• lun. Sep 30th, 2024

Et gare à la revanche, par Ernest London (Le Monde diplomatique, août 2024)

ByVeritatis

Août 12, 2024


Réunis autour d’un feu, dans la Grotte aux Ours du Vallon obscur, six Haïdoucs, six hors-la-loi, dont Florea Codrilor, la femme à la tête de leur petite troupe, racontent leur entrée en « Haïdoucie » : comment, révoltés contre un pouvoir arbitraire, ils ont rompu avec la société et rejoint la forêt « pour rencontrer la justice qui se sauvait de la ville ». Pour cette Présentation des Haïdoucs (1925), troisième volume de la tétralogie Les Récits d’Adrien Zograffi, l’écrivain d’origine roumaine et d’expression française Panaït Istrati (1884-1935) s’est inspiré de la tradition orale de son pays, en lui insufflant une grandeur d’épopée (1). Mais si ses personnages empruntent aux archétypes héroïques, ils demeurent profondément vivants et humains, chacun portant un récit singulier, tous étant traversés par les doutes, les contradictions, les passions. Face à la tyrannie, ils n’ont d’autre choix que de répondre par la violence à celle des puissants et de riposter par la vengeance. Que l’oppresseur soit turc, grec, roumain ou un proche parent, la seule action qui vaille, c’est la « rupture avec la loi qui protège ceux qui l’ont faite ». L’usage de mots roumains contribue à donner à cette veillée légendaire, qui trouve un remarquable écho dans les bois gravés de Valentin Le Campion, comme une touche exotique, créant une distance accueillante par rapport à des propos d’une grande radicalité, où, au fil des six histoires, s’articulent des points de vue antithétiques, renvoyant sans doute aux questionnements de l’auteur.

Les héros de Jack London recourent aussi à la violence politique : les adeptes des Mains de Midas, une société secrète de prolétaires, ne se résignent pas à devenir « esclaves du salaire » (2). Ils rançonnent les capitaines d’industrie, tuent méthodiquement des inconnus innocents jusqu’à obtenir satisfaction de leurs revendications, sans envisager, toutefois, de redistribution. Ces membres du « prolétariat intellectuel » estiment simplement mériter une meilleure place. On pourrait prêter une intention ironique à Jack London, lorsqu’il attribue la froide amoralité et le cynisme, non pas aux capitalistes, mais aux exploités. Toutefois, comme le rappelle, dans une postface judicieuse, la traductrice Marine Boutroue, en 1901, date de parution de cette nouvelle, Jack London (1876-1916) était fortement influencé par la théorie du darwinisme social de Herbert Spencer, qui postule la sélection naturelle des plus aptes, sur laquelle semble se baser la réclamation de ces tenants de la loi du plus fort. Essentiellement épistolaire, le texte se prête parfaitement à la mise en page singulière (reliure horizontale, diversité des polices, insertion de publicités, d’articles et de courriers) de la collection « Que fait la police ? » des éditions Tendance Négative.

Inspirée par un fait historique méconnu, Bibiana Candia raconte l’embarquement pour Cuba, en 1853, de jeunes Galiciens menacés par la misère, appâtés par la promesse d’une vie meilleure (3). Mais l’accueil dans les plantations de canne à sucre ne fait que confirmer les difficiles conditions infligées pendant le voyage. Ils voulaient devenir des hommes, des hommes riches peut-être, mais se découvrent, soumis à une impitoyable exploitation, simples marchandises, transportées, rentabilisées. La poétesse Bibiana Candia a retrouvé, dans les archives du Parlement espagnol, des lettres envoyées par certains d’entre eux pour demander de l’aide à leur famille. Puis elle s’est lancée dans l’écriture romanesque de leurs (més)aventures, en prenant soin de leur donner avant tout la parole, alternant récits de destinées individuelles et d’expériences collectives.



Source link