• ven. Sep 20th, 2024

Avec le changement climatique, les fruits tropicaux émergent dans l’Hexagone


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Des champs de bananes à Perpignan, des avocats sur la Côte d’Azur, des pistachiers plein la Provence, des noix de pécan à moins de 100 km de Paris… Face au changement climatique, certains agriculteurs tentent de nouvelles cultures fruitières. La montée des températures incite à tester des fruits exotiques. D’autres relancent des cultures méditerranéennes délaissées chez nous.

L’ampleur du phénomène n’a pas encore été évaluée. Ce dernier est en tout cas certain. « Nous recevons des sollicitations pour connaître les variétés tropicales qui s’adapteraient à nos latitudes, en lien avec le réchauffement climatique », nous indique Rémi Kahane, coordinateur des recherches horticoles au Cirad, l’organisme de recherche agronomique français spécialiste des régions tropicales et méditerranéennes.

Mais tous ces fruits ne sont pas aussi adaptés qu’on pourrait le croire à notre futur climatique. Rendre leur culture écologiquement et commercialement viable est encore un défi.

Manguiers, bananiers, avocatiers…

L’idée d’acclimater des espèces venues d’ailleurs n’est pas nouvelle. « Une partie importante de ce que l’on mange chaque jour sont des espèces tropicales à la base : la tomate, les poivrons, la pomme de terre, le maïs », rappelle Iñaki García de Cortázar Atauri, chercheur spécialiste de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

Une patiente sélection a permis d’adapter ces plantes à notre climat métropolitain. « Mais pour les fruits, c’est plus difficile, prévient Rémi Kahane. Ce sont des plantes pérennes donc les temps de sélection sont plus longs. »

Pour imaginer ce que l’on pourrait cultiver sous nos latitudes, le regard se tourne vers le sud de l’Europe. « L’avocat, la mangue, la papaye, le fruit de la passion sont des espèces qui arrivent à passer l’hiver et à produire dans le sud de l’Espagne », note Iñaki García de Cortázar Atauri. La Sicile, elle, produit avocats, mangues et papayes.

Un agriculteur vérifiant ses avocatiers aux États-Unis.
Flickr/PDM 1.0/U.S. Department of Agriculture

En France, cela reste bien plus confidentiel. Le long de la Côte d’Azur au doux climat, quelques agriculteurs testent l’avocatier. Des pionniers, dont Reporterre vous racontera bientôt l’aventure de l’un d’entre eux, s’essayent à la banane ou à la mangue, sous serres. Ces bananes ou avocats métropolitains sont des productions de niche, au prix en conséquence (de 5 à 15 euros le kilo en direct pour le producteur de bananes que nous sommes allés rencontrer).

Quelques particuliers passionnés font aussi des miracles, tels que Benoît Vandangeon. À Nîmes (Gard), dans son jardinet de centre-ville où il profite d’un microclimat favorable, il a « réussi à tenir sans protection des manguiers, des caramboliers — ce fruit en forme d’étoile jaune —, des bananiers, des avocatiers, des cherimoyas [fruit originaire des Andes] », se félicite-t-il.

« C’est la vie classique de l’agriculture, réagit Iñaki García de Cortázar Atauri. Des pionniers testent une espèce. Ils apprennent à la planter, la tailler, cela prend des années. Puis c’est un pari de se dire qu’on va maintenir cette espèce sous nos contraintes climatiques, et réussir à la valoriser économiquement. »

De nombreux défis

Un pari pour l’instant loin d’être gagné pour les fruits tropicaux, pense-t-il. « Nos travaux montrent que le risque de gel ne peut être écarté. » La moyenne des températures augmente, mais les risques de froids extrêmes persistent. Or, « il suffit d’une seule température froide pour que les arbres meurent. C’est pour cela qu’on n’a pas de champs de mangues en France », estime Benoît Vandangeon. « Le changement climatique, c’est plus d’accidents climatiques, et les arbres n’aiment pas cela », ajoute Rémi Kahane.

D’autres obstacles se dressent sur le chemin de l’acclimatation. Parfois, le problème peut tout simplement être « l’absence d’insectes pollinisateurs dédiés à ces espèces, poursuit le chercheur du Cirad. Ou le fait que certaines espèces fleurissent quand les jours deviennent décroissants, donc à la fin de l’été chez nous, quand les températures deviennent difficiles pour ces plantes ».

