• mer. Sep 18th, 2024

« Il faut soutenir les travailleurs de l’automobile », disent les écologistes belges


L’usine Audi de Bruxelles, située dans la commune de Forest, est sur le point de fermer ses portes. Après des mois d’incertitude, le constructeur allemand Volkswagen, qui détient Audi, a finalement confirmé qu’il n’y assemblerait plus de voitures. Cette décision met en péril plus de 4 000 emplois directs, en comptant les sous-traitants. Face à cette situation, le parti écologiste belge Écolo a exprimé son soutien aux salariés, un engagement qui a parfois suscité des incompréhensions.

Un soutien nécéssaire, tant la Audi « fait partie intégrante de notre tissu social et urbain », explique Séverine de Laveleye, membre d’Écolo et habitante de Forest. Son parti sera présent, le 16 septembre, à la manifestation organisée par les travailleurs, qui s’est transformée en une mobilisation nationale interprofessionnelle, pour exiger que des mesures soient prises pour sauvegarder les emplois.

Reporterre — Pourquoi, en tant que militante écologiste, avez-vous décidé de soutenir les salariés de l’usine Audi Forest ?

Séverine de Laveleye — Il est évident pour nous, écologistes, de nous tenir aux côtés des travailleurs et travailleuses. Notre vision politique repose sur une critique du système capitaliste et néolibéral, qui exploite à la fois les ressources de la planète et les populations humaines. Cette lutte est au cœur de notre combat depuis toujours. Nous voyons les travailleurs, notamment ceux en bas de la chaîne de production, comme les victimes malmenées par les décisions de multinationales qui délocalisent leurs activités pour réduire les coûts, laissant des milliers de personnes sans emploi. C’est une des facettes les plus criantes de l’impasse dans laquelle on se trouve.

Ensuite, il y a un aspect personnel. J’habite à proximité de l’usine Audi, elle fait partie de notre patrimoine local. Je vois de ma rue les travailleurs se rassembler chaque jour. En tant que mandataire locale, il est naturel pour moi d’être présente régulièrement pour les soutenir ; cette usine fait partie intégrante de notre tissu social et urbain, tout comme de notre histoire.

Des travailleurs et internautes se sont étonnés de votre présence lors d’un rassemblement, dénonçant une prétendue responsabilité des écologistes dans les pertes d’emplois du secteur automobile. Comment réagissez-vous ?

Ces critiques existent, mais elles ne sont pas représentatives de la réalité sur le terrain. Nous avons de bons contacts avec les syndicats, et lors de nos visites les échanges se déroulent très bien.

Cependant, je ne peux que comprendre la colère et le désarroi de certains travailleurs. Ils sont dans une situation difficile, il est naturel de chercher des coupables. Ce désarroi peut conduire à des raccourcis et des malentendus. Mais cette colère ne doit pas nous faire perdre de vue les véritables responsables : les grandes multinationales qui privilégient le profit au détriment de l’humain.

Les salaires sont suspendus depuis le 11 septembre 2024.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

On nous accuse souvent, en tant qu’écologistes, d’être contre les voitures ou de causer des difficultés économiques à cause de notre soutien à la fin des voitures thermiques. Ce n’est pas le cas. La nécessité de sortir des énergies fossiles n’est pas une lubie des écologistes, mais une nécessité claire, établie par les scientifiques depuis des décennies. Il s’agit d’un consensus politique européen pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, un objectif acté dans la loi Climat européenne.

Il est donc erroné de faire porter la responsabilité des difficultés d’entreprises comme Audi aux écologistes. Certes, le modèle électrique produit par l’entreprise à Audi Forest, l’Audi Q8 e-tron, n’est pas un succès. Mais Audi, comme d’autres, fait ses choix en fonction de logiques commerciales : nous ne leur avons rien demandé, et surtout pas de produire un SUV aussi cher et donc si peu adapté à l’énorme majorité des personnes qui dépendent de leur voiture. Il est également important de souligner que le marché des voitures électriques en Belgique, notamment via le système des véhicules de société, se porte plutôt bien.

Accuser les écologistes pour les restructurations dans l’industrie automobile relève d’un diagnostic biaisé. Cette tendance n’est pas nouvelle : la Belgique a déjà subi des fermetures d’usines bien avant que les écologistes n’aient un quelconque pouvoir. Les restructurations industrielles en Europe remontent aux années 1980, et sont liées à des mutations globales du capitalisme industriel, bien au-delà de toute politique écologique.

Votre projet politique implique néanmoins une transformation du secteur industriel. Comment concilier la défense des emplois industriels avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

D’abord, il est fondamental de relocaliser les modes de production et de consommation. Cela vaut pour tous les secteurs, de l’alimentation aux médicaments, mais aussi pour l’industrie automobile. Pendant la pandémie de Covid-19, on a vu à quel point l’Europe était dépendante d’autres continents. Tout le monde semblait dire qu’on allait relocaliser, mais cela ne s’est pas vraiment matérialisé à grande échelle.

Il est certain que nous aurons toujours besoin de voitures dans certaines zones ou pour certains usages, même si nous devons favoriser et donc continuer de développer les mobilités douces et partagées. Il y aura encore des zones où les transports publics ne seront pas facilement accessibles et, dans ces cas-là, la voiture restera indispensable. Il est crucial que l’Europe continue de produire ses voitures, mais avec un réel souci environnemental.

La restructuration d’Audi menace aussi les sous-traitants.
© Alexandre-Reza Kokabi / Reporterre

L’exemple des SUV électriques produits par Audi est symptomatique : ce n’est pas le modèle que nous privilégierions en tant qu’écologistes. Il faut des voitures plus petites, moins énergivores, adaptées aux réels besoins des gens. Nous devons aussi encourager l’économie circulaire autour de la production automobile, en maximisant le recyclage des métaux rares utilisés dans les véhicules électriques. Il y a là un potentiel et une marge énormes pour créer des emplois de qualité, tout en respectant les limites planétaires.

Comment garantir la protection des travailleurs face à de grandes entreprises comme Audi, qui peuvent décider de fermer ?

En Belgique, depuis le drame de Renault [l’entreprise avait fermé ses portes en 1997, licenciant plus de 3 000 employés], la « loi Renault » encadre les licenciements collectifs et impose des procédures d’information et de consultation avec les travailleurs et travailleuses. Ce genre de dispositif doit être renforcé. Mais soyons réalistes : même avec de telles mesures, une entreprise peut toujours décider de fermer. Les leviers dont disposent les pouvoirs publics sont limités. C’est particulièrement irritant et scandaleux puisque quand Audi a repris l’usine en 2006, elle a bénéficié d’aides publiques et de taxes locales allégées, alors que les finances publiques de notre commune sont dans le rouge. Aujourd’hui, ça ne les empêche pas de partir.

C’est au niveau européen que des mesures structurantes doivent être prises. Il est essentiel d’avoir des outils comme la taxation carbone aux frontières, et des normes environnementales exigeantes en termes de responsabilité sociale des entreprises. Cela inciterait les investisseurs à relocaliser, car produire en Europe serait plus attractif.

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