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Comment Paris se prépare à un futur mortellement chaud


L’évènement n’a pas impressionné grand monde. Paris a subi deux brèves mais intenses vagues de chaleur depuis le début de l’été. Mardi 30 juillet et lundi 12 août, le mercure a atteint 36 et 37 °C, selon les relevés de la station Météo-France, située dans le parc Montsouris. Dans la ville la plus dense et la plus minérale de France, les canicules ne sont plus exceptionnelles, elles sont devenues la norme. Et cela ne va pas aller en s’arrangeant.

Alors que les épisodes de canicule vont se multiplier, Paris s’adapte : la ville rénove des bâtiments, met en place des mesures de protection de la population. Mais repenser tout l’urbanisme est un chantier de taille et la municipalité a une capacité d’action limitée.

Il y a urgence, pourtant. La capitale s’est déjà réchauffée de 2,3 °C par rapport à l’ère préindustrielle selon les relevés de Météo-France. Dans le cas d’un scénario intermédiaire, c’est-à-dire où les tendances d’émissions actuelles se poursuivent, Paris se réchauffera de 3,8 °C d’ici la fin du siècle. Le nombre annuel de jours de canicule passerait ainsi de 14 dans les années 2010 à 34 d’ici 2080, selon une étude sur la vulnérabilité de la capitale, publiée en janvier 2021. Les nuits tropicales, lors desquelles le thermomètre ne descend pas en dessous des 20 °C, bondiraient également : 5 par an aujourd’hui contre 35 d’ici la fin du siècle. Si Paris a déjà enregistré une température maximale de 42,6 °C dehors à l’été 2019, les climatologues n’excluent plus des pics à 50 °C l’été dans les prochaines décennies.

À Paris, comme dans d’autres villes, les cours « Oasis » se multiplient. Leur but : végétaliser des espaces autrefois bétonnés pour transformer ces lieux en îlots de fraîcheur (ici dans le 19ᵉ arrondissement).
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Or, la ville est particulièrement vulnérable face aux fortes températures. Avec en moyenne 400 décès liés à la chaleur chaque année, c’est la capitale européenne la plus mortelle en cas de canicule, selon une étude parue en mars 2023 dans la revue scientifique The Lancet Planetary Earth (en anglais), qui a analysé la mortalité en fonction de la température dans 854 villes. Si la chaleur parisienne est particulièrement dangereuse, c’est à cause de l’effet de l’îlot de chaleur urbain.

« Il faut faire une seconde révolution haussmannienne »

Ce phénomène, documenté par l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), s’explique par une combinaison de facteurs. Avec plus de 20 000 habitants par km², la ville a été aménagée avec des immeubles hauts et serrés qui piègent l’air chaud et réduisent la ventilation des rues. Par ailleurs, les revêtements sombres, les matériaux utilisés comme le béton et les rues imperméables emmagasinent la chaleur. Enfin, les activités humaines comme le trafic routier et la climatisation empirent le phénomène. Face à ce constat, il faut s’adapter, et vite.

Sous les toits parisiens, on cuit

C’est tout l’objet de la Mission d’information et d’évaluation (MIE) « Paris 50 °C » menée par des élus parisiens de tout bord politique pour que la capitale reste habitable dans les années à venir. Après six mois de travail, le rapport, doté de 85 recommandations, a été livré en avril 2023.

Parmi les propositions, la rénovation du bâti — 1,4 million de logements et 21 millions de mètres carrés de bureaux — est un chantier titanesque. Pour Maud Lelièvre, élue MoDem au conseil de Paris et rapporteuse de la MIE, « il faut faire une seconde révolution haussmannienne, non pas en détruisant mais en rénovant massivement ». Le rapport préconise ainsi un plan d’action de rénovation du bâti public comme privé, avec « la rénovation a minima de 40 000 logements privés par an d’ici 2030 et l’accélération de la rénovation du parc social », précise Maud Lelièvre. Car en attendant, sous les toits parisiens, on cuit. « L’immense majorité des toitures de la capitale est en zinc ou en ardoise, poursuit Maud Lelièvre. Le problème avec ces matériaux, c’est qu’ils absorbent une grande partie des rayons du soleil et renforcent la chaleur dans les logements. » Lors de la canicule de 2003, habiter sous les toits avait multiplié par quatre le risque de mortalité.

