• sam. Sep 21st, 2024

Pourra-t-on vraiment se baigner dans la Seine et la Marne dès 2025 ?


Ce devait être « l’héritage écologique » des Jeux olympiques, selon le ministre démissionnaire de l’Écologie, Christophe Béchu. L’ouverture, dès 2025, d’une trentaine de sites de baignade dans la Seine et la Marne. Pour tenir cet objectif, les pouvoirs publics n’ont pas lésiné sur les moyens : 1,4 milliard d’euros et des travaux tous azimuts à travers l’Île-de-France.

À un an de l’échéance, force est de constater le relatif échec de ce « plan baignade » au vu des ratés durant les Olympiades. Outre des entraînements et une épreuve reportés, la qualité de la Seine n’était suffisante pour la baignade olympique que 20 % du temps pendant les JO, d’après une enquête de Mediapart. Ce taux descend même à 10 % si l’on applique les critères exigés pour la baignade « grand public », censée être possible dès l’été 2025.

Le reste du temps, les résultats recueillis par ces journalistes ont dépassé les exigences sanitaires, qu’il s’agisse de contamination en Escherichia coli (E. coli) ou en entérocoques intestinaux, deux bactéries issues de nos matières fécales. Autrement dit, malgré les moyens investis, il y a toujours trop d’excréments dans la Seine. Pour information, il est interdit de se baigner dans la Seine depuis 1923, et depuis 1970 dans la Marne.

Des mauvais branchements à l’origine du fiasco

Les raisons de ces difficultés sont à chercher en amont de Paris, le long de la Marne notamment. Dans ces territoires densément peuplés, bon nombre de logements sont mal raccordés. En clair : leurs tuyaux de WC sont branchés sur le réseau pluvial – et non pas sur les égouts menant aux stations d’épuration. Résultat, pluie et fèces finissent pêle-mêle dans la Marne et la Seine. D’après des estimations citées par le journaliste spécialiste du sujet Marc Laimé, « ces mauvais branchements en amont [seraient] à l’origine de 80 % de la pollution bactériologique de la Seine dans Paris intramuros ». Selon des documents consultés par Mediapart, il y aurait au total entre « 63 000 » et « 126 000 » raccordements non conformes en amont de Paris.

Or, comme nous l’avions expliqué, corriger la tuyauterie de milliers de logements constitue « un chantier titanesque » selon un employé du Val-de-Marne interrogé par Reporterre. « Remettre en conformité les mauvais branchements, c’est très compliqué, nous confirme un ex-agent de la Ville de Paris, fin connaisseur des questions d’assainissement, sous couvert d’anonymat. Les collectivités n’ont aucun moyen d’obliger un particulier à effectuer des travaux. »

Une carte (2018) des lieux franciliens envisagés pour la baignade.

Conclusion, le chantier a avancé à pas d’écrevisse : seulement 13 000 branchements corrigés de 2019 à juin 2024, selon Mediapart. Au rythme actuel, il faudrait donc entre 20 et 40 ans pour tout résoudre. Sans compter que les pouvoirs publics pourraient être moins zélés et généreux après la fin des Jeux olympiques.

Autre problème, les ouvrages pharaoniques réalisés afin d’éviter le déversement des eaux sales dans la Seine lors des grosses averses n’ont, semble-t-il, pas suffi. Dans Paris – contrairement aux territoires du Val-de-Marne — eaux pluviales et eaux usées se retrouvent dans les mêmes tuyaux, envoyées ensemble vers les stations d’assainissement. Sauf quand il pleut beaucoup. Afin d’éviter que les égouts ne débordent, les eaux usées étaient jusque récemment rejetées directement… dans la Seine.

Un immense bassin souterrain pour stocker l’eau

Pour pallier ce problème, la municipalité de Paris a depuis construit un immense réservoir souterrain dans le quartier Austerlitz, pour stocker le surplus lors des orages. Coût de l’opération : 90 millions d’euros. Pas assez cependant pour éviter les écoulements de matières fécales lors des épisodes pluvieux survenus avant et pendant les JO.

