• lun. Sep 16th, 2024

Grâce à l’échange de savoir-faire, un collectif paysan revigore un village belge


Macon et Ragnies (Wallonie, Belgique), reportage

Incrusté dans la botte du Hainaut, à la lisière de la frontière française, Macon, 711 habitants, est un village belge cerné par les bocages. À sa sortie, une ferme aux murs enduits de chaux, traversée par une route, se dresse. Nous voici à l’Amagda, où vit une jeune coopérative paysanne qui, depuis son arrivée en 2022, a transformé l’exploitation en un lieu de partage et de rencontre. Dans cette ferme coopérative, où vit une dizaine de personnes, plusieurs activités sont développées au sein de différents espaces loués, soit par des membres du collectif, soit par des personnes extérieures.

C’est le cas de Séverine Cosse qui, tous les jeudis de 10 à 14 heures depuis maintenant trois mois, propose un atelier d’échange de savoir-faire créatif : la Fabrik néorurale. Couture, aquarelle, sérigraphie… « Les activités varient en fonction des besoins et des envies », explique-t-elle. Avec son compagnon et son fils de bientôt 3 ans, le dernier d’une fratrie recomposée, elle habite le village voisin, Monceau. Cet atelier, elle l’a surtout lancé pour « créer du lien autour d’une activité manuelle, d’un thé, d’un café, d’un repas ». Même si l’endroit est ouvert à tous, elle a choisi cet horaire pour permettre aux mères d’y participer car les enfants sont alors à l’école.

Séverine, qui a lancé l’atelier, et Chloé, une des participantes, cherchent des idées pour l’atelier de décoration.

En ce jeudi d’août, Séverine propose aux cinq participantes de la Fabrik néorurale, en majorité des femmes, de dédier la matinée à la confection du décor de la guinguette prévue le 31 août, un événement festif et musical organisé par le collectif de l’Amagda. Chacune se sert sur la table où du matériel neuf ou de récup a été disposé, comme de vieux magazines, des tissus, des feutres et des pinceaux, et se met à l’ouvrage. Les discussions vont bon train : on fait connaissance, on parle du potager, d’une émission écoutée à la radio consacrée à l’intelligence artificielle… « Plein de métiers risquent de disparaître. C’est pour ça qu’il est important de se réunir, sinon ça va être encore plus dur », dit Séverine. Aucun doute qu’ici se développe plutôt l’intelligence collective.

« Une soupape de décompression »

Pour Mélanie, fraîchement installée à Forges, à une dizaine de kilomètres de Macon, cet atelier est une « soupape de décompression » au milieu d’une vie de famille bien chargée. Elle a une grand-mère de 95 ans qui lui raconte parfois comment était la vie d’antan dans son village, où l’on se côtoyait régulièrement entre voisins. Café, lavoirs, four communal… Les lieux où se rassembler étaient nombreux, les occasions aussi. Puis, avec l’arrivée de la télévision, des appareils électroménagers, le tout bagnole, la mondialisation… Les campagnes se sont éteintes, laissant place, lentement, au règne de l’entre-soi. Ce constat, toutes les participantes de l’atelier le partagent. Aujourd’hui, dans les contrées rurales, rares sont les « prétextes pour se rencontrer », dit Mélanie.

Isabelle fabrique des fanions à base de tissu.
© Claire Lengrand / Reporterre

Selon elle, l’Amagda est un « un lieu incroyable, qui devrait exister dans chaque village ». Elle admire la synergie qui s’y déploie, entre le collectif qui a repris la ferme et Philippe Genet, le paysan-boulanger qui a impulsé le mouvement. Ce dernier, implanté depuis 2010 à la Ferme du Pré aux Chênes, un peu à l’écart de Macon, a appris, fin 2021, que sa voisine la plus proche, Magda, ancienne agricultrice, revendait sa ferme et les 4,6 hectares de terres attenantes. Il y a vu l’opportunité de bénéficier de bâtis et de cultures supplémentaires pour son activité de meunerie et d’élevage de porcs, mais aussi l’occasion de redynamiser cette ferme en la collectivisant. Après en avoir parlé à un petit groupe de personnes désireuses de vivre en communauté, ils ont créé ensemble une coopérative au printemps 2022, et acquis la propriété via une levée de fonds citoyenne [1].

Tous les jeudis de 10 à 14 h, Séverine propose un atelier d’échange de savoir-faire créatif ouvert à tout le monde.
© Claire Lengrand / Reporterre

Le collectif de l’Amagda invente ainsi une nouvelle manière d’être à la campagne. « Nous sommes dans un esprit d’ouverture au sein du village, avec la volonté de nous intégrer », explique Maxime, natif de Bruxelles et membre du collectif. D’ailleurs, la première chose que ce dernier a fait dès son arrivée a été d’organiser une fête des voisins.

