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« C’est devenu une case à cocher »


13 septembre 2024 à 15h50

Durée de lecture : 4 minutes

Depuis six mois, internet n’a plus de nouvelles d’Inoxtag qui s’est lancé comme défi de monter l’Everest, après une année d’entraînement. Depuis son départ le 10 avril dernier, le youtubeur aux 8 millions d’abonnés, Inès Benazzouz de son vrai nom, maintient le suspens sur la réussite, ou non, de son ascension.

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Son documentaire, Kaizen, qui sera diffusé en séance unique au cinéma vendredi 13 septembre, et sur YouTube le lendemain, contribue à présenter la montagne comme un produit marchand, regrette Fiona Mille, présidente de l’association écologiste Mountain Wilderness.

Reporterre — Inoxtag, youtubeur de 22 ans qui n’est pas alpiniste, s’apprête à sortir un documentaire sur son ascension de l’Everest, qu’en pensez-vous ?

Fiona Mille — L’Everest est devenu une case à cocher, quelque chose à faire une fois dans sa vie. Ce qui pose question avec la vidéo d’Inoxtag, c’est qu’on valorise l’exploit et on met en avant un business. On fait de la montagne un objet de consommation et cela a des impacts environnementaux évidents. Mais l’Everest est devenu une carte postale, alors Inoxtag y va quand même. Il s’agit d’un youtubeur français, mais il y a une vraie clientèle de personnes fortunées qui se disent qu’en deux jours ils seront au sommet du toit du monde.

J’aimerais plutôt qu’Inoxtag évoque ce que celui lui a procuré d’être dans un milieu naturel. Qu’il nous invite, quitte à aller sur le toit du monde, à prendre plusieurs mois pour le faire, à s’immerger dans le massif, à s’imprégner de la culture de ceux qui y vivent. Il faut témoigner de l’état de la montagne pour modifier nos modes de vie.

Quelles peuvent être les conséquences de ce type de vidéo sur la haute montagne ?

C’est une bonne chose que des gens s’intéressent à la montagne, la question est plutôt de savoir de quelle manière y vont-ils. Les influenceurs ont un rôle à jouer auprès de leur communauté et doivent porter des messages sensibles sur nos écosystèmes naturels. Aujourd’hui, on ne peut plus faire de films sur la montagne sans passer de messages, sans parler de l’urgence climatique et de ses ravages. Cet été, l’un des principaux villages sherpa proches de l’Everest, Thame, a été ravagé par une crue torrentielle. Inoxtag en parlera-t-il ?

Un propos vendant « un imaginaire de ressources illimitées »

L’enjeu des vidéos est de continuer à concilier l’émerveillement que nous procure la montagne, car c’est une source d’engagement, mais il faut le faire avec un message appelant à repenser nos manières de vivre. Les images d’Inoxtag seront belles, mais je pense que le discours derrière ne sera pas au rendez-vous. Qu’il y ait dépassement de soi, de l’envie et du besoin d’aller en montagne, c’est une très bonne chose, mais il faut aussi rappeler que ce n’est pas un terrain de jeu. Il faut y aller dans le respect et cela nécessite de changer nos approches.

Les créateurs de contenus vont toujours plus loin pour produire des vidéos et surprendre leurs abonnés. L’ascension de l’Everest par Inoxtag en est l’ultime exemple. Qu’en pensez-vous ?

Cette course au « toujours plus, toujours plus loin » a un aspect négatif, elle répond à la société de l’immédiateté, où l’on doit aller vite, et faire plein de choses, puisque c’est comme cela que l’on est reconnu. Or, le propos véhiculé n’est plus cohérent avec les enjeux de notre siècle. Il continue de vendre cet imaginaire de ressources illimitées alors qu’on a un impératif de sobriété.

Le véritable défi est de montrer que cette sobriété n’est pas triste. On peut vivre moins de choses, mais plus intensément. Les films ont leur rôle à jouer pour passer ce message. Les montagnes sont des écosystèmes vivants, et pas uniquement des lieux où réaliser nos performances. Finalement, avec ce documentaire, Inoxtag va toucher beaucoup de monde. J’ai peur qu’il vende un rêve inaccessible de performance, alors que les beautés de la montagne sont accessibles à tous.

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