• ven. Sep 20th, 2024

Réservation obligatoire dans le TER : la méfiance des usagers


Bientôt une réservation obligatoire dans tous les TER de France ? C’est l’information qui a buzzé ces derniers jours dans la presse. « Ce débat, non-vérifié, est sans fondement et ne reflète aucunement les travaux en cours sur les transports express régionaux », a réagi le 21 août Régions de France, porte-parole des quinze régions organisatrices des TER, évacuant ainsi toute velléité de généraliser la réservation obligatoire.

« C’est une prise de position qui va dans le sens du report modal ! » s’est réjouie la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) dans un tweet. L’association en profite pour demander aux deux régions qui ont déjà mis en place cette réservation obligatoire sur quelques lignes de revenir en arrière.

« C’est le 1ᵉʳ qui a réservé qui pourra voyager »

Cette réservation — gratuite — est imposée depuis le 6 juillet dernier par la Région Grand Est sur les lignes Paris-Strasbourg et Paris-Mulhouse. Elle y voit un moyen de garantir une place assise à chaque voyageur dans ces trains souvent bondés. « Il convient de noter que les deux lignes en question sont d’anciennes lignes d’équilibre du territoire qui ont été transférées de l’État vers la Région, explique la collectivité interrogée par Reporterre. Ces lignes longues distances (513 km pour la ligne Paris-Strasbourg et 492 km pour la ligne Paris-Mulhouse) ont également la particularité d’accueillir, à certaines périodes de l’année, de nombreux usagers de TGV complets vers Strasbourg ou Mulhouse qui se reportent sur le TER. »

Mais la nouvelle obligation est dénoncée par de nombreux usagers. « C’est le 1ᵉʳ qui a réservé qui pourra voyager, déplore Anthony Petit, habitant d’Épernay et président de l’association des usagers du TER Adult Vallée de la Marne, qui a lancé une pétition contre cette mesure en avril 2024. Forcément, il y a des gens qui vont se retrouver sur le carreau puisque la région [Grand Est] est dans l’incapacité de mettre une offre suffisante en face de la demande. » Cette dernière assure pourtant, avec ce dispositif, « pouvoir mieux anticiper les besoins en terme de capacité, et ajuster l’offre à la demande ».

En Normandie où plusieurs lignes sont à réservation obligatoire depuis 2022, les associations d’usagers se disent satisfaites.
Momo Ratp / CC BYSA 4.0 / Wikimedia Commons

Adult Vallée de la Marne a toutefois obtenu plusieurs assouplissements. Les voyageurs occasionnels peuvent modifier leur billet sans frais jusqu’à l’heure du départ du train, contre un délai préalable de 24 heures dans le projet initial. Quant aux abonnés, ils ont le droit de prendre le train d’avant ou le train d’après celui qu’ils avaient réservé, sans nouvelle réservation. Ils peuvent alors s’asseoir dans la voiture dédiée au placement libre.

« Les trains disposent de 12,5 % de places sans réservation obligatoire, précise Anthony Petit. Pour les trains qui s’arrêtent en banlieue parisienne, 25 % des places sont en placement libre. » C’est l’un des couacs de cette nouvelle règle : les abonnés franciliens qui montent à la gare de la Ferté-sous-Jouarre sont dispensés de réservation : « Ils possèdent un abonnement Navigo que la SNCF est incapable de connecter avec le système de réservation des TER », explique le président de l’Adult. Des places en accès libre leur sont donc dédiées.

Une situation qui va forcément créer des conflits, juge Pierre Debano, membre de l’Adult et ex-usager régulier de la ligne entre Paris et Épernay : « Les trains sont bondés et comme les places réservées ne sont pas affichées, les gens s’assoient n’importe où. Ma femme s’est ainsi retrouvée récemment à devoir demander à une personne de lui laisser la place qu’elle avait réservée. La personne a été conciliante, heureusement. »

« Plus personne ne voyage debout, contrairement à il y a quelques années où c’était l’horreur »

La Normandie est elle aussi passée à la réservation obligatoire depuis juillet 2022 sur quatre lignes de TER : Paris-Granville, Paris-Caen-Cherbourg, Paris-Deauville et Paris-Rouen-Le Havre. Qu’en pensent les usagers normands ? « Pour une fois que quelque chose fonctionne bien, il faut le dire ! » répond Karine Courteaud, « navetteuse » sur la ligne Paris-Rouen depuis 15 ans et présidente de l’Association de défense des usagers du rail normand (Adurn), qui fédère 350 membres et quelque 6 000 personnes via Facebook.