« L’immense majorité des toitures de la capitale est en zinc ou en ardoise », dit Maud Lelièvre. Ces matériaux « absorbent les rayons du soleil et renforcent la chaleur dans les logements. »
Wikimedia / CC BY 2.0 / besopha

Du côté de la nature en ville, les élus de la mission souhaitent végétaliser toutes les surfaces qui peuvent l’être comme les places de stationnement, une partie des trottoirs, les façades des immeubles… Le rapport recommande de débitumer 40 % de l’espace public, d’atteindre 300 hectares d’espaces verts ouverts au public d’ici 2040 et de prohiber l’abattage des arbres parisiens inscrits à l’inventaire des arbres remarquables. Concernant la protection de la population, la mission demande notamment un plan « Grand chaud », sur le modèle du plan « Grand froid » pour offrir des espaces refuges aux personnes sans-abri ou habitant dans des bouilloires thermiques.

Seize mois après la publication du document de 260 pages, les choses ont-elles avancées ? « Pas tellement, répond Maud Lelièvre, on n’a pas connaissance de ce qui est suivi ou pas par l’exécutif parisien. » Elle déplore, entre autres, l’absence d’un « vrai plan canicule à Paris. Les Jeux olympiques auraient pu être l’occasion d’en élaborer un mais ça n’a pas été fait ». Aussi, l’élue estime que, du côté de la rénovation du bâti, « ça ne va pas assez vite ».

La rénovation du parc privé, immense chantier qui prend du temps

Nombre de recommandations de la mission ont pourtant été reprises dans le projet de plan climat 2024-2030 de la ville. Adopté lors d’un premier vote en décembre dernier, il a pour ambition la neutralité carbone en 2050 et intègre une partie sur l’adaptation. Ainsi, la ville s’est engagée à créer 300 hectares d’espaces verts, recenser des lieux pouvant servir de refuges, des « placettes oasis » dans tous les arrondissements, rénover 100 % des écoles et des crèches d’ici 2050… Au-delà du plan sur le papier, qu’en est-il sur le terrain ?

Pour ce qui est des mesures les plus faciles à mettre en œuvre, « la capitale est équipée cet été d’une centaine d’ombrières et de 1 200 fontaines à eau », répond Dan Lert, adjoint à la Transition écologique. Une carte qui recense les 1 400 îlots de fraîcheur est également disponible sur internet. En outre, 140 parcs et jardins sont déjà ouverts toute la nuit en période de canicule.

« La capitale est équipée cet été d’une centaine d’ombrières et de 1 200 fontaines à eau », répond Dan Lert, adjoint à la Transition écologique.
Wikimedia / CC BYSA 4.0 / Polymagou

Pour les chantiers de longue haleine, « la rénovation complète des 1 085 écoles et crèches de la ville est la priorité numéro 1 du plan climat avec un budget de 100 millions d’euros pour commencer », affirme Dan Lert. Pour aller plus vite, la municipalité a changé de méthode : « On ne fait plus des travaux par petits bouts pendant l’été, à la place, on délocalise tous les élèves plusieurs mois dans une autre école pour tout rénover d’un coup. » Combien d’établissements sont déjà concernés ? « On démarre, répond l’élu, 300 écoles ont déjà fait l’objet d’un contrat de performance énergétique et un chantier-pilote va démarrer dans deux écoles élémentaires et une maternelle du XIXe arrondissement. »

Concernant l’habitat, sur les 250 000 logements sociaux que compte la ville, 5 000 sont rénovés chaque année mais seulement 2 000 dans le parc privé, alors que ceux-ci représentent 80 % des logements parisiens. Pour être sur la bonne trajectoire climatique, il faudrait passer à 40 000 rénovations de logements privés par an. L’objectif semble vertigineux, mais la tendance récente montre que le nombre de projets initiés s’en rapproche. Si la ville a moins de prise sur la rénovation du parc privé, avec les dispositifs d’incitation déjà en place, « les choses avancent rapidement », assure Karine Bidart, directrice de l’Agence parisienne du climat, guichet unique de la rénovation énergétique des 47 000 copropriétés parisiennes.