Le projet de cette coopérative paysanne s’articule autour de plusieurs valeurs : l’autonomie par le développement de modes de production alternatif comme l’agriculture vivrière ; l’entraide par le lien social, afin de « nourrir l’espoir des lendemains » ; la transmission de savoir-faire, par l’apprentissage, le partage et la création.

Calligraphie, forge et kickboxing

Le 14 juillet dernier, le collectif a consacré une journée spéciale à ce dernier volet, rassemblant plus d’une centaine de personnes. « Quiconque désirant transmettre un savoir était bienvenu », raconte Maxime. Les propositions étaient variées, parfois insolites. Comme celle de Felipe, un habitant d’un village voisin, adepte de calligraphie et d’enluminure sur parchemins.

Il y en avait pour tous les goûts : fabrication de beurre, linogravure, découverte des plantes sauvages et médicinales, mécanique, affutage de vieux outils, kickboxing, observation de mycorhizes, etc. « Partager une passion avec d’autres personnes qui y montrent de l’intérêt, c’est valorisant humainement », explique Maxime.

Felipe, qui habite le village voisin, partage sa passion, la calligraphie et l’enluminure sur parchemins.
© Lolita Mattivi

Cet événement a permis de mettre en lumière des métiers en perdition, de renouer avec l’artisanat, comme la vannerie, la forge ou la ferronnerie. C’était aussi une façon de « démystifier » certains savoirs, pour « se rendre compte qu’on peut faire soi-même ». Une journée, c’est un temps certes limité, mais « tu peux tâter, expérimenter et reprendre quelques trucs pour chez toi », dit Maxime.

Le tout a été coorganisé entre le collectif et les participants, sous forme, soit de gratuité, soit à prix libre, et en autogestion. « C’est quelque chose qui me tenait à cœur, le fait que chacun se responsabilise, ne débarque pas en consommateur mais soit partie prenante du projet », explique Maxime.

Une centaine de personnes ont participé à une journée d’échanges de savoirs.
© Lolita Mattivi

En Wallonie, la ferme de l’Amagda n’est pas la seule à mettre en valeur et en commun les connaissances de chacun. C’était aussi l’un des souhaits de Clémence et Gaston lorsqu’ils ont acheté la ferme de l’Escafène, « en plein cœur du village » de Ragnies, près de Thuin. Le jeune couple y mène, depuis un an, des activités agroécologiques. « On a planté un grand verger (pommiers, pruniers, cerisiers etc.) et accueilli des moutons. On prend soin du lieu et on fait un peu de sensibilisation à l’environnement », explique Clémence Dereux, originaire du Tournaisis.

Tisser un « réseau d’entraide local »

Depuis son arrivée, le couple a également organisé plusieurs ateliers d’échange de savoir-faire. « Quand on rencontre des gens qui ont une passion à partager, on les invite à la ferme le dimanche matin pour la diffuser à un public plus large », dit Clémence. Si les activités proposées jusqu’à présent ont surtout tourné autour de la production alimentaire et ménagère (fabrication de pain au levain, concoction de boissons fermentées type kéfir et kombucha, de savon lessive maison), la jeune femme désire ouvrir plus d’espace au travail manuel à travers, par exemple, des ateliers de menuiserie ou de réparation. « J’ai envie qu’il y ait un maximum de femmes qui y participent car on a encore trop tendance à confier ces tâches aux hommes. Les plonger dans cet univers peut leur donner confiance », affirme Clémence.

Macon, à la lisière de la frontière française, est un village belge cerné par les bocages.
© Claire Lengrand

Tout comme le collectif de l’Amagda, les deux néopaysans refusent d’habiter en vase clos. « On veut que notre lieu de vie ne le soit pas que pour nous, mais aussi pour tout le village », dit Clémence. Pour le couple, qui ne connaissait personne en arrivant, organiser ces ateliers a permis de tisser « un réseau d’entraide local. » « Même si le but premier est d’apprendre à faire, les gens gardent contact les uns avec les autres. C’est assez magique, ça crée vite des liens », se réjouit Clémence.

À la Fabrik néorurale, à bientôt 13 heures, l’atelier s’achève, il est temps de casser la croûte. Le soleil a fait son apparition, l’occasion de sortir la table et quelques chaises. D’autres personnes se joignent à l’auberge espagnole. Houmous maison, couscous, boulettes de viande à la sauge du jardin… Le partage se cultive jusque dans l’assiette.

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