• dim. Sep 22nd, 2024

Venue d’Amérique, la noix de pécan s’aventure dans le Loiret


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Nangeville (Loiret), reportage

Bien alignés, les jeunes arbres semblent frêles sous les assauts du vent qui balaie le coteau. Des rangées de 350 mètres se succèdent tous les 15 mètres créant un relief inattendu sur l’horizon des champs de blé, d’orge et de tournesol. Quentin Guégand observe soigneusement ses plants au tronc cerclé d’un solide filet en plastique, seul rempart contre l’appétit vorace des chevreuils. « Celui-ci a bien poussé depuis l’an dernier », se félicite-t-il en désignant les 40 à 50 centimètres de tiges et feuilles nouvelles.

Il y a deux ans, l’agriculteur a planté 355 pacaniers à Nangeville, sur une parcelle expérimentale de 15,5 hectares, en cours de conversion biologique. La commune du Loiret, limitrophe de l’Île-de-France, marque le tout début de la Beauce, « un paysage qui a toujours été très ouvert, avec peu d’arbres, et des sols très adaptés à la culture des céréales », tient à rappeler Quentin, paysagiste de formation, métier qu’il continue d’exercer à mi-temps dans une agence à Lyon.

« J’ai découvert le pacanier lors de plusieurs voyages aux États-Unis pendant et après mes études. Là-bas, j’ai goûté la tarte aux noix de pécan. J’aime beaucoup ça ! La pécan ressemble à nos noix, mais en un peu moins amère. » Lorsqu’en 2020, il a repris avec ses deux frères les 138 hectares de la Ferme de la Maîtrise, qui appartenait à ses grands-parents, il a commencé à réfléchir à diversifier la production. Pourquoi ne pas tenter le pacanier bio ?

L’agriculteur a planté ses 355 pacaniers sur une parcelle expérimentale de 15,5 hectares.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Grâce au nom scientifique qui lui a été attribué, Carya illinoinensis, on sait que l’arbre à pacanes est natif de l’Illinois, notamment. « Il est vraiment originaire du bassin du Mississippi, mais son aire de répartition va du nord du Mexique jusque potentiellement Chicago », précise Quentin qui, avant de se lancer, a beaucoup potassé la littérature scientifique américaine sur le sujet.

De Nashville à Nangeville

Nous remontons le champ en suivant une des haies d’arbustes. Une fine poussière s’échappe de sous nos pas malgré la pluie des derniers jours. « C’est un sol très technique à travailler. Il est très argileux et possède une sorte de croûte superficielle qui rend la percée de certaines plantes compliquée. »

Même si Nangeville n’est pas Nashville, le pacanier pourrait finir par s’y plaire. Il a besoin d’étés longs et chauds pour que ses fruits viennent à maturité. « Le réchauffement climatique qu’on subit peut finalement être une opportunité pour développer cette culture », estime le producteur, dont la réflexion a mûri en même temps que les figues de son jardin prospéraient à la faveur d’étés plus chauds.

Les plantations ont été organisées de manière à faciliter la pollinisation anémophile, qui se fait uniquement par le vent.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Pas question pour autant de se lancer tête baissée. La sélection des variétés a fait l’objet d’un travail minutieux. « On a plutôt choisi des variétés du nord et du centre de l’aire de répartition. Shoshoni, wichita, cheyenne, apache… Il y en a huit différentes par ligne. Il a aussi fallu organiser les plantations de manière à faciliter la pollinisation anémophile, c’est-à-dire qui se fait uniquement par le vent. »

Et comme fleurs mâles et fleurs femelles, présentes sur le même pied, s’ouvrent en décalé dans la saison, il faut associer plusieurs variétés afin de favoriser la pollinisation croisée. Des paramètres qui peuvent vite virer au casse-tête au moment de la plantation, assure Quentin.

« On est vraiment dans l’expérimentation », assure Quentin Guégand.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Une alouette des champs ?

À l’originalité de l’arbre, s’ajoute celle de la méthode agronomique. Le paysagiste-agriculteur a en effet décidé de recourir à l’agroforesterie. Autrement dit, il ne remplace pas simplement la culture de blé ou de maïs par la plantation de pacaniers, mais il associe les deux afin qu’à terme, alternent vergers et zones de céréales.

Le noyer de pécan s’apparente, peu ou prou, à notre noyer hexagonal. Certaines variétés peuvent atteindre les 30 m de haut. Peu à peu, l’espace de 15 m entre deux rangs sera grignoté par le houppier des arbres. Ces géants auront toute leur place dans les immenses plaines beauceronnes, veut croire Quentin Guégand.

