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Le grand cormoran, bête noire des pisciculteurs d’étangs


5 septembre 2024 à 09h48
Mis à jour le 6 septembre 2024 à 10h11

Durée de lecture : 6 minutes

« Le cormoran, c’est la “bête noire” des pêcheurs. » Ce n’est pas un pêcheur qui le dit, mais Étienne Clément, ornithologue et président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) Champagne-Ardenne. Il reconnaît que cette espèce protégée depuis 1979, et dont les effectifs ont explosé au cours des 40 dernières années, représente un vrai problème pour les pisciculteurs. En 1983, on comptabilisait 15 000 grands cormorans. Désormais, ils sont plus de 115 000 à s’installer chaque hiver en France, selon le dernier décompte disponible, et 11 000 se reproduisent chez nous.

 

Avec son bec crochu et son plumage noir de jais en partie perméable — ce qui en fait un excellent plongeur —, Phalacrocorax carbo (son nom scientifique) est présent dans presque tous les départements. Mais l’amateur de poissons fait des dégâts dans les étangs, dénonce l’Association française des professionnels de la pisciculture d’étangs (AFPPE). « En vingt ans, la population de poissons a été divisée par quatre à cause du cormoran, constate Paul-François Bachelier, son président, pisciculteur dans l’Aube. Contrairement aux autres oiseaux piscivores comme le héron ou la grande aigrette, il se nourrit exclusivement de poissons. Il en consomme environ 500 g par jour. » 

Selon lui, une colonie de cormorans peut vider un étang en une seule journée. Des hécatombes qui conduisent certains professionnels à recourir à des méthodes illégales pour protéger leur production.

« Un geste de désespoir »

Le 30 août, un pisciculteur des Ardennes et son salarié étaient jugés par le tribunal de Troyes, accusés d’avoir empoisonné, sur les berges de leurs étangs, des gardons avec du carbofuran, un puissant pesticide interdit depuis 2008 en France. Leur objectif : éliminer les cormorans.

« Le paradoxe de l’affaire, c’est que le cormoran ne mange pas de poissons morts », souligne Étienne Clément. Le piège s’est en revanche refermé sur un jeune pygargue à queue blanche et une cigogne noire, deux espèces elles aussi protégées et bien plus fragiles. « On a juste les preuves pour ces deux oiseaux-là, mais vu la méthode employée, on peut imaginer que pas mal d’espèces piscivores ont été touchées. »

Le grand cormoran se nourrit exclusivement de poissons.
Flickr/CC BY 2.0/Frank Vassen

Timothée Dufour, l’avocat du pisciculteur, plaide « le geste de désespoir » de son client, expliquant que ce dernier avait tout essayé face aux cormorans : filets — « qui sont la seconde cause de mortalité pour les pygargues », remarque l’avocat —, cage de protection pour les poissons, bonshommes gonflables, canons d’effarouchement… « Il avait droit à un quota de 55 tirs de régulation [tirs destinés à tuer] par an, qu’il a en totalité réalisés. Mais c’était très insuffisant. » 

Et s’il avait bien alerté la préfecture pour obtenir des tirs supplémentaires par dérogation spéciale, la procédure est très lourde, accuse son défenseur, car il faut apporter des expertises prouvant la prédation. « Le temps de réunir tous les éléments, la saison aurait déjà été terminée. Sans compter que ces dérogations spéciales sont généralement attaquées en justice par les associations de défense de la nature », ajoute M. Dufour.

Le cormoran ne laisse aucune trace

La profession aquacole accuse l’État de l’avoir totalement abandonnée. « Nous ne bénéficions d’aucune indemnisation, à la différence des éleveurs touchés par la prédation du loup, par exemple. La difficulté, c’est que, contrairement au loup, le cormoran ne laisse pas de traces », dit Paul-François Bachelier de l’AFPPE. Il alerte sur la fragilité de la filière et cite l’exemple de la maison Couturier, plus grande entreprise de pisciculture de Brenne, qui existait depuis quatre générations et a décidé de jeter l’éponge cet été. Entre autres difficultés, son gérant évoque une perte de 50 000 euros de poissons cette année à cause des cormorans.

Or, « les pisciculteurs, dont le métier est extrêmement pénible, sont des amoureux de la nature », assure M. Bachelier, qui souligne l’intérêt écologique de la pisciculture, pratique inventée par les moines cisterciens au Moyen Âge afin d’assainir les marécages. « La nature déteste le vide. Lorsqu’un étang est mal entretenu ou abandonné, qu’il n’a plus de poissons, il y a un phénomène d’eutrophisation. »

La profession envisage désormais très sérieusement de participer au plan national d’action en faveur du pygargue à queue blanche. « Ce rapace est notre allié. Quand il y en a un au-dessus d’un bassin, tous les cormorans fuient. Je regrette qu’il n’y ait pas eu de dialogue avant avec les associations », dit Paul-François Bachelier. Le pygargue serait-il finalement la planche de salut des pisciculteurs ? À Troyes, celui responsable de la mort du jeune mâle connaîtra la sentence le 1er octobre prochain. Il risque jusqu’à douze mois de prison avec sursis, quelque 30 000 euros d’amende et plusieurs centaines de milliers d’euros de dommages et intérêts.

Dans le collimateur des pêcheurs en rivière

Les cormorans provoquent aussi des dégâts en rivière, s’inquiète la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF), qui défend la pêche de loisir. « On a mené des études, validées par l’Office français de la biodiversité (OFB) et le ministère de la Transition écologique, dans quatre départements, détaille Hamid Oumoussa, directeur général de la Fédération. Les résultats montrent un impact assez marqué des cormorans. Ainsi, dans l’Aude, la cohorte d’ombre commun a chuté de 80 %. » Une baisse que la FNPF attribue à la décision du gouvernement d’interdire en septembre 2022 les tirs sur le cormoran en eaux vives.

Les pêcheurs ont cependant obtenu gain de cause devant le Conseil d’État le 8 juillet dernier. Un arrêté devrait donc à nouveau autoriser les préfets à accorder des quotas de tirs dans les prochains mois. « Tenter de rendre un oiseau responsable du déclin de certaines espèces de poissons ne doit pas en masquer les causes véritables : pollution et dégradation de la qualité des eaux, barrages et discontinuité écologique, réchauffement climatique et sécheresses meurtrières », a réagi la LPO dans un communiqué.

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