• jeu. Sep 19th, 2024

quand le sabotage écolo s’invite dans les jeux vidéo


Rejoindre un groupe de résistance écologique qui mène des actions de sabotage : voilà ce que nous propose, en substance, Final Fantasy VII (raccourci en FF7). Dans ce jeu vidéo culte de 1997, dont la seconde partie du remake (« Rebirth ») est sortie en février dernier, les joueurs sont propulsés dans un monde technologique dominé par une compagnie industrielle écocidaire et dans un combat pour stopper ses funestes activités. Dans ce récit de science-fiction cyberpunk, les joueurs deviennent des saboteurs, qualifiés de « terroristes » par le pouvoir en place.

Dans Final Fantasy VII, à l’instar de nos multinationales pétrolières, la Shinra fournit au monde de l’énergie à profusion au moyen de réacteurs qui puisent dans le sol de la planète une substance dénommée Mako. « L’entreprise tient sous sa coupe toute une population, une main-d’œuvre corvéable et surveillée qu’elle exploite à volonté dans une ville spécifiquement pensée et construite dans ce but : Midgar », explique Raphaël Lucas, rédacteur en chef de Jeux Vidéo Magazine et auteur d’un livre sur les coulisses du jeu.

La ville de Midgar, siège du pouvoir de la Shinra.
© Square Enix

Dès le début du jeu, le joueur se glisse dans la peau de la nouvelle recrue d’Avalanche, un groupe de résistance écologique qui alerte sur le drame en cours : « La planète meurt ! » Celle-ci nous est présentée comme un organisme vivant, renvoyant à « l’hypothèse Gaïa » de James Lovelock, publiée en 1979 et comparant la Terre à un organisme pouvant s’autoréguler. Le Mako coule comme du sang dans la Rivière de la Vie, dans les profondeurs de la planète, et est aspiré par les réacteurs du parasite industriel Shinra. À cet extractivisme mortifère, Avalanche répond par des actions d’infiltration et de sabotage des réacteurs pour stopper l’hémorragie de la planète. Le groupe est ainsi repeint en « terroriste » par les dirigeants de la compagnie dans une propagande orwellienne.

En 1997, malgré une approche qui peut aujourd’hui paraître naïve, FF7 a été un jeu pionnier dans la mise en avant de ces thèmes qui, au regard de l’évolution politique du monde, se font plus saillants dans le remake du jeu, notamment le « travestissement » dans les médias des sabotages et autres actions d’Avalanche, relève Raphaël Lucas. « Il suffit de voir ce qu’il se passe en France, relie-t-il, depuis l’accès à la présidence d’Emmanuel Macron, et le rachat de chaînes de télévision par Vincent Bolloré, pour comprendre que les mots, les angles choisis sont des instruments de pouvoir, en inversant la réalité, le sens des mots. Ce qui est vrai sur CNews et d’autres chaînes l’est aussi dans le monde de Final Fantasy. »

La résistance écologique, le « bouc émissaire parfait »

La dystopie proposée dans FF7 rappelle sans mal notre propre monde. Midgar est construite en verticalité sur deux couches, dont « l’écart de richesse entre l’une et l’autre société est d’une grande violence », nous explique le livre officiel du jeu paru chez Mana Books. La plaque supérieure, « où se rassemblent les citoyens relativement aisés », et la surface inférieure, composée de « taudis abritant les basses couches de la société, femmes et hommes n’ayant même pas droit au statut de citoyen » et aux « conditions de vie déplorables à cause des déchets de la plaque qui s’empilent ».

Tout comme dans notre monde, les plus pauvres sont les premières victimes de la pollution. Malgré les épaisses fumées de la cité, la métaphore est limpide. La tour-siège de la Shinra trône au sommet d’une pyramide sociale, qui fait ruisseler, au lieu de la richesse produite, les déchets toxiques de son activité industrielle jusqu’aux bas quartiers, « un monde bien plus humain » dans le remake récent, remarque Raphaël Lucas, « fait d’entraide, alors qu’il n’y avait qu’une toile de fond en 1997 », et où « débute et se cristallise la rébellion ».

