsi que sa propre fille de 16 ans. Quant à sa femme, l’archimaréchère, cela fait bien longtemps qu’elle a renié son mariage autant que sa maternité et qu’elle se tient cloîtrée dans son boudoir à compter les perles d’ivoire de son chapelet. C’est la nuit. Que fait le chef de l’État ?

Il erre. Marche sans but dans les couloirs déserts. Les gens dorment. Les autres gens, les vrais, ceux de peu. Ses talons cliquettent sur le parquet. C’est le bruit des aiguilles sur le cadran, tic, tac, plic, ploc, les secondes qui gouttent, la fuite du temps, il passe, il est passé — mais où ? La solitude est vaste et profonde. On s’y perd. Maman est morte. Papa aussi. Et ma chère grand-mamie. Tous ceux qui m’avaient à l’œil. Oh ! Pauvre richissime. Comme le temps, ils sont partis, tous, ils m’ont laissé. Va ! Va ! Va seul à présent. Oh ! Infortuné Crésus. Misérable pèlerin. Prends ton spectre à la main et avance, dans les ténèbres enfonce-toi ! Mais l’enfant a peur… Il est des heures sombres où le président a un cœur comme les autres gens. Il est humain, après tout. C’est ce qu’on te dira. On te dira qu’il a une âme et une conscience. Il a sa part de souffrance. Tout comme toi. On te dira qu’il te ressemble. Lui en son palais, toi en ton taudis, vous êtes égaux. Vous êtes frères. C’est ce que te dira l’avocat du diable. Le prince opulent n’est qu’un pauvre hère cheminant solitaire sous les boiseries et les dorures. Oh ! Mendiant cousu d’or.

Alors qu’il passe devant la porte close du Salon des consuls, une vision s’impose. C’est ici qu’a eu lieu la cérémonie de majoration de sa fille. Il la revoit. Si belle en sa robe de mousseline blanche. Et si femme déjà. Seigneur Dieu, sa fille a eu 16 ans ! La (…)