• ven. Sep 20th, 2024

les animaux en détresse ont leur numéro d’urgence


Pleumeur-Bodou (Côtes-d’Armor), reportage

Trois petites hirondelles s’affolent entre les mains de Raphaëlle. La vétérinaire manipule un à un les oiseaux, avec délicatesse et précision. Rien n’échappe à son inspection : articulations, os et chairs fragiles sont palpés par ses doigts gantés. Ce mercredi 14 août, au centre de soins de la station de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de l’Île-Grande, la vétérinaire est venue examiner les petits pensionnaires de la structure, oiseaux marins, mammifères, blessés ou juvéniles, dont les bénévoles prennent soin dans l’espoir de les relâcher ensuite.

Avec plus d’une centaine de signalements d’animaux blessés par jour en période estivale, les trois centres pour la faune sauvage de Bretagne ne désemplissent pas et doivent jongler en permanence avec des contraintes de places, de personnel, de moyens. À la clinique pour animaux domestiques où elle exerce, à une heure de là en voiture, Raphaëlle reçoit chaque jour plusieurs animaux sauvages.

La station LPO de l’Île-Grande à Pleumeur-Bodou, dans les Côtes-d’Armor.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Impossible pour elle de les soigner et de les relâcher sur place, afin d’éviter la propagation d’éventuelles maladies entre faune sauvage et animaux domestiques soignés à la clinique. : ceux-ci doivent être emmenés en centres de soins, habilités à les recevoir, pour ne pas être euthanasiés. « C’est difficile d’organiser ces rapatriements », dit la vétérinaire, qui prend déjà de son temps libre pour aider bénévolement la station de l’Île-Grande.

Centraliser les appels, libérer les soignants

Jusqu’à l’année dernière, les centres de soins et cliniques vétérinaires, voire les pompiers ou les mairies recevaient de nombreux appels signalant des animaux en détresse. Difficile pour tous ces acteurs de se coordonner pour rediriger rapidement leurs interlocuteurs, prodiguer des conseils de premier secours ou œuvrer à l’organisation d’un rapatriement en centre de soin. C’est pour ces raisons qu’une plateforme de centralisation des appels a été mise en place en mai, par les associations Terre de Natae et LPO Bretagne.

Les informations sur les oiseaux recueillis sont regroupées sur un tableau afin de connaître l’état de santé et les traitements en cours de chaque pensionnaire.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Active sept jours sur sept, la ligne téléphonique SOS Faune sauvage répond aux signalements d’animaux sauvages en détresse. Au bout du fil, une équipe de six médiateurs conseille et organise, si besoin, le transfert de l’animal, d’un passage en urgence chez un vétérinaire bénévole à un rapatriement en centre de soins.

Ces répondants peuvent alors persuader les appelants de traverser leur département pour amener eux-mêmes l’animal, ou mobiliser un réseau de bénévoles qui deviennent ambulanciers l’espace de quelques heures. Un gain de temps bénéfique pour les acteurs de la chaîne de soin, mais aussi crucial pour la survie des animaux ayant besoin de soins d’urgence. Depuis mai, près de 110 rapatriements bénévoles ont ainsi été effectués pour 275 animaux.

« Je suis un peu comme sa maman »

Dans le centre de la LPO, qui abrite cette semaine 44 pensionnaires, tous les animaux ont besoin de soin ou d’aide pour se nourrir. L’après-midi, l’espace hospitalier est une véritable fourmilière. Pendant que la vétérinaire fait défiler ses patients, les jeunes soignants exécutent de nombreuses tâches, répertoriées sur des tableaux effaçables accrochés au mur.

Sur une table, Thomas, bénévole, nourrit une jeune hirondelle avec une pince, ver après ver. Celle-ci ouvre grand le gosier. « Je suis un peu comme sa maman », dit le jeune homme en souriant. De l’autre côté de la pièce, deux jeunes femmes s’occupent de satisfaire l’appétit de deux choupissons.

Ces hirondelles sont nourries à la main, un ver à la fois.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

De nombreux animaux juvéniles sont amenés au centre. Certains par erreur. « Peu de gens le savent, mais les chouettes hulottes grandissent au sol ! Lorsqu’on nous appelle pour signaler un chouetton à terre, notre rôle est d’expliquer qu’il ne faut surtout pas le ramasser, au risque de l’éloigner de sa mère. Prendre en charge ces appels permet aussi d’éviter les ramassages inopportuns », explique, au bout du fil, Solène, qui travaille en tant que médiatrice salariée de SOS Faune sauvage. Bien qu’il n’y ait pas encore de bilan chiffré de la plateforme, les soignants confirment recevoir moins d’animaux « ramassés » par erreur cette année.