Celui qui s’intéresse depuis toujours aux arbres voit un double avantage dans l’approche agroforestière : d’une part, il est possible de continuer à produire sur les parcelles, et donc à conserver une rentabilité économique, sans attendre que les arbres soient à pleine maturité, ce qui prend plusieurs années. D’autre part, les deux cultures se complètent et apportent l’une à l’autre. Les pacaniers grandissent sur une étroite bande enherbée de 3 m, qui les protège du passage des machines agricoles.

« C’est fou comme, très rapidement, on voit le terrain s’enrichir en vers de terre, en insectes auxiliaires… »
© NnoMan Cadoret / Reporterre

« Nous y avons semé un mélange de diverses plantes mellifères, dit Quentin, au pied duquel s’épanouissent des fleurs de trèfle blanc, de mauve, de sauge, de camomille sauvage. L’agroforesterie apporte de la biodiversité, c’est indéniable. C’est fou comme, très rapidement, on voit le terrain s’enrichir en vers de terre, en insectes auxiliaires… Les rapaces sont présents. Tout comme les mulots ! »

Soudain à une vingtaine de mètres, un oiseau virevolte et se met à pousser une petite mélodie au-dessus des tournesols. Une alouette des champs ? « Ce serait une super nouvelle, ça, une alouette ! » lance Quentin, tant l’oiseau semble avoir disparu dans ces grandes cultures céréalières.

Il faudra patienter « au moins 5 ou 6 ans » avant de déguster les premières noix et tartes.
© NnoMan Cadoret / Reporterre ; à d. : Flickr/CC BYNC 2.0/Joey Rozier

Luzerne et tournesols

Cette année, le voisin auquel les Guégand font appel — faute de matériel, ils ont choisi de lui déléguer la culture des céréales et de le payer sur factures — a semé du tournesol et de la luzerne entre deux rangées de pacaniers. L’an dernier, c’était du maïs. Les pieds de tournesol dépassent les 1 m en ce début juillet, tandis que les feuilles de luzerne commencent à peine à poindre. Ces dernières prendront le relais lorsque le tournesol sera moissonné et resteront en place pendant trois ans. Alors une nouvelle rotation de culture sera mise en œuvre.

Comme pour toute culture, se pose la sensible question de l’eau. Le pacanier en réclame au moment de la formation des fruits. De « 3 500 à 4 000 m³/ha », évalue l’Association française d’agroforesterie dans la fiche technique dédiée. Pour l’heure, Quentin envisage un système d’irrigation « soit en goutte-à-goutte, soit par micro-aspersion », mais espère pouvoir s’en passer, l’arbre étant réputé plus résistant aux sécheresses que le noyer commun.

L’agriculteur a semé du tournesol et de la luzerne entre deux rangées de pacaniers.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

« Peut-être que des variétés qu’on a mises n’arriveront jamais à maturité. Je ne sais pas. On est vraiment dans l’expérimentation, insiste le propriétaire loirétain. C’est pour ça que le projet French Pécan auquel nous participons est intéressant, il va permettre de suivre notre parcelle de près. »

Ce projet, démarré en 2022, est piloté par l’Association française d’agroforesterie et financé par l’Union européenne et la Région Nouvelle-Aquitaine. Objectif : étudier dans quelle mesure la culture du pacanier pourrait être déployée en France, et diffuser les enseignements des expériences menées ici et là.

Transformation et vente directe

« Nous recevons des messages d’agriculteurs de toute la France qui testent, à leur échelle, et souhaitent rejoindre la démarche, dit Mathieu Duflos, coordinateur du Pôle filières et valorisation de l’association. Bien que les premiers fruits apparaissent déjà chez certains, les volumes sont encore largement anecdotiques. Il faudra encore patienter quelques années. »

Pour Quentin Guégand, le pacanier est aussi la promesse d’un retour à une agriculture plus humaine. « Il y avait l’envie pour moi de ne pas rester que dans un système de culture où l’on vend des tonnes de grains au silo le plus proche, avec des prix indexés sur le cours mondial. Ensuite, le grain part on ne sait où, pour faire on ne sait quoi. »

Il souhaite se diversifier avec ce produit de niche à très forte valeur ajoutée. « On ne raisonne plus trop à la tonne avec la noix, mais presque au kilo. On change d’échelle, avec un truc un peu plus artisanal. » En suivant sa production de A à Z avec de la vente directe et pourquoi pas de la transformation, « autour d’un produit de pâtisserie, par exemple », il espère se réapproprier un peu le fruit des terres familiales. Mais il faudra patienter plusieurs années, « au moins 5 ou 6 ans », avant de déguster les premières noix et tartes. On a prévu de revenir les goûter.



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