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6 mois après, ils vivent toujours en mobil-home


Longuenesse (Pas-de-Calais), reportage

À l’entrée du site, la pancarte « Bienvenue chez Flandria Loisirs, le choix de la qualité » fleure bon les vacances. Mais les occupants de la petite dizaine de mobil-homes blancs alignés les uns derrière les autres ne sont pas là pour profiter de leurs congés d’été. Depuis six mois, plusieurs familles qui ont tout perdu dans les inondations de novembre et janvier vivent au « village des sinistrés » de Longuenesse, dans le Pas-de-Calais. Les mobil-homes ont été installés début février sur un site désaffecté de la communauté d’agglomération du Pays de Saint-Omer.

Lire aussi : Inondations : au « village des sinistrés » du Pas-de-Calais

En ce début d’après-midi, tandis que le département est en alerte jaune canicule, le site, sous une chaleur écrasante, est désert. Sur le terrain bétonné, hormis quelques tables, un abri pour les lave-linge, un trampoline cassé et une serre en guise de garage à vélos pour les enfants, il n’y a aucun équipement. Si le relogement devait être provisoire, à la mi-août, neuf mobil-homes sont encore occupés sur la vingtaine mise à disposition. Au fur et à mesure, le lieu se vide. Tous ceux qui ont pu partir l’ont fait, ne reste que les personnes n’ayant pas trouvé d’autre logement.

Éric, lui, est encore là. Le quinquagénaire vivait dans la maison de sa mère non loin d’ici à Clairmarais, jusqu’à ce qu’elle se retrouve inondée à trois reprises. Début janvier, l’eau est montée jusqu’à 90 centimètres et a tout détruit. Faute de solutions, l’ancien ouvrier qui touche une pension d’invalidité de 1 000 euros par mois est arrivé au « village des sinistrés » le 7 février avec son fils Christopher, la compagne de ce dernier, Adeline et sa chienne Maya. Après l’assurance, c’est désormais l’État qui prend en charge le loyer de 625 euros. Les charges, de 200 euros, sont payées par le locataire.

Éric est ici depuis le 7 février dernier. Deux semaines après son installation, les médecins lui ont détecté un cancer de la gorge.
© Cha Gonzalez / Reporterre

« Quand il y a des orages, j’ai la boule au ventre »

En six mois, depuis notre dernière rencontre, Éric a changé physiquement. Très amaigri et presque chauve sous sa casquette, il affiche tout de même un large sourire, visiblement heureux de nous revoir. « On m’a détecté un cancer de la gorge quinze jours après mon arrivée ici », explique-t-il, d’emblée. Soigné par radiothérapie, « le traitement m’a fait perdre l’appétit, je ne mangeais plus », poursuit-il avant de s’allumer une cigarette. « J’ai recommencé à fumer, c’était trop difficile. »

Entouré de Christopher, Adeline et Maya, « heureusement que je n’étais pas seul, sinon je ne sais pas ce que je serais devenu », lâche-t-il, en lançant un caillou à Maya. Joyeuse, la chienne s’élance à sa recherche avant de le rapporter au pied de son maître. Au départ, s’il ne pensait pas rester aussi longtemps ici, entre ses rendez-vous médicaux, les visites à sa mère, les recherches d’appartement… « le temps est passé vite ». Après un printemps et un début d’été très pluvieux, il peut enfin profiter du soleil sur la table en bois devant son mobil-home qu’il a récupérée après le départ d’autres occupants : « Ça me fait du bien de me poser là ; à l’intérieur, c’est déprimant. »

Éric, ici avec sa chienne Maya, craint le retour des inondations.
© Cha Gonzalez / Reporterre

Dans cette avalanche de mauvaises nouvelles, il y aura quand même eu cet été une belle journée à la plage de Calais en famille, une visite d’un zoo des environs et quelques parties de belote avec ses anciens voisins. Avec les nouveaux, les liens ne se sont pas trop développés. Ici, il n’y a ni parties de pétanque ni activité organisée avec les autres occupants des mobil-homes : « On a beau être tous dans la même galère, on ne se parle pas vraiment. Lorsque les gens partent, ils ne disent pas au revoir. » Du côté des politiques, « personne n’est venu nous voir, on nous laisse à notre sort ».

S’il dit se sentir « mieux physiquement », le traumatisme des inondations est toujours là. « Lorsque je revois le fleuve, je ressasse de mauvais souvenirs, et quand il y a des orages, j’ai la boule au ventre. Aussi, je ne sais pas si ça a un lien mais, depuis que je suis ici, je n’arrive plus à regarder un film jusqu’au bout, ça ne m’intéresse plus. » On lui a proposé un soutien psychologique, mais Éric n’en a pas voulu. Tandis que plusieurs habitations aux alentours ont été inondées début août, il est allé voir si la maison de sa mère n’avait pas été touchée. Ce n’était pas le cas cette fois.

« Les inondations vont recommencer »

« De toute façon, l’État a racheté à ma mère sa maison, elle va être détruite. » Dans le cadre du fonds Barnier, l’État est en train d’acquérir les propriétés situées en zone inondable à la condition que le montant des dégâts dépasse la moitié de la valeur à la revente du bien, dans la limite de 240 000 euros. Si des dossiers continuent d’être déposés, fin mai, sur la quarantaine de demandes, une vingtaine étaient éligibles selon France Bleu Nord-Pas-de-Calais.