« Il est très difficile de savoir ce qui s’est passé, car la communication de la Ville est verrouillée », remarque l’agent territorial interrogé. Peut-être certaines portions d’égout ont-elles quand même déversé leur surplus dans la Seine ? Peut-être y a-t-il eu des fuites non réparées dans les réseaux de la capitale ?

« Ce qu’on peut constater, c’est que le plan baignade n’a pas réglé le problème de la pollution, dit notre observateur. Dans les années 2010, on estimait que la Seine était baignable dès lors qu’il ne pleuvait pas pendant une à deux semaines… Malgré les travaux et l’argent investi, ça semble toujours être le cas. » En d’autres termes, on fait du surplace.

La maire de Paris, Anne Hidalgo, se baigne dans la Seine le 17 juillet 2024.
© AFP / Emmanuel Dunand

Un constat nuancé par le chercheur Jean-Marie Mouchel. « Est-ce que les travaux ont porté leurs fruits ? On n’en sait rien pour le moment, insiste l’hydrologue, qui suit depuis plus de trente ans l’évolution de la Seine. Sans doute que les opérations menées ont eu un effet mais il est trop tôt pour le mesurer précisément. » La plupart des ouvrages ont en effet été livrés début 2024 : il faudra attendre quelques années pour évaluer les conséquences.

Pour le scientifique, il sera de toute façon « impossible d’atteindre une qualité de l’eau suffisante tout le temps et partout » : « Rendre la Seine baignable n’importe quand, c’est une absurdité, souligne-t-il. Dès lors que les conditions météorologiques ne sont pas réunies, on n’y arrivera pas. » Autrement dit, vu l’ampleur de la tâche, « il y aura toujours un peu d’eau usée pour s’insinuer quelque part ».

Rien que sous Paris, il existe quelque 2 600 kilomètres d’égouts. Contrôler les défaillances, colmater les fuites… Tout ceci relève de la gageure. Sur son blog Mediapart, un égoutier relevait ainsi : « Si les ouvrages déjà existants ne sont pas curés correctement et réparés régulièrement, à quoi bon agrandir le réseau ? Quid de l’entretien de ces structures une fois les JO passés ? » Et l’homme de conclure : « Il y a quelques raisons objectives de douter de l’héritage qui sera réellement laissé par les JO. »

Limiter le ruissellement en désimperméabilisant

Alors, faut-il dire adieu aux perspectives rafraîchissantes d’un plongeon dans la Seine ? « Il n’est pas illusoire qu’on puisse se baigner dans la Seine », rassure Jean-Marie Mouchel. Quand il fera assez beau et sec. « Ce qui est certain, c’est que la baignade ne sera pas possible tous les jours, enchérit Lionel Cheylus, de l’ONG Surfrider, qui suit le dossier de près. Mais quand on va se baigner dans l’océan, c’est un peu pareil. On trouve souvent un drapeau violet interdisant le bain après des orages. »

Selon tous nos interlocuteurs, le chemin sera encore long avant de pouvoir batifoler dans les eaux franciliennes. Poursuivre la lutte contre les fuites et les mauvais branchements, limiter au maximum le ruissellement. « Il faut garder et infiltrer au maximum les eaux de pluie sur chaque parcelle », affirme notre agent territorial. En installant des récupérateurs d’eau partout, en désimperméabilisant dès que c’est possible. Autre piste, pour le moment ignorée par les pouvoirs publics : déployer des toilettes sèches.

Côté réglementation, là aussi, tout n’est pas joué. Le droit européen impose normalement des analyses de qualité satisfaisantes – sans trop de bactéries pendant 90 % du temps – sur quatre ans avant d’autoriser le grand plouf. Mais des dérogations sont toujours possibles… Enfin, « il ne suffit pas d’avoir de l’eau relativement propre, rappelle Jean-Marie Mouchel. Il faut aussi des sites de baignade accessibles, sécurisés vis-à-vis de la navigation fluviale. » Le travail à accomplir a des airs de marathon.

legende



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *