• ven. Sep 20th, 2024

Les écolieux, mille et un bastions de la lutte contre l’extrême droite


Sainte-Camelle (Ariège)

Une fois la bruine dissipée, ils sont arrivés au compte-gouttes. En van, à pied, en train… Près de 600 festivaliers ont peu à peu investi l’écovillage de Sainte-Camelle, dans l’Ariège et ses vallons pleins de moutons. Du 21 au 25 août s’y déroule le Festival Oasis, le grand rassemblement annuel des écolieux — ces espaces où l’on essaie d’inventer un monde alternatif.

Environ 1 400 de ces hameaux, villages, habitats partagés… rassemblant plus de 12 000 personnes sont répartis sur toute la France. Réunis au sein de la coopérative Oasis, qui organise le festival, l’écrasante majorité d’entre eux, 95 % selon la coopérative, a investi des territoires ruraux. Soit des zones submergées par une vague brune lors des derniers rendez-vous électoraux.

Parler frontalement de politique s’apparente à une minirévolution pour ces lieux originellement tournés vers l’écologie, le bien-être ou le développement personnel.
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

Surpris par la déferlante du Rassemblement national, ces écolieux n’échappent pas à l’atmosphère politique. Alors pour cette édition, l’envie de politiser un peu plus le mouvement figure au menu. « Au-delà d’être le grand rassemblement annuel des écovillages français, ce festival a un petit goût d’université d’été, plus politisée, car évidemment, vivre en écolieu est éminemment politique », assure Nora Guelton, responsable de la communication de la coopérative. « 1 400 écolieux, c’est 1 400 singularités, mais aussi un ensemble prometteur qui incarne des utopies concrètes », s’amuse Patrick Viveret, philosophe, qui a participé à la table ronde inaugurale du 21 août consacrée aux effets des écolieux sur la société.

Nouvelle façon de vivre

C’est entendu, les Oasis inventent une nouvelle façon de vivre, plus écologique, plus joyeuse, un peu en marge mais pleine d’allant. Économie, inclusivité, mobilités, gouvernance, mutualisation… Ces sujets vibrent au cœur du quotidien de leurs habitants. Car ces lieux ont l’ambition de s’extraire des pouvoirs centralisés de la France jacobine tout en cherchant à créer des organisations humaines où le pouvoir est remis au pot, ou plus exactement mieux partagé. Ces archipels où l’on vit plus sobrement (voir encadré) incarnent à merveille ce « vivre-ensemble » que les partis politiques érigent en modèle sans réussir à rabibocher la société, sauf, peut-être, pendant d’improbables Jeux olympiques.

Le festival a lieu dans l’écovillage de Sainte-Camelle (Ariège), fondé en 2011. Il occupe une surface de 18 Ha (dont 11 Ha de forêt) et accueille une quinzaine d’habitants.
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

Loin d’être repliés sur eux-mêmes, en vase clos, dans le doux périmètre de leur domaine, les habitants de ces espaces s’engagent dans leur territoire, créent d’innombrables initiatives citoyennes qui tricotent le lien social (tiers-lieu, fêtes…). C’est le cas — entre autres — de l’oasis Du Coq à l’âme, un lieu gigantesque de 26 hectares en Charente, qui réunit 20 foyers (environ 30 adultes et 15 enfants). Il a reçu un accueil plutôt favorable de la part des élus et de la population. Il faut dire qu’il se consacre à réinvestir 7 000 m2 de bâti et veut s’inscrire durablement dans la transformation de son territoire.

L’importance d’occuper l’espace politique

« Nous entrons dans bon nombre de dispositifs existants : fabrique des territoires, petites villes de demain, écoquartier, ferme pédagogique… Nous souhaitons faire de l’accueil, tenir un café associatif, monter un repair café, un fablab… » déroule Danièle Bacheré, l’instigatrice du Coq à l’âme. L’autre particularité de ce lieu est de s’être adossé à des chercheurs en sciences sociales, énergie, fertilité des sols, écoconstruction… et de devenir un laboratoire « pour de vrai ». « On intrigue, on intéresse et on nous demande d’apporter des forces vives, mais cela revient aussi, parfois, à devenir des prestataires au lieu de réfléchir avec les élus au devenir du territoire. »

Environ 1 400 de ces hameaux, villages, habitats partagés… rassemblant plus de 12 000 personnes sont répartis sur toute la France. En voici quelques uns.
Extrait du site de la coopérative Oasis

Parler frontalement de politique s’apparente à une minirévolution pour ces lieux originellement tournés vers l’écologie, le bien-être ou le développement personnel. Pour Girl go green, aka Camille Chaudron, occuper l’espace politique est non négociable. Cette créatrice de contenus militante, forte de 128 000 abonnés, estime qu’il est temps de déplacer la fenêtre d’Overton du côté des alternatives comme les écolieux.

