• dim. Sep 22nd, 2024

Sentinelles de la nature, les gardes champêtres sont de retour


Saint-Benoît-des-Ondes (Ille-et-Vilaine), reportage

« La voilà, la partie champêtre du travail ! » Bonnet de police vissé sur la tête, gilet par-balles sur les épaules, Patrick Person, les mains sur le volant de son Dacia Duster de fonction, sillonne les chemins carrossables qui ornent les prairies et parcelles cultivées de la campagne de Saint-Benoît-des-Ondes, en Ille-et-Vilaine.

Là, un immense poirier de 25 mètres de haut planté au milieu d’un champ par les anciens et qui aurait été rasé par l’exploitant agricole actuel si Patrick Person n’était pas intervenu. Plus loin, une haie partiellement détruite et qui a failli être intégralement rasée s’il n’avait pas une nouvelle fois veillé au grain. « Et ici, deux chênes qu’une entreprise de travaux voulait raser pour pouvoir faire passer leurs machines. Pour un mois de chantier, j’ai dit non », explique fermement celui qui officie en tant que garde champêtre sur quatre communes du département : Saint-Benoît-des-Ondes, La Gouesnière, Hirel et La Fresnais.

« Parfois aussi, je m’arrête pour observer la vie autour de moi. L’autre jour, j’ai pris quelques minutes pour contempler deux écureuils en train de jouer, évoque l’ancien gendarme qui a bifurqué vers le métier de garde champêtre en 2012. J’avais envie de changer d’air, d’avoir un métier de proximité. »


Patrick Person attache une importance particulière à l’aspect vestimentaire, afin de représenter au mieux sa fonction et d’être clairement identifié.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Obligatoires dans chaque commune de France jusqu’en 1958, les gardes champêtres ne sont aujourd’hui plus que 1 200 d’après la Fédération nationale des gardes champêtres (FNGC), contre environ 24 000 policiers municipaux d’après le ministère de l’Intérieur. Pourtant, les gardes champêtres — dont le nom peut légèrement faire sourire et évoquer un certain folklore — disposent d’un arsenal de compétences plus étendu que leurs camarades de la police municipale.

Chasse, eau, pêche, agriculture… Ces fonctionnaires ont le pouvoir d’auditionner, de perquisitionner, de saisir et d’enquêter sur tout ce qui porte atteinte à l’environnement, « ce que ne peut pas faire la police municipale. Ce sont des pouvoirs d’enquête comme ceux de l’OFB [Office français de la biodiversité] », souligne Patrick Person, dont la voiture de fonction recèle de mille et une choses : une cage pour chien errant, une longe en cas de cheval égaré — « qui n’a jamais servie ceci dit » —, des gants ou encore des cartes du territoire plastifiées, « plus précises qu’un GPS », selon le fonctionnaire.


Son secteur de patrouille comprend quatre villes : Saint-Benoît-des-Ondes, La Gouesnière, Hirel et La Fresnais.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

« Il n’y a pas deux gardes champêtres identiques »

Ici, dans ces quatre communes littorales et rétrolittorales de 6 000 habitants et faisant partie du marais de Dol, les missions qui touchent à l’environnement concernent surtout les dépôts sauvages. « Là, voyez, il y a des débris. Je n’ai pas encore trouvé d’indice pouvant me permettre de retrouver l’auteur de ce dépôt », explique Patrick Person, alors qu’il pointe du doigt des détritus laissés en bord de champ.

Mais à chaque territoire ses particularités. « Il n’y a pas deux gardes champêtres identiques, souligne de son côté Thierry Baudry, également garde champêtre en Ille-et-Vilaine, à Val-Couesnon, et trésorier de la FNGC. Ce métier est une vocation, c’est enrichissant, diversifié et il n’y a pas de routine. Tantôt on est sur un dossier urbanisme, tantôt sur un dossier route ou environnement. »

« Dans le sud de la France, les collègues font davantage d’actions pour prévenir les feux de forêt », précise Patrick Person. Le garde champêtre peut également contrôler des chasseurs pour lutter contre le braconnage ou enquêter sur des actes de pollution de la part d’agriculteurs. « Les milieux de la terre peuvent être difficiles selon le type d’exploitation. Si on sait qu’un agriculteur pollue, on n’y va pas seul, mais avec les gendarmes », complète le fonctionnaire qui, en cette rentrée scolaire, apprécie également être présent aux abords des écoles primaires en début et fin de journée « pour veiller à ce que les parents se garent correctement. Les adultes doivent montrer l’exemple aux enfants ».


