• jeu. Sep 19th, 2024

Le business des emballages plastique étouffe les Philippines


Philippines, reportage

Situé sur un joli bout de côte, le village de Mabini attire tous les week-ends la bourgeoisie de Manille venue s’adonner à la plongée et observer requins et tortues qui batifolent au milieu des coraux. Le décor est idyllique avec plusieurs îles qui s’étalent vers l’horizon. Pourtant, à la surface de l’eau, un grand nombre de déchets plastiques, rabattus par les vagues ou charriés par les ruisseaux, viennent quelque peu gâcher le moment.

En 2019, des résidents de Mabini en ont eu assez et ont lancé un programme original baptisé Plastic Palit Bigas (PPB), « plastique contre riz » en tagalog. Depuis, chaque samedi, les habitants du village sont invités à passer trois heures à nettoyer la côte, et chacun reçoit 2 kilos de riz en échange. Quelques donateurs financent cette activité, comme des hôtels situés en bord de mer ou des entreprises qui ont appris l’initiative sur les réseaux sociaux.

« On a tendance à accuser les gens d’être irresponsables avec leurs déchets, mais je pense que ce n’est pas de leur faute », dit Giulio Endaya, un bénévole très impliqué dans PPB et dont il gère la page Instagram. « Coca-Cola et d’autres produisent tellement de plastique ! De nombreuses personnes ici ont le sentiment qu’on ne peut rien faire contre cette pollution… Lorsqu’elles se convainquent de cela, plus rien ne les empêche de jeter du plastique partout à leur tour », explique le jeune homme, conscient que si la collecte hebdomadaire ne change pas grand-chose à la crise majeure des déchets plastiques, elle permet au moins de sensibiliser quelques villageois.

Carte des Philippines.
© Louise Allain / Reporterre

L’après-midi que Reporterre a passé avec l’équipe (une quinzaine de personnes, dont beaucoup d’enfants) nous a permis de constater qu’en plus de la marque étasunienne susnommée, Nescafé et Palmolive revenaient souvent sur la plage, aux côtés de grandes entreprises locales. En tout, près de 100 kg ont été collectés sur à peine 2 km de côte.

« Je te garantis que si tu vas acheter un poisson au marché du coin, tu trouveras du plastique à l’intérieur », dit Giulio. La chose est bien documentée : l’an dernier, des chercheurs philippins ont analysé 30 poissons-lait (poisson le plus consommé dans l’archipel, où on l’appelle bangus) et ont trouvé des microplastiques dans… 29 d’entre eux !

Une rivière charriant des déchets à Malabon, dans le Grand Manille.
© Rémy Bourdillon / Reporterre

Petits sacs à usage unique

Les Philippines font partie, avec la Chine et l’Indonésie, des plus gros pays contributeurs à la pollution des océans. Une particularité locale est pointée du doigt pour expliquer ce classement : « l’économie du sachet », qui consiste à vendre des aliments ou des produits d’hygiène dans de tout petits sachets en plastique, non recyclables car formés de différentes couches de matières. Dans les sari-sari, innombrables petits magasins du pays, il est ainsi possible d’acheter pour 8 pesos (0,13 euro) un sachet de shampoing Head & Shoulders contenant juste assez de liquide pour se laver les cheveux une seule fois.

Les marques qualifient cette mise en marché de « pro-pauvres », puisque ces produits leur sont alors accessibles. Mais Jorge Emmanuel, professeur de sciences environnementales à l’université Silliman, qui a longtemps travaillé dans l’industrie plastique aux États-Unis, n’y voit qu’une stratégie marketing : « Après avoir conquis la classe moyenne, leur but était de toucher les plus pauvres pour gagner plus d’argent. L’ironie dans tout ça, c’est que ça revient souvent plus cher d’acheter en petite quantité ! »

Des sachets suspendus dans un sari-sari de l’île de Siquijor, qui peuvent être achetés à l’unité.
© Rémy Bourdillon / Reporterre

Le recours au sachet est en fait inspiré de la culture locale du tingi. Depuis des siècles, les Philippins ont pris l’habitude d’acheter juste ce dont ils ont besoin et de le transporter dans un contenant réutilisable. « Dans les années 1960, ma mère me demandait d’aller chercher un peu de vinaigre ou de ketchup avec un pot en verre qu’elle lavait au préalable », se souvient Jorge Emmanuel. Les multinationales n’ont fait que détourner ce principe et en ont profité pour étendre leurs tentacules jusqu’aux coins les plus pauvres du pays, tout en ruinant les producteurs locaux.

