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À La Réunion, une savane sacrifiée pour construire des logements


Saint-Paul (La Réunion), reportage

En cette fin août, les hautes herbes prennent une couleur cuivrée, signe de la période sèche. Quelques maigres arbres et des « chokas », aux feuilles vertes et pointues, se dressent. Ces étendues, façonnées au fil des décennies par l’activité pastorale traditionnelle, font partie des espaces naturels remarquables de l’île, à l’image des cirques, pitons et remparts classés au patrimoine mondial de l’Unesco.

William a admirés ces paysages de savane réunionnais toute sa vie. Né dans la baie, il s’est installé dans les hauteurs il y a trente ans. « Cette vue sur la mer, c’est extraordinaire. Bientôt, il y aura du béton, on ne verra plus ça », dit-il.

Située dans l’ouest de la Réunion, la savane de Saint-Paul est un lieu emblématique pour les habitants de l’île. Les collines couvertes d’herbes sèches et surplombant la mer offrent des vues uniques.
© Romain Huré / Reporterre

C’est par le bruit des tractopelles, un matin de mai, que les riverains ont découvert le lancement des travaux, à quelques mètres de leurs maisons. La quiétude du lieu-dit Plateau Caillou, à Saint-Paul, sur la côte ouest de l’île de La Réunion, et celle de la savane environnante est interrompue depuis lors par la circulation de véhicules de chantier.

« On s’est sentis insultés, personne ne s’est soucié de notre avis », déplore Élie Payet, membre du collectif Protège nout’ savane. Les habitants expliquent ne pas avoir été consultés ni même informés du lancement du projet de zone d’aménagement concerté, nommée « Savane des tamarins ».

Un riverain constate les zones de savanes défrichées suite au début des travaux de construction de la ZAC des Tamarins.
© Romain Huré / Reporterre

Imaginée en 2003, cette ZAC a connu de nombreuses modifications avant le coup d’envoi des travaux vingt ans plus tard. D’ici 2035, 90 hectares de cette savane seront aménagés pour accueillir 2 000 logements, une zone commerciale, diverses infrastructures dont un nouvel échangeur pour rejoindre la voie rapide, ainsi que des « corridors écologiques », des espaces de verdure à proximité des habitations. Ce projet néfaste pour l’environnement suscite une vive controverse chez les Réunionnais et a donné lieu à une mobilisation pour l’arrêt du chantier. Qui se poursuit inexorablement.

Les riverains ont certes été reçus par la Société d’équipement du département de La Réunion (Sedre), en charge des travaux. Et celle-ci annonce vouloir instaurer un dialogue et « communiquer pour la bonne compréhension du projet » auprès du public, tout en poursuivant les opérations.

Une biodiversité unique menacée

Au-delà des nuisances causées par le chantier, le projet de ZAC inquiète pour ses effets sur l’environnement. Le terrain retenu pour les travaux se trouve à quelques mètres de la zone protégée de la savane — 207 hectares considérés comme propriété publique gérés par le Conservatoire du littoral. Ils sont classés espaces naturels sensibles (ENS), un outil permettant aux départements de « préserver la qualité » des sites.

La parcelle de savane sur laquelle se tiendra la ZAC n’est, elle, pas protégée. Elle abrite pourtant une riche biodiversité, dont des espèces menacées d’extinction. Un travail d’inventaire de la faune et de la flore effectué par le bureau d’études Cynorkis pour le compte de la Sedre a relevé la présence de cinq espèces protégées : l’oiseau-lunette gris, la tourterelle malgache, le caméléon panthère, ainsi que les végétaux zornie gibbeuse et le bois de lait.

Jean-Eric, riverain de la savane, a pour habitude d’y emmener ses boeufs Moka paitre. Vache emblématique de la Réunion et uniquement présente sur ce territoire, l’espèce est aujourd’hui menacée de disparition.
© Romain Huré / Reporterre

En principe, la législation interdit toute activité susceptible de porter atteinte aux espèces protégées, mais la Sedre a obtenu une dérogation auprès de la préfecture de La Réunion. Dans sa demande, le conducteur de travaux a mis en avant les besoins liés à la croissance urbaine de la ville de Saint-Paul, notamment la demande de logements. La ZAC Savane des tamarins est présentée comme la solution la plus satisfaisante en matière de coût environnemental. Concernant les espèces protégées, des mesures d’évitement et de compensation ont été proposées.