En début d’année scolaire, Patrick Person surveille la sortie des écoles pour prévenir les mauvais stationnements et se montrer visible. Le panel des missions d’un garde champêtre est large.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Un mépris de la fonction

Le garde champêtre connaît le territoire comme sa poche. « C’est un métier où il faut aimer trois choses : la nature, patrouiller et être seul », ajoute l’ancien gendarme. À la fois les yeux et les oreilles de l’édile de la ville, le garde champêtre se définit aussi comme « le thermomètre de la commune, on sent la colère monter ou non selon une décision prise par le maire ».

Pour Fabien Gaveau, historien, auteur d’une thèse sur l’histoire des gardes champêtres, « la richesse de la fonction et l’intérêt qu’elle représente pour une commune contrastent avec le mépris qui lui est adressé ». Les gardes ne disposent par exemple pas d’uniformes officiels. Leur seule obligation est d’avoir un écusson avec écrit « La loi » sur eux. « Un décret de 2023 devrait nous permettre à partir de 2025 d’avoir un uniforme officiel. Les autocollants sur ma voiture de fonction devront être changés aussi pour être harmonisés. Mais ce sera un coût pour les communes », explique Patrick Person.


L’œil alerte sur un dépôt d’ordures sauvages, un animal en divagation… Il affectionne de patrouiller en prenant les petits chemins creux de la commune.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Malgré des compétences plus élargies que la police municipale, les gardes champêtres bénéficient d’une rémunération inférieure. Ils sont également classés en catégorie C au sein de la fonction publique territoriale. Un classement qui offre peu de perspectives d’évolution salariale ou hiérarchique.

Depuis une dizaine d’années, l’État songe à fusionner les gardes champêtres avec la police municipale. « Il y a des avantages et des inconvénients. Les gardes champêtres pourront être mieux payés à compétence égale. À l’inverse, les policiers municipaux auront plus de compétences, mais pas un salaire plus élevé », explique de son côté Thierry Baudry du FNGC, pour qui « l’esprit des gardes champêtre doit être conservé ».

« C’est un métier qui a 900 ans », précise Patrick Person. « C’est la plus vieille police de France, abonde de son côté Fabien Gaveau, mais l’État se méfie des gardes champêtres. Ils créent les conditions du consensus social en dialoguant, alors qu’aujourd’hui il y a une exacerbation de la question sécuritaire avec l’idée d’une tension omniprésente. On présente des faits terribles et malheureux comme l’expression de la norme. » D’où le nombre plus important de policiers municipaux au détriment des gardes champêtres. Ici, le métier ne rime en effet pas avec sanctions. « La verbalisation représente seulement 4 à 5 % de mon travail », indique Patrick Person.


Ancien gendarme, Patrick Person est l’un des 1 200 gardes champêtres restant en France.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Une conscience écologique qui se développe

La profession connaît cependant un léger regain d’intérêt. « On voit plus d’offres d’emplois passer », fait savoir le trésorier de la FNGC. « La conscience écologique se développe dans les communes, souligne Patrick Person. Des territoires se partagent de plus en plus de gardes champêtres. Des Brigades vertes voient le jour également depuis plusieurs années. » C’est le cas notamment dans le massif des Vosges, à la Rochelle ou à Tarascon (Bouches-du-Rhône). Des communes peinent même à recruter, comme celles de Maen Roch, en Ille-et-Vilaine.

« Il existe seulement trois centres de formation en France : à Montpellier, Nancy et Amiens, complète le garde champêtre. Un petit truc m’a attiré l’œil. L’agri a laissé sa botteleuse [machine qui forme les bottes de foin] dans son champ. Si par exemple elle n’est plus là demain et que l’agriculteur me signale son vol, je saurai qu’elle était encore là la veille. Même en dehors du travail je remarque ce genre de détail. Ma femme me dit que c’est mon plus gros défaut. »



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