Apprendre à lire dans les plumes

Alors que Raphaëlle enchaîne plus d’une heure de consultation, tous les bénévoles écoutent attentivement les conseils de la vétérinaire, qui explique comment détecter les carences alimentaires sur les plumes d’une pie. L’oiseau trouvé au sol dans un camping est en piteux état. « Vu l’état de son plumage, elle a dû être gardée en captivité ou nourrie dans une décharge », dit la vétérinaire, peu optimiste sur son rétablissement.

La station récupère aussi des rapaces, comme cette chouette effraie.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Hameçons et filets de pêche, vitres, prédation d’animaux de compagnie… « La plus grosse partie des animaux en centre de soin sont arrivés là pour des causes anthropiques », explique la vétérinaire. L’urbanisation et l’artificialisation qui réduisent la taille des écosystèmes y sont pour beaucoup. « On sait aussi que la réduction de l’espace de vie animalier favorise un rétrécissement de leur territoire. Or, les regroupements de populations peuvent favoriser la transmission des maladies », dit Solène.

La ligne de SOS Faune sauvage se veut aussi un espace de médiation et d’information pour les humains qui cohabitent avec toutes ces espèces. « Lorsqu’on reçoit l’appel d’une personne en détresse d’avoir trouvé chez elle une colonie de chauves-souris, il est nécessaire d’avoir au bout du fil une personne formée, capable de rassurer et de conseiller », explique Solène.

Chaleurs et tempêtes

Faire ce travail de médiation donne aussi l’occasion de conseiller les personnes qui veulent aider les petites bêtes en difficulté à cause de la chaleur, en mettant un point d’eau en hauteur sur leur balcon ou leur jardin, par exemple. D’autant que les appels se multiplient d’année en année, notamment en conséquence des bouleversements climatiques. Et ce sans guère de trêve, car en plus des grosses chaleurs estivales qui font chuter les jeunes martinets des nids, l’augmentation du nombre de tempêtes hivernales provoque une hausse des échouages d’oiseaux marins.

La station accueille aussi des hérissons.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

« Clairement, la plateforme libère du temps pour nos bénévoles. On va pouvoir se consacrer entièrement au soin », dit avec soulagement Romain, directeur de la station de l’Île-Grande. Pour l’équipe du centre soins, SOS Faune sauvage représente une tâche de médiation en moins, et donc un bénévole ou un service civique de plus. Une économie de personnel bienvenue pour tous les centres bretons, qui fonctionnent essentiellement grâce aux dons.

Sur les 150 000 euros environ nécessaires par an, pour faire fonctionner la station LPO, les aides régionales représentent 8 000 euros de la Dreal, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Le reste venant de mécènes privés. Plus de 50 % de ces ressources sont utilisées pour payer les deux salariés et le directeur. À l’Île-Grande, l’équipe d’une dizaine de personnes se construit grâce aux services civiques embauchés (trois cette année) et aux bénévoles.

Des bénévoles et des jeunes en service civique prêtent main-forte au centre.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

À cause de ce manque de moyens, le centre doit aussi compter sur le prêt d’appareils de radiologie par une clinique vétérinaire, comme celle où exerce Raphaëlle. Ce qui signifie pour les membres du centre, des allers-retours fréquents en voiture, sur les pauses de midi ou les jours de weekend, pour venir utiliser les appareils lorsque les professionnels de la clinique n’en font pas l’usage. « Le problème, c’est que personne n’est tenu de payer tout cela, car la faune sauvage n’appartient à personne », dit la vétérinaire à l’issue de ses consultations.

« Le problème, c’est que personne n’est tenu de payer »

Avec des confrères et consœurs ayant un intérêt pour la faune sauvage, elle a fait partie des comités de discussions entre professionnels soignants et pouvoirs publics qui ont contribué à la création de SOS Faune sauvage. La plateforme doit aussi permettre de recenser les difficultés rencontrées par ces différents acteurs. À l’issue de la période expérimentale de trois ans, elle coordonnera d’éventuelles demandes de subventions entre les trois centres de soins pour la faune sauvage existant en Bretagne.

Lorsque tout s’est bien passé, les pensionnaires sont remis en liberté.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Alors que la journée s’achève à l’Île-Grande, les bénévoles et la vétérinaire se rendent à la grande volière. C’est là que sont d’abord relâchés les oiseaux avant d’être remis en liberté. Aujourd’hui, un des jeunes goélands qui s’y trouve est chanceux. En le regardant voler, Raphaëlle est catégorique : il peut être relâché. Devant le centre, sur la lande de la presqu’île balayée par le vent, les bénévoles se réunissent pour ce grand moment.

Des badauds intrigués s’approchent. Une boîte s’ouvre, le goéland en sort. Pataud, il hésite face à la falaise, observe une dernière fois ses bienfaiteurs et prend son envol, soulevé par les bourrasques. « Il doit nous dire “ciao les nazes” », dit Marion en rigolant. Ces happy ends sont une des gratifications qui encouragent les bénévoles à se remettre au travail.



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