« C’est même de notre responsabilité, assure-t-elle, car en devenant plus inspirants, plus désirables, ces lieux attirent encore plus de monde. Les valeurs d’inclusivité, d’écologie y sont essentiels mais ils questionnent aussi notre rapport à l’argent, au temps ou au travail. » À la question : « Faut-il être désirable et instagrammable au risque de perdre sa radicalité ? » Elle répond mille fois oui car « à chaque fois que l’on touche des personnes non convaincues ou concernées, on attire encore plus de monde ».

Laboratoire d’un autre monde

Et puis, 1 400 lieux et 12 000 personnes, c’est loin d’être un raz de marée… « Au-delà de l’aspect concret de la vie en vert, ces espaces ont même une fonction cathartique et/ou soignante : ils prouvent qu’il reste de l’espace pour autre chose, de la couleur et de la beauté, du simple et du lent, du préservé », dit-elle à Reporterre. Les écolieux s’inscrivent peut-être moins dans les luttes et les résistances à des projets inutiles mais ils se positionnent aussi comme laboratoires d’un « autre monde possible ». Et pour certaines et certains comme bases arrière ou zones de repli.

« L’entrée en résistance » revient souvent dans la bouche des festivaliers. Et pour beaucoup, vivre dans ces « utopies concrètes » constitue déjà un acte de résistance. « Il y a de l’insoutenable, alors forcément, il y a de la résistance, balance Patrick Viveret en introduisant son trépied du REV taillé sur mesure pour les écolieux. « D’abord, R comme résistance créatrice, ces lieux inventent une façon d’être en résistance et pas forcément uniquement en révolte. E comme expérimentation anticipatrice, car on y essaie d’autres façons de faire qui aideront peut-être à mieux traverser les crises. Le V apporte la vision transformatrice tant utile à l’invention d’alternatives. » Et de pointer que l’émergence de noms tels que ceux de Lucie Castets, Huguette Bello ou Laurence Tubiana au sein du Nouveau Front populaire s’apparente déjà à une innovation démocratique : l’élection sans candidat, une forme prisée de désignation des personnes-ressources dans les oasis. « Ces femmes n’étaient candidates à rien mais leurs noms ont émergé. C’est nouveau et cela mérite d’être multiplié. »

« Ces espaces ont même une fonction cathartique »

Après l’effroi de la séquence dissolution, ces lieux noyés dans une ruralité kidnappée par l’extrême droite veulent aider à tisser des ponts vers des populations à l’autre bout de leur spectre politique. « Cela se fait avec le temps, en parlant à tout le monde, sans relâche, en se mettant en position d’écoute et en touchant à l’humanité de chacun », sourit simplement Danièle Bacheré. De nombreuses oasis ont les municipales de 2026 en ligne de mire, mais aussi d’éventuelles autres législatives anticipées ou la présidentielle de 2027.

Près de 600 personnes ont investi l’écovillage de Sainte-Camelle, dans l’Ariège, pour le Festival Oasis.
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

D’ici là, comment s’engager et aider à rabibocher une société divisée ? « Beaucoup d’écolieux expérimentés alimentent déjà les conseils municipaux de leur commune, assure Mathieu Labonne, directeur de la coopérative Oasis et habitant de l’écohameau du Plessis, en Eure-et-Loir. « Après une première phase d’installation, ces personnes composent avec la défiance d’une partie de la population. Et pour les municipales, la question se posera pour beaucoup de monter ou de participer à des listes électorales (citoyennes ou non) et ainsi de cranter encore davantage leur impact sur le territoire. »

Est-ce que les Oasis — avec leur mode de gouvernance plus horizontal, les innovations démocratiques comme la sociocratie, l’holacratie, etc. — peuvent participer au renouvellement démocratique ? Ce sera l’objet d’une table ronde vendredi 23 août.

LA VIE MOINS CARBONÉE DES ÉCOLIEUX

Dans les écolieux, on teste de nouvelles formes de gouvernance, des relations profondes, des modes de vie mutualisés et solidaires. Et, aussi, une vie décarbonée de moitié par rapport à la moyenne des Français. D’après le cabinet BL Evolution qui a mené une étude sur la vie de 600 personnes réparties dans 48 oasis en 2022, une personne vivant en écolieu présente un bilan carbone de 5,4 tonnes par an seulement, contre 9,9 tonnes de CO2/an/habitant en moyenne en France.

Extrait de l’étude : « Les habitant.e.s des Oasis se distinguent par une grande sobriété dans la gestion de leur logement et par une mutualisation de biens et un recours plus faibles aux services (banques, assurances, produit électroménagers…). Leur régime alimentaire — un tiers de la quantité de viande moyenne consommée par un Français — leur permet de diviser par deux l’empreinte carbone de leur alimentation. Malgré un kilométrage supérieur à la moyenne française, leur empreinte carbone est de 25 % inférieure à celle des Français mais c’est clairement le poste où il reste une marge de manœuvre. »

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