Des habitants participent à une journée de mobilisation contre la construction de la ZAC organisée par le collectif Protège nout Savane, le 28 juillet 2024.
© Romain Huré / Reporterre

Ces mesures n’ont toutefois pas convaincu le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel de La Réunion (CSRPN), organe consultatif rattaché à la préfecture, qui a émis un avis défavorable en février 2023, considérant que le projet nuit à la conservation de la zornie gibbeuse et d’autres habitats naturels « exceptionnels et uniques à l’échelle de La Réunion ». Le Conseil a également critiqué l’étude de terrain, pointant du doigt l’absence dans les inventaires de certaines espèces végétales et animales évaluées « en danger critique d’extinction ».

À la suite à cet avis, la Sedre a revu ses propositions, en supprimant notamment la construction d’une quinzaine de maisons à proximité des deux espèces de bois de lait présentes sur le site, la mise en place de clôtures dès la période de travaux et la transplantation des zornies gibbeuses et d’autres espèces végétales remarquables au nord de la zone. Des modifications au coût considérable, puisque le budget de ces mesures compensatoires est passé de 175 000 euros à plus d’un million, sur les 114 millions d’euros de coût total du projet. La dérogation a été par la suite accordée sans nouvel avis du CSRPN.

L’argument ? Le manque de logements

Face aux critiques, la Sedre n’a cessé de se défendre en rappelant la crise immobilière que traverse l’île. On comptait fin 2023 près de 45 000 demandes de logements sociaux, dont plus de 5 000 demandes sur la commune de Saint-Paul.

Avec ses 2 000 logements, dont la moitié prévus comme logements sociaux, le conducteur de travaux — aussi bailleur social — entend répondre à ces besoins et met en avant la nécessité de construire dans les mi-pentes sur une île menacée par la montée des eaux.

Ces arguments sont cependant dénoncés par les opposants de la ZAC, qui mettent en avant le projet parallèle d’écocité, soit 35 000 nouveaux logements sur les communes de Saint-Paul, La Possession et Le Port. « Nous ne sommes pas dans la même temporalité », dit Yannick Payet-Fontaine, directeur de la Sedre, « on aura la livraison des premiers 400 logements, dont la moitié aidés, d’ici 2028 sur la ZAC des Tamarins ».

© Romain Huré / Reporterre

Outre son patrimoine naturel, la savane porte un intérêt culturel et de loisirs pour les Réunionnais et les touristes, qui se plaisent à se promener le long des sentiers aménagés. Aussi, dès la découverte du chantier, une partie de la société réunionnaise s’est mobilisée, en soutien au collectif Protège nout’ savane. Une pétition en ligne réclamant l’arrêt des travaux a récolté plus de 17 000 signatures à l’heure actuelle.

Une mobilisation populaire inédite

Le 28 juillet dernier, Protège nout’ savane a organisé un rassemblement de protestation aux abords du chantier. La manifestation a réuni plusieurs dizaines de personnes, dont des artistes emblématiques, à l’instar de Danyèl Waro – figure incontournable du maloya – et Teddy Lafare-Gangama – chanteur compositeur-interprète – qui ont argué de l’importance des espaces naturels dans l’identité créole.

« On s’attendait à ce que plus de monde vienne », admet Élie Payet, « mais des militants plus expérimentés nous ont dit que c’était inédit comme participation à La Réunion pour un événement de ce genre ». Démarré comme un rassemblement de riverains, le collectif réfléchit désormais à évoluer en association afin de pouvoir agir juridiquement.

Une vue du chantier de construction de la ZAC des Tamarins, installé sur une zone de savane défrichée.
© Romain Huré / Reporterre

En dépit de la mobilisation, les Réunionnais sont divisés face à la nécessité de la ZAC : « C’est normal de construire, ça fait partie du développement de l’île », explique un habitant de Plateau-Caillou. « Demain, j’ai un enfant qui a besoin d’un logement, je pourrais faire une demande pour lui. Moi, ça ne me dérange pas en tout cas, j’aurai toujours la vue sur la mer depuis ma maison. »



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