• sam. Sep 21st, 2024

« La menace n’est pas à prendre à la légère »


En moins de 24 heures, sa vidéo a atteint plus de 300 000 vues et a été largement partagée sur les réseaux sociaux. Après deux ans d’absence, Le Raptor, plus connu sous son ancien pseudo Le Raptor dissident, a publié un nouveau contenu climatosceptique le 8 septembre intitulé « Le réchauffement climatique : décryptage d’une arnaque mondiale ». Le youtubeur y réfute pendant 1 h 12 les données scientifiques et s’établit comme le « guerrier de la libération à l’aide de l’arme de la vérité ».

Son discours anti-écologique s’accompagne d’un discours antiwoke, transphobe, et va jusqu’à qualifier les femmes de « gonzesses à problèmes familiaux sous anxiolytiques » et de « meufs aux profils psychiatriques calamiteux ». Le tout accompagné d’insultes envers les experts et les militants écologistes perçus comme des « psychiatriques de la secte climat », voire des « climatistes pathologiques ».

Le discours du Raptor se base uniquement sur le livre Unsettled : What Climate Science Tells Us, What It Doesn’t, and Why It Matters, écrit par Steven Koonin, l’un des champions internationaux de la communauté climatosceptique. Selon lui, l’influence humaine sur le changement climatique est minime et les documents officiels sont alarmistes. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) aurait détourné la science.

Avec sa communauté de 700 000 abonnés, le youtubeur illustre pleinement l’offensive de l’extrême droite sur internet et sa métamorphose pour se rendre plus hype et plus cool, explique le journaliste Maxime Macé, coauteur du livre Pop fascisme, aux éditions Divergences.


Reporterre — La vidéo climatosceptique du Raptor a été vue plus de 486 000 fois depuis sa sortie le 8 septembre sur YouTube. Comment expliquer cette diffusion massive ?

Maxime Macé — La vidéo fait le buzz, mais elle reste dans l’étiage de ce qu’est capable de produire aujourd’hui la fachosphère avec ses poids lourds comme Papacito, Dieudonné ou Le Raptor. Ces personnalités sont très engageantes sur les réseaux et pour leur communauté. Ils teasent leur vidéo, ils sont très attendus. Cela faisait plus de deux ans que Le Raptor n’avait pas publié de contenu gratuit sur YouTube. Il a aussi pu compter sur le soutien d’autres influenceurs d’extrême droite qui l’ont relayé. Son succès n’est donc pas surprenant.

La vidéo climatosceptique du Raptor, ou le « pop fascisme » sur YouTube.
Capture d’écran/YouTube/Le Raptor

D’autant que ses opposants en parlent, contribuant à faire monter les scores de la vidéo. Si l’on veut critiquer son discours sur les réseaux sans qu’il cumule de vues, il faut bien faire attention à ne prendre qu’une capture écran du tweet ou de la vidéo d’origine pour ne pas la diffuser malgré nous. Parmi les visionneurs, il est difficile d’estimer véritablement le nombre de personnes en accord avec ses idées.

Ce contenu, plein de mensonges et d’injures, devient viral alors qu’en face, le Giec et les propos scientifiques, souvent complexes, peinent à se faire entendre…

C’est classique. Le mensonge se diffuse beaucoup plus facilement que la réalité. La forme de la vidéo joue également. Le ton goguenard et méprisant du Raptor plaît. C’est ce qui l’a fait connaître en 2015. Avec son montage au rythme saccadé, sa violence verbale et sa recherche permanente du clash. Les algorithmes sont pensés pour ça. C’est ce type de « produit » qui fonctionne sur le net. Cette culture du clash liée à la fachosphère s’est même diffusée partout ensuite, à la télévision, à la radio et dans les médias de Bolloré. En soi, ce que dit Le Raptor, c’est ni plus ni moins ce que l’on peut entendre aujourd’hui sur CNews. Il y a une banalisation de ce type de pensée. L’espace du dicible s’est élargi dans les médias et chez les politiques. Un régime de post-vérité s’est peu à peu instauré.

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Cela fait partie de la stratégie de l’extrême droite, qui a remporté la première bataille dans la guerre culturelle. Il s’agit aussi de dénier toute forme de supériorité aux discours scientifiques étayés. Quand on oppose à Renaud Camus [écrivain et militant d’extrême droite] des études scientifiques sourcées sur la population française pour lui dire que le grand remplacement n’existe pas, lui répond qu’il n’a pas besoin de la science pour prouver l’inverse, il suffit d’ouvrir la fenêtre.