Éric a beau avoir toujours vécu dans cette maison, « [il] ne veu[t] pas y retourner, c’est sûr que les inondations vont recommencer ». S’il se dit convaincu que des crues aussi intenses et fréquentes sont causées par le dérèglement climatique, il ne se considère pas comme une victime climatique. C’est pourtant ce qu’il est, une victime oubliée.

Éric : « Lorsque je revois le fleuve, je ressasse de mauvais souvenirs. »
© Cha Gonzalez / Reporterre

« Ici, c’est le village des oubliés »

Dans tout le Pas-de-Calais, 6 500 habitations ont été sinistrées en novembre et 2 800 en janvier, selon la préfecture. Près de 300 demandes de relogement temporaire avaient été déposées en février. Sur un marché locatif déjà tendu, toutes les demandes n’ont pu être satisfaites.

« Je téléphonais tous les jours à des agences immobilières, il n’y avait rien. J’ai fini par trouver une maison par l’aide d’un ami, j’emménage en septembre », se réjouit Éric. Située à trente minutes en voiture de Longuenesse, « c’est un petit village sans aucun commerce, je ne connais personne et il y a seulement une cour pour Maya, mais au moins la maison n’est pas en zone inondable, c’est tout ce que je demande ».

« On vit dans le néant »

De l’autre côté du terrain, Gwendoline et Alexis, que Reporterre a rencontrés il y a six mois, sont eux aussi toujours là. Le couple va retourner dans son ancienne maison de Fauquembergues avec leurs trois filles âgées de 2 à 12 ans et le fils d’Alexis, faute de mieux. Leur propriétaire, qui avait six mois pour engager les travaux, les a démarrés quatre jours avant la date butoir et ils ne sont toujours pas terminés. « On ne veut pas revivre là-bas, les enfants en font encore des cauchemars. Ça va être à nouveau inondé, c’est sûr, mais on n’a rien trouvé d’autre », souffle l’autoentrepreneur dans le bâtiment, entre deux bouffées de cigarette électronique. En attendant, « on vit dans le néant ».

Au « village des sinistrés » depuis début février, la famille s’est installée dans un mobil-home de 36 m2. Après avoir durement négocié avec le propriétaire, ils ont pu obtenir un mobil-home plus grand avec trois chambres. N’empêche qu’ils sont à l’étroit : « À cause de ça, je ne vois mon fils que le week-end, il préfère vivre chez sa mère, c’est beaucoup trop petit ici. » En colère, le papa en veut aux élus qui n’ont pas suffisamment aidé les sinistrés, comme au propriétaire des bungalows. « Tout le monde s’en fout de nous, ici, c’est le village des oubliés. »

La moitié des mobil-homes ont été enlevés suite au départ des propriétaires dont les maisons ont été rénovées.
© Cha Gonzalez / Reporterre

« Bon courage aux prochains locataires »

« On nous avait promis plein de choses comme des jeux pour les enfants et, au final, on a eu seulement un trampoline qui s’est très vite cassé. Qu’est-ce que ça coûtait d’installer une balançoire ? » Alexis a finalement acheté un autre trampoline qui, lui, fonctionne encore. Les tables et l’abri à vélos ont été offerts par l’association des Compagnons bâtisseurs et les lave-linge ont été donnés par la Croix-Rouge. La famille a tout de même pu partir en vacances une semaine dans un camping de la Somme. « Là-bas, il y avait une piscine et des jeux pour les enfants, ça leur a fait du bien. »

Dans le bungalow juste à côté, Anthony, Océane et ses trois enfants âgés de 10, 9 et 4 ans ne sont, eux, pas partis en vacances. « Pour partir dans un mobil-home ? Pas la peine, on y est déjà », répond la maman de 28 ans, remplissant d’eau la petite piscine gonflable achetée il y a quelques jours face à la chaleur. Tentant de faire de l’air avec un bout de carton en guise d’éventail, elle passe ses journées au téléphone ou sur internet à tenter de trouver un logement.

Malgré la chaleur, Océane passe ses journées à chercher un logement.
© Cha Gonzalez / Reporterre

Le lendemain, Océane a rendez-vous avec le bailleur social Habitat Hauts-de-France, « mais [elle] n’y croi[t] plus ». Ayant vécu deux fois des inondations, ils ne veulent plus retourner dans la maison qu’ils louaient. « Bon courage aux prochains locataires, on préfère rester ici même si les charges d’eau et d’électricité sont délirantes. En deux mois, notre consommation d’eau est passée de 8 à 14 m3 ce printemps, c’est n’importe quoi. »

Parmi les rares points positifs, le couple a sympathisé avec Gwendoline et Alexis grâce aux enfants et ils s’organisent de temps en temps des apéros. Océane a également créé mi-juillet la page Facebook « Les sinistrés de Longuenesse » pour partager les galères quotidiennes. Pour combien de temps encore ? « Tout ce que l’on sait, c’est qu’on va devoir partir en novembre, le terrain sera transformé en club de patins à roulettes. »



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