Ainsi, celles-ci ont de plus en plus recours au programme Eco-Rénovons Paris + qui soutient l’accompagnement des copropriétés dans leurs travaux et les orientent vers des aides financières. « En à peine deux ans depuis octobre 2022, le nombre de copropriétés inscrites sur la plateforme CoachCopro est passé de 5 000 à 12 500 », se réjouit Karine Bidart. Il faut toutefois être patient : « Le temps que tous les copropriétaires se mettent d’accord pour un vote en Assemblée générale, les projets de rénovation énergétique globale prennent entre six et sept ans. Mais depuis la crise énergétique et le lancement des dispositifs d’aide, on compte quatre fois plus de diagnostics techniques globaux en 2023 qu’en 2022 ! C’est le signe d’une dynamique très forte et durable. »

La mairie ne peut tout faire sans l’aide de l’État

Pour ce qui concerne les volets, la mairie a inscrit 2 millions d’euros au budget de la ville pour équiper les logements sociaux et équipements les plus exposés à la chaleur. Pour les toits, le problème est que « les copropriétés ne peuvent décider seules d’isoler, ou de repeindre les toitures en zinc en blanc ou de les végétaliser au regard des règles de protection patrimoniale des architectes bâtiments de France (ABF) », explique Dan Lert. Alors que 30 % des projets de rénovations énergétiques sont freinés ou stoppés par les ABF, Dan Lert demande, comme beaucoup, une révision des règles patrimoniales : « On est face à un enjeu de santé publique, c’est à l’État de faire des choix clairs en fixant une nouvelle doctrine, il faut accepter que le paysage de Paris évolue pour faire face au réchauffement climatique. » Contacté, le ministère de la Culture n’a pas répondu à nos sollicitations.

« La ville a une capacité d’action limitée pour s’adapter. Les décisions et financements doivent aussi se prendre au niveau de la région et de l’État », abonde Vincent Viguié, chercheur en économie de l’adaptation au changement climatique au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired). Par exemple, « l’isolation des logements relève de la compétence de l’État sauf que les politiques nationales sont en retard et tant qu’il n’y a pas de solution venant du cadre national, c’est très contraint au niveau local », ajoute le chercheur. Le report du nouveau plan national d’adaptation, qui devait a priori aborder des questions comme cette évolution de la réglementation sur le bâti, illustre bien la problématique. « Prévue pour fin 2023, la publication du plan a été retardée à de nombreuses reprises et avec le changement de gouvernement, on ne sait même pas s’il sortira un jour », regrette Vincent Viguié.

« L’isolation des logements relève de la compétence de l’État »

S’il estime que « la ville de Paris est déjà très avancée sur les questions d’adaptation », est-ce que ça va suffisamment vite par rapport au réchauffement climatique qui lui-même évolue de façon continue ? « C’est tout l’enjeu », indique Vincent Viguié.

Enfin, malgré toutes les mesures d’adaptation du monde, si les émissions de gaz à effet de serre ne baissent pas, les efforts seront vains. C’est pour cela qu’il faut changer le modèle économique de la ville, dit Alexandre Florentin, conseiller de Paris (Génération Écologie) et président de la mission « Paris à 50 °C ». Bien que le plan climat Paris 2024-2030 prévoit de « soutenir une réduction des mouvements aériens », il n’y a pas d’objectif chiffré. « La stratégie touristique de Paris repose pour beaucoup sur l’aérien, c’est la poule aux œufs d’or de la ville. »

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