« Derrière cette vidéo, il y a un business. C’est une machine à cash »

C’est pareil avec le réchauffement climatique. On avait déjà entendu Pascal Praud [journaliste sur CNews] remettre en cause le réchauffement climatique parce qu’une vague de froid s’abattait sur la France. L’extrême droite ne s’intéresse pas à l’argumentation scientifique, ce qui compte pour elle, ce n’est pas le réel, ce sont ses obsessions identitaire, xénophobe et anti-écologique.

En quoi cette vidéo est-elle une illustration du « pop fascisme » dont vous parlez dans votre livre ?

C’est un outil important pour populariser le discours d’extrême droite. Ce type de vidéo rend le climatoscepticisme fun et cool, il lui redonne une virginité, des couleurs de jeunesse là où avant il était cantonné à des livres que peu de monde lisait ou à des conférences obscures qui rassemblaient une cinquantaine de personnes. La vidéo livre ici, à toute personne pourvue d’une connexion internet, un discours complotiste sur mesure, une attaque frontale et virale où tout est mélangé, le groupe de Davos [le Forum économique mondial], la crise du Covid-19, et la « secte du Giec » qui serait « fascinée par le CO2 ».

Quelle est la cible de cette vidéo ?

En publiant une vidéo sur YouTube, il s’adresse globalement à un public de 18-35 ans. Raptor veut à la fois contenter sa communauté, mais aussi ouvrir les champs de sa clientèle potentielle. Il ne faut pas oublier que c’est un boutiquier avant tout [il vend notamment des compléments alimentaires, des barres protéinées, etc.]. Derrière cette vidéo et son audience, il y a un business. C’est une machine à cash. Le Raptor est un entrepreneur.

Le premier commentaire épinglé sous la vidéo renvoie d’ailleurs à ses services. Le sujet de la vidéo est presque un prétexte. Le but, c’est de générer du clic. Le Raptor adhère aux théories climatosceptiques, mais tout ce spectacle, c’est un produit d’appel pour renvoyer les gens vers ce qui lui rapporte de l’argent. C’est-à-dire ses programmes de diététique, ses formations en bodybuilding, la vente de compléments alimentaires et ses podcasts monétisés.

Le youtubeur parle de « simulation scientifique ».
Capture d’écran/YouTube/Le Raptor

Pourquoi mêle-t-il à ses propos anti-écologiques des injures antiwoke, transphobes et sexistes ?

La fachosphère ne se prive jamais de caricature. Pour eux, l’écologie est une notion de gauche et la gauche est l’ennemi à abattre. Le progressisme est un grand tout où s’aggloméreraient toutes ces valeurs qui attaquent l’Occident, la société traditionnelle et la virilité masculine.

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Cette vidéo est-elle dangereuse ?

Je pense qu’il faut effectivement la prendre au sérieux. La fachosphère ne se contente plus de petites blagues politiquement incorrectes et racistes. Ils façonnent tout un discours qui irrigue le monde réel. On le voit avec la théorie du grand remplacement. Il y a dix ans, quand j’ai commencé à étudier l’extrême droite, cette théorie ne sortait pas des blogs néonazis ; aujourd’hui l’expression s’est répandue à droite, partout. On voit aussi avec les derniers sondages que le climatoscepticisme a tendance à embarquer une part non négligeable de la population française. La situation se dégrade et peut avoir des conséquences très pratiques. Soutenu activement par la fachosphère, Éric Zemmour a quand même obtenu 7 % des voix à la dernière élection présidentielle avec un programme extrêmement violent. La menace n’est donc pas à prendre à la légère.


Comment riposter ?

La réponse du discours scientifique est essentielle, même si elle atteint rarement les scores des influenceurs d’extrême droite. Mais c’est important de montrer qu’il existe un autre discours, que celui-ci est argumenté, qu’il a des sources. Les climatologues et les historiens ont un rôle décisif à jouer. On ne peut pas demander aux gens confrontés à ce type de discours d’aller eux-mêmes faire la démarche de contre-argumenter. Il faut faire monter en puissance des influenceurs opposés aux idées d’extrême droite. Lors des dernières élections législatives, le fort taux d’influenceurs mobilisés à gauche a changé la donne. Je pense à Squeezie ou Lena Situations, qui ont des audiences bien plus importantes que les cadors de la fachosphère et qu’on ne peut pas pour autant soupçonner d’avoir un agenda politique.

On ne doit pas déserter ces plateformes, mais au contraire y accroître notre présence, selon vous ?

Je pense qu’il faut faire exister des gens qui, par leur travail, s’opposent à l’extrême droite. Il n’y a pas, en soi, de prédominance de l’extrême droite sur les réseaux ni de monopole de leur pensée, si ce n’est sur X [ex-Twitter]. La bataille n’est pas finie, il faut y engager toutes nos forces.

Pop fascisme — Comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle sur internet, de Pierre Plottu et Maxime Macé, aux éditions Divergences, 27 septembre 2024, 108 p., 15 euros.

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