Les membres d’Avalanche posent des bombes dans les réacteurs.
© Square Enix

Pour se débarrasser d’Avalanche, la Shinra va jusqu’à sacrifier la population inférieure de Midgar, en faisant s’effondrer l’un sur l’autre les deux derniers secteurs, tout en s’arrangeant pour faire passer ce crime contre l’humanité pour une action du groupe « terroriste ». Celui-ci « devient le bouc émissaire parfait pour le pouvoir », selon Raphaël Lucas.

Lire aussi : « Écoterrorisme », un mot prétexte contre la lutte écologique

De quoi inverser les responsabilités, comme le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin l’a fait avec Les Soulèvements de la Terre, eux-mêmes qualifiés « d’écoterroristes » alors qu’ils luttent contre des compagnies industrielles semblables à la Shinra et les pouvoirs publics qui les couvrent.

Un jeu vidéo peut-il contribuer à l’éveil écologique ?

Depuis les coulisses du métier, Axel, 47 ans, concepteur technique de jeux vidéo, confie avoir « souvent vu des directeurs de jeux frileux d’avouer qu’il y avait un message politique dans leur œuvre pour ne pas froisser leur éditeur et la part capitaliste de l’industrie ». Mais leur message parvient-il jusqu’au joueur ?

« Quand on discute de FF7 avec d’autres, l’impact écologique qu’il aurait pu avoir sur nous n’est pas ce que l’on évoque en premier », avoue Natacha, maman de 42 ans, autrice et rédactrice en chef du blog Geeks by Girls. « Dans mon entourage, je n’ai pas ressenti l’impact du jeu sur ce point », la rejoint Sébastien, 45 ans, membre de l’association MO5 pour la préservation du patrimoine numérique, « on parlait surtout des scènes cinématiques et du gameplay », les mécaniques et principes de jeu.

Cependant, pour Axel, ce jeu « a certainement planté une graine de réflexion qui a poussé ensuite, lorsque j’ai lu et vu les problèmes et les débats réellement arriver ». Le jeu n’aurait donc pas servi de déclencheur à un éveil écologique, mais plutôt de terreau ou d’engrais.

La Shinra, qu’Avalanche tente de saboter.
© Square Enix

Le propos du jeu « a résonné en écho à ce que je savais ou entrevoyais déjà », confie Raphaël Lucas, qui y a joué dès 1997 alors qu’il était déjà conscient des enjeux socioenvironnementaux depuis les années 1980. « Je suis de la génération qui a vécu et suivi le mouvement Touche pas à mon pote, les actions de Greenpeace dans le journal télévisé, ou les interventions de Hubert Reeves et Haroun Tazieff [respectivement astrophysicien et vulcanologue] », explique-t-il. Tchernobyl, le trou dans la couche d’ozone, les décollages d’Ariane, les nappes de pétrole déversées en mer… Tout cela était « notre quotidien ».

Natacha et Sébastien ont découvert le jeu récemment et ont donc eu tout le temps d’être exposés à la crise écologique. « Cela fait un bon moment que j’ai une certaine conscience des implications de nos actions sur la nature et des bouleversements qu’elles peuvent provoquer », assure Natacha. « Mes parents m’ont inculqué cette fibre écologiste, remercie Sébastien, ils avaient déjà conscience de son importance. J’ai tout de suite eu un lien spécial avec FF7. »

Le jeu dans sa version de 1997.
© Square Enix

Le jeu vidéo est en effet « un média dans lequel le joueur est captivé pendant des heures et qui procure une grande immersion, assure Axel. Toute expérience qu’on y vit est donc forte et impactante ».

En nous positionnant comme acteur du monde qui nous est proposé, le jeu vidéo, malgré sa nature virtuelle, peut procurer une expérience émotionnelle aussi proche du réel que possible et nous mettre en action. « FF7 a sans aucun doute aidé à sensibiliser de nombreux joueurs à l’impact que notre mode de vie peut avoir sur la Terre, certifie Natacha. Via un monde imaginaire, ils ont pu constater, et vivre en quelque sorte les répercussions que peut avoir une nature mourante sur les civilisations humaines. » Elle en est certaine, cela peut induire « une prise de conscience qui peut se traduire en actes ».

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