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Vous avez dit « sentiment d’abandon » ?, par Benoît Coquard & Clara Deville (Le Monde diplomatique, juillet 2024)

ByVeritatis

Août 16, 2024


Dossier : France, de la crise au chaos politique

Faire ce qu’on veut chez soi. Ne dépendre de personne. Surtout pas d’un État qui ne satisfait plus les demandes qu’on lui adresse mais multiplie les exigences. Fréquent en milieu rural, un tel état d’esprit favorise le Rassemblement national. Ses porte-parole affirment en effet la capacité de s’en sortir sans réclamer, à condition que le mérite individuel soit récompensé.

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Aaron Johnson. – « Cosmic Collider » (Collisionneur cosmique), 2020

C’est devenu une évidence : en milieu rural, les classes populaires se sentiraient « abandonnées » par l’État. Ce serait même l’un des principaux ressorts de leur affinité avec le Rassemblement national (RN), mais aussi une porte d’entrée pour une gauche cherchant à reprendre pied en dehors des grandes agglomérations. Les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty font ainsi de cette reconquête des classes populaires rurales la « priorité absolue pour le bloc social-écologique », puis invitent à combattre leur « sentiment d’abandon » par des mesures sociales et économiques adaptées.

Mais que recouvre cette expression d’apparence bienveillante de « sentiment d’abandon », entonnée de concert par l’ensemble du champ politique et médiatique ? Un appel à la prudence s’impose car on devine plus que jamais les conséquences sociales de ces mots utilisés pour résumer ce que penseraient les classes populaires. Quand, par exemple, l’« insécurité culturelle » devient la clé de compréhension des conduites des « petits Blancs », cela autorise une certaine bourgeoisie conservatrice à faire reposer sur d’autres ses propres paniques. Et l’offensive sémantique qui soutient une telle grille de lecture ferait presque oublier qu’un mouvement massif et inédit comme celui des « gilets jaunes » portait des revendications économiques et sociales tout autres — la critique du mépris et de l’arrogance du chef de l’État, le désir de pouvoir vivre dignement, l’injustice fiscale… En cela, les classes populaires rurales restent l’archétype de la « classe objet », « parlée plus qu’elle ne parle », selon les formules de Pierre Bourdieu.

L’explication des conduites politiques par le seul sentiment d’abandon participe du même écueil. Si l’expression s’appuie sur un constat tangible, elle fait l’objet de trop nombreux raccourcis quant à ses effets sur les individus concernés. L’« abandon » des campagnes par les services publics est largement documenté. Dans les villes ou les bourgs populaires que nous avons étudiés, (…)

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Benoît Coquard &

Clara Deville

Sociologues à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), membres du Centre d’économie et de sociologie appliquées à l’agriculture et aux espaces ruraux, à Dijon.



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