• ven. Sep 20th, 2024

« L’eau nous fait peur, alors on veut la contrôler »


Charlène Descollonges est ingénieure hydrologue. Elle publie le 12 septembre Agir pour l’eau — Le mode d’emploi citoyen, aux éditions Tana.


Reporterre — Inondations dans le Nord, intempéries dans les Pyrénées-Atlantiques, mais aussi sécheresse dans plusieurs départements du sud-est… Cette rentrée est marquée par des extrêmes hydriques. Dans votre nouvel ouvrage, vous expliquez que ces phénomènes sont symptomatiques de la dégradation du cycle de l’eau, causée par nos activités. C’est-à-dire ?

Charlène Descollonges — Un cycle de l’eau naturel, non anthropisé, fonctionne avec des flux d’eau bleue — celle qui transite dans les cours d’eau, les lacs, les nappes —, mais aussi d’eau verte, qui s’infiltre et se stocke dans le sol et les plantes. Cette eau verte est très peu prise en compte, alors qu’elle joue un rôle essentiel, et que nos activités l’affectent énormément. Par exemple, dès lors qu’on déforeste, on impacte le régime des pluies, qui dépend énormément des arbres.

En France, notre principal impact sur le cycle de l’eau est l’artificialisation des sols. Quand la goutte de pluie tombe, trois options s’offrent à elle : ruisseler, s’infiltrer ou s’évaporer. Lorsqu’on bétonne, on augmente fortement le ruissellement, et dans une moindre mesure l’évaporation. Sans compter que l’agriculture intensive, quand elle compacte les sols ou retourne des prairies naturelles, est une forme d’artificialisation. Donc on ne recharge plus les sols ni les nappes. Derrière, on se retrouve d’un côté avec des débordements par ruissellement, et de l’autre avec un assèchement des sols. Sécheresse et inondations sont les deux faces d’une même pièce : celle d’un cycle de l’eau fortement dégradé.


Vous dénoncez également un « rapport de prédation » des humains sur l’eau. Qu’entendez-vous par là ?

Ce rapport de prédation est relié à une forme de peur de l’eau. La peur de manquer et d’être submergé. Dès lors qu’on a peur, on cherche à contrôler et à « prédater ». Canaliser les rivières plutôt que les laisser divaguer. Pomper et stocker dans des bassines plutôt que de laisser s’infiltrer. Il s’agit à présent de sortir du paradigme de la peur et d’une vision « tuyaux et canalisation », en cherchant à comprendre la vie d’une rivière. Comment retrouver la fonction éponge des sols et des arbres, voire même d’une ville. Comment laisser leur place aux cours d’eau. Ça implique de changer notre rapport relationnel à la rivière, à l’eau.


Vous appelez à un « changement de paradigme » autour de trois actions : ralentir, régénérer et faire alliance…

Tout ce qui va dans le sens de ralentir nos modes de vie permet de ralentir le cycle de l’eau. Aujourd’hui, on se déplace plus et plus vite, on consomme des fast-foods, de la fast fashion. Et pour permettre tout ça, on extrait de plus en plus d’eau, on bitume, on agrandit les fermes… Une fois qu’on a ralenti, on a la place pour régénérer les hydrosystèmes, notamment en accompagnant la transition agricole, principal levier pour améliorer la santé des cycles de l’eau.

Dans la nuit du 6 au 7 septembre, les pluies extrêmes dans les Pyrénées-Atlantiques ont grossi le gave d’Aspe et ses affluents en vallée d’Aspe. Sortis de leur lit, ils ont tout emporté sur leur passage.
© Quentin Top / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Enfin, il s’agit de faire alliance entre humains, à l’échelle d’un bassin versant. Tout ce que font les usagers en amont aura des répercussions en aval ; il faut donc discuter, s’écouter, coopérer. Avec deux enjeux essentiels : partager la ressource en eau, prioriser les usages. Nous devons aussi faire alliance avec le vivant, avec les rivières, les zones humides, les êtres vivants dans ces milieux… Coopérer avec les castors pour se prémunir des inondations par exemple [1].


Quelles sont les principales mesures que chacun peut mettre en place chez soi ou autour de soi pour « agir pour l’eau » ?

Commençons par nous intéresser à comment fonctionne le cycle de l’eau autour de nous. D’où vient l’eau de notre robinet, où vont nos eaux grises ? On peut ensuite adapter notre habitat, pour faire des économies d’eau ; quand on a un jardin, recréer une mare, récupérer l’eau de pluie.

Le plus gros levier n’est cependant pas dans notre habitat, mais dans notre alimentation. En mangeant bio, on protège l’eau de la pollution aux pesticides. En mangeant moins de viande, on réduit fortement notre consommation en eau — une portion de bœuf de 200 g nécessite 3 080 litres pour être produite.


Au niveau national, quelles politiques devraient être mises en place en faveur d’une meilleure gestion de l’eau ?

Il reste beaucoup à faire au niveau de la politique agricole. On a un sérieux problème avec notre agriculture, qui est restée coincée dans un modèle productiviste des années 1960 très prédateur de la ressource en eau. Sur le terrain, plein de dynamiques vont dans le sens d’une transition agroécologique, autour par exemple de la Sécurité sociale de l’alimentation ou de la résilience alimentaire. Charge à l’État d’accompagner davantage ces initiatives.

Il faudrait surtout que l’État ait une vision stratégique sur le partage de la ressource en eau, en prenant en compte les impacts du changement climatique. Quels usages sont prioritaires ? L’agriculture exportatrice ou l’agriculture nourricière ? L’énergie ? Les canons à neige des Jeux olympiques d’hiver en 2030  ?

Une réflexion essentielle est à mener, tant la décarbonation de notre économie va requérir beaucoup d’eau. Il faut de l’eau pour les nouveaux EPR. Il faut de l’eau pour les futures mines de lithium. Pour l’instant, cet enjeu n’est que très peu abordé dans les débats.

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