Mais alors que l’ancien système était zéro déchet, le nouveau est très polluant — les sachets, qui incluent aussi par exemple les paquets de chips, représentent 52 % des déchets plastiques non recyclables du pays. Et les compagnies qui les utilisent ne peuvent ignorer à quel point le système de gestion des déchets est déficient aux Philippines.

Inondations dues aux conduits bouchés

Dans l’archipel, ce sont les barangays (équivalent de quartiers) qui doivent collecter les ordures et les séparer entre matières organiques, recyclables et résiduelles. « Environ un tiers seulement de tous les barangays se sont dotés des installations nécessaires, comme la loi l’exige », dit Rap Villavicencio, directeur de programmes à la Mother Earth Foundation (MEF), une ONG qui aide les autorités locales à améliorer la gestion de leurs déchets.

Le barangay Potrero (43 000 habitants), situé dans la ville de Malabon, fait figure d’exemple dans le Grand Manille. Avec l’aide de la MEF, il a mis en place une brigade de 40 femmes qui, dès potron-minet, viennent frapper aux portes des résidents pour ramasser leurs déchets et les aider à mieux trier. Potrero s’est même doté de sa propre installation de compostage qui lui permet de générer quelques revenus.

Khate Nolasco, 30 ans, est conseillère du barangay Potrero depuis dix ans et s’implique dans la gestion des déchets.
© Rémy Bourdillon / Reporterre

Hélas, les efforts des uns sont souvent ruinés par l’apathie des autres. « Nous sommes situés en bas du bassin versant, donc nous recevons les déchets des villes voisines qui, elles, ne font pas de tri », se désole Khate Nolasco, jeune conseillère du barangay très concernée par ces questions. Les conséquences peuvent être tragiques : une semaine avant notre visite, Manille a été frappée par le puissant typhon Carina. Puisque les sachets bouchent les conduits d’évacuation des eaux, de graves inondations ont frappé la capitale, et certaines rues de Potrero se sont retrouvées sous 2 mètres d’eau.

« Nos leaders ont d’autres priorités »

Certains endroits du pays tentent de prendre les devants avec leurs moyens. Petite perle tropicale de plus en plus prisée des touristes, l’île de Siquijor a ainsi adopté en 2018 son règlement sur le plastique interdisant à tous les commerçants, y compris les sari-sari, d’offrir des sacs, contenants ou couverts à usage unique. Alors conseiller du village de Larena, Cle Bern Paglinawan a rédigé ce texte et l’a fait appliquer rigoureusement, en organisant une formation annuelle et en sillonnant l’île pour rencontrer les récalcitrants, ce qui lui a valu l’attention de médias internationaux. Quelques pratiques ancestrales ont rejailli, comme vendre des poissons plantés sur des baguettes de bois plutôt que dans un sac.

Quelques années plus tard, c’est un Cle Bern dépité que nous rencontrons. « Ce n’est plus du tout appliqué depuis que j’ai quitté mon poste, dit-il. Il faut croire que nos leaders actuels ont d’autres priorités. » Le plastique est donc revenu de plus belle, dans les commerces et surtout sur le bord des routes.

Les petites îles éloignées comme celle-ci se frottent à un autre problème : le plastique recyclable n’y a quasiment aucune valeur, puisqu’il n’y a aucune usine de recyclage à proximité. Alors, il finit lui aussi dans la nature. Et là encore, l’irresponsabilité de certains gros noms est criante, comme on peut le constater à Paliton, une superbe plage très instagrammable avec ses palmiers et ses couchers de soleil : dans les petites boutiques installées le long de la grève, on trouve de minuscules bouteilles de Coca-Cola en plastique, d’à peine 25 cl. « On a pourtant spécifiquement interdit ce format dans notre règlement », commente Cle Bern. Mais les intérêts de l’entrepreneur qui les fait venir sur l’île surpassent ceux de la vie marine. Un grand nombre de ces bouteilles est abandonné sur le sable ou dans l’océan, dans l’indifférence totale des baigneurs.

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