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Il avertit aussi sur le risque, en important de nouvelles espèces, de faire venir avec elles de nouvelles maladies ou insectes ravageurs. « Ils peuvent voyager avec le plant, la graine ou le fruit », précise-t-il. L’arboriculture fruitière en France fait déjà la douloureuse expérience de la drosophile suzukii, venue d’Asie. Elle pond dans les fruits presque mûrs, ce qui les fait pourrir. Cerises, figues, raisins, pêches ou encore abricots sont touchés. Il craint que le scénario ne recommence avec, par exemple, la mouche du manguier. « Comme aucune autre espèce ne la connaît, elle n’aurait pas de prédateurs », précise-t-il.

Autre défi, « dans le climat d’origine des fruits tropicaux, il pleut tous les jours », rappelle Iñaki García de Cortázar Atauri. Or, là où les températures sont favorables en métropole, la contrainte en eau est extrêmement importante. Est-ce raisonnable d’en utiliser pour cultiver ces espèces quand la ressource est limitée ? » On sait déjà qu’en Andalousie, les champs d’avocats et de mangues contribuent à assécher la région.

Maintenir ces arbres avec peu d’eau est certes possible, c’est d’ailleurs ce que fait notre amateur Benoît Vandangeon. « Je n’ai jamais arrosé mes deux avocatiers et ils produisent chacun une soixantaine de fruits par an, dit-il. Quand on est un particulier, on peut se permettre de pailler, amener de la matière organique. » L’affaire est tout autre pour un agriculteur qui cherche à en tirer un revenu. « Il a besoin de produire, et donc de consommer des ressources », souligne notre directeur de recherche à l’Inrae.

Un manque d’ambition ?

Face à autant de « mais », les deux instituts de recherche français, Cirad et Inrae, ont fait leur choix. Aux fruits tropicaux, ils préfèrent les espèces de chez nous. L’Inrae teste de nouvelles variétés d’abricots, pêches, cerises, pommes, vignes, mieux adaptées aux nouvelles conditions climatiques. Au Cirad, « notre positionnement est d’encourager les espèces fruitières abandonnées telles que l’amandier, le pistachier, le noisetier, le grenadier et des agrumes variés », liste Rémi Kahane.

Le potentiel commercial est important. Par exemple pour l’amande, en 2021, la France a importé 47 000 tonnes contre une production locale d’environ 870 tonnes, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). « Il y a une forte demande pour les fruits à coque, et cela augmente la diversité d’espèces cultivées et contribue à la transition agroécologique », appuie le chercheur.

La relance de l’amande, de la grenade et plus récemment de la pistache — que nous vous raconterons dans un prochain reportage — ont déjà commencé. Des arbres habitués au climat sec méditerranéen, pouvant être cultivés en terrains non irrigués. Mais qui n’échappent pas à la culture intensive en Californie ou en Espagne. C’est pourquoi Rémi Kahane plaide pour qu’on ne répète pas le modèle : « Il faut éviter les systèmes intensifs de monocultures, prévenir les risques de nouvelles maladies ou d’insectes invasifs, la stérilisation du sol et l’épuisement des nappes phréatiques. »

Notre passionné Benoît Vandangeon déplore, lui, que les deux instituts agronomiques soient « peu ambitieux ». Il poursuit ses minutieuses recherches et expérimentations. « J’ai retrouvé un avocatier de l’Arizona qui a résisté à -14 °C en 1913, raconte-t-il. Je l’ai chez moi depuis l’été dernier. » Il est aussi fan de casimiroas, une sorte de « pommier du Mexique dont le fruit a une saveur entre la crème à la vanille et le chausson aux pommes, décrit-il. J’en ai trouvé un au jardin botanique de Dallas, qui a survécu aux gels importants de 2021. Ils m’ont envoyé des graines. »

Il faudra encore de longues années avant de savoir si ses arbres survivent et s’acclimatent. Encore plus avant d’imaginer en faire des cultures utiles à notre subsistance. Mais il en est certain, côté diversité fruitière, « on est encore loin d’avoir fait le tour ».

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