« Honnêtement, je n’ai jamais entendu de gens mécontents ou parler de voyageurs qui n’auraient pas pu monter. Et désormais, plus personne ne voyage debout, contrairement à il y a quelques années où c’était l’horreur », assure-t-elle. Dans le même temps, le TER aurait continué à enregistrer une hausse de sa fréquentation, selon la région.

Pourtant, au départ, les associations n’étaient pas emballées, se souvient Karine Courteaud. « Pour nous, il était hors de question d’ajouter des contraintes aux abonnés. Nous avons donc exigé d’une part d’attendre que tous les trains soient renouvelés afin d’avoir un seul type de matériel moderne, équipé pour l’affichage des réservations ; d’autre part, d’avoir un outil fluide, rapide et flexible pour la réservation. » Une application, Ma place à bord, permet aux usagers de réserver leur siège en quelques clics, jusqu’à 45 jours à l’avance. « Oui, ça demande une petite organisation, mais quand on fait la navette tous les jours ou presque, c’est qu’on est organisé et un peu débrouillard ! » dit la Rouennaise.

Elle s’aperçoit aussi que ce système lui facilite la vie pour retrouver ses amis dans le train. « On réserve toujours le même carré. Avant, c’était stressant, il fallait garder les places, et ça créait parfois des conflits avec les autres voyageurs. » Et il est toujours possible de monter dans la voiture 5 où le placement est entièrement libre, sauf le week-end, période la plus chargée.

Pour les usagers du Grand Est, ce n’est pas parce que cela fonctionne en Normandie que cela marchera chez eux, qui ont des trains avec bien moins de places.
Rob Dammers / CC BY 2.0 / Flickr via Wikimedia Commons

Cette expérience réussie ne convainc pourtant pas Anthony Petit. La situation dans le Grand Est est loin d’être comparable avec celle en Normandie, juge-t-il. « Les deux lignes Paris-Strasbourg et Paris-Mulhouse sont les plus mauvaises dans le Grand Est : retards, trains supprimés ou en sous-capacité… Les lignes normandes sont beaucoup mieux desservies, avec des trains de 500 places, quand nous n’avons que des rames de 280 places. » Autre différence : la Normandie a renouvelé tout son matériel alors que le Grand Est fonctionne encore en partie avec des anciennes rames pas adaptées à la réservation.

« Pourquoi vouloir faire passer cette obligation de réservation au forceps ? Pourquoi ne pas avoir attendu, notamment que les distributeurs soient remplacés ? » se demande le président de l’Adult Vallée de la Marne. C’est là un autre dommage collatéral pour les usagers : les actuels distributeurs de billets TER ne permettent pas de réserver une place !

« Les nouveaux équipements ne seront livrés qu’en 2025. En attendant, les billets des deux lignes concernées ne sont plus vendus sur les anciens distributeurs. Il faut utiliser les distributeurs Grandes lignes. » Or, ces derniers ne sont pas tous accessibles à l’extérieur des gares. C’est le cas à Épernay : « Ceux qui prennent le 1ᵉʳ train du matin, quand la gare est encore fermée, ne peuvent pas acheter sur place. Ils doivent anticiper ou acheter en ligne. Ces distributeurs ont même été supprimés des gares des petites villes, car pas assez rentables », accuse le président de l’Adult.

« Avec la réservation obligatoire, on évite de mettre des trains supplémentaires »

L’association insiste : elle n’est pas contre la réservation, seulement contre son caractère obligatoire. Pour elle, le problème de la forte affluence doit être résorbé autrement : « On réclame une hausse de la capacité des trains avec un doublement des rames, mais on nous répond qu’il n’y a pas assez de matériel et que c’est trop cher d’acheter de nouvelles rames. »

Le Réseau européen #enTrain, qui a lancé la pétition Non à l’avionisation des TER ! le 22 juillet en réaction à l’expérimentation Grand Est, pointe un problème de fond. « On est dans une culture du train rare avec une offre ferroviaire assez faible, alors qu’on constate une hausse marquée de la fréquentation ces dernières années. Avec la réservation obligatoire, on évite de mettre des trains supplémentaires et c’est la demande qui doit s’adapter à l’offre », regrette son porte-parole, Vincent Doumeyrou.

Pour le collectif européen, le train régional doit garder un de ses atouts traditionnels, à savoir la souplesse d’accès, surtout en face de son principal concurrent qu’est l’automobile. « Quand vous avez une voiture, elle vous offre une disponibilité permanente. Le train doit absolument être simple et facile d’accès », conclut M. Doumeyrou.

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