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Dans le monde, le nucléaire ne fait plus rêver


C’est devenu le marronnier du monde nucléaire, le rendez-vous annuel qui propose un état des lieux chirurgical de l’industrie atomique à travers le monde. Réalisé par des experts indépendants et coordonné par Mycle Schneider, analyste indépendant en énergie et politique nucléaire, le rapport sur l’état de l’industrie nucléaire dans le monde (WNISR) est rendu public le 19 septembre à Vienne en Autriche.

Depuis plusieurs années, il révèle minutieusement l’écart entre la communication débridée d’une industrie en pleine relance et sa réalité factuelle : ses chantiers retardés ou annulés, ses projets suspendus, ses coûts stratosphériques. « Faire un rapport annuel nous permet de vérifier si les tendances identifiées les années précédentes se confirment ou s’il existe des ruptures entre 2023 et 2024 », assure Mycle Schneider, son coordinateur. « Le fossé entre la perception du public sur le nucléaire et la réalité industrielle du secteur est remarquable. Ce rapport est beaucoup plus qu’un ramassis de statistiques, bourré d’informations. Il s’agit d’un travail analytique sur plus de 500 pages. C’est inégalé. » À côté, le World nuclear performance report (WNPR) de la world-nuclear.org — une organisation internationale qui fait la promotion de l’industrie nucléaire — ne pèse que trente-trois pages.

Les capacités mondiales de l’électricité d’origine nucléaire continuent de décliner. En 2023, cinq nouveaux réacteurs (d’une capacité combinée de 5 gigawatts (GW)) ont été mis en service en Biélorussie, en Chine, en Slovaquie, en Corée du Sud et aux États-Unis. Cinq autres — pour une capacité totale de 6 GW — ont été mis à l’arrêt.

Ainsi, les capacités nucléaires ont baissé d’1 GW. À mi-2024, 408 réacteurs (367 GW) sont en fonctionnement dans le monde, contre 407 en 2023. Lors du premier semestre 2024, quatre unités ont complété le mix énergétique en Chine, en Inde, aux Émirats arabes unis et aux États-Unis. Trois réacteurs ont été fermés en Allemagne, un en Belgique et le dernier à Taïwan. Si la production d’électricité d’origine nucléaire a augmenté de 2,2 % en 2023, la part de cette énergie dans la production d’électricité mondiale s’élève à 9,1 %, soit un peu plus de la moitié du pic constaté en 1996 qui plaçait l’électricité d’origine atomique à 17,5 % du mix électrique mondial.

La Chine est la locomotive du secteur

Au total, 59 projets de construction sont répartis dans treize pays, dont 23 ont pris du retard. Avec 27 réacteurs actuellement en construction à domicile, la Chine est la véritable locomotive du secteur. La Russie, elle, domine plutôt le marché à l’international : elle construit actuellement 26 réacteurs dont une vingtaine dans sept pays différents. À eux deux, Chine et Russie ont démarré la mise en œuvre de 35 réacteurs depuis décembre 2019.

La France aussi construit à l’étranger, plus précisément à Hinkley Point en Grande-Bretagne où deux unités accusent déjà un retard de livraison, la mise en service étant prévue pour 2029-2031. « On ne regarde pas la trajectoire énergétique mondiale comme on regarde une photo, il faut regarder le film », prévient Mycle Schneider. « Il y a une déconnexion entre les processus de prises de décision politique et la réalité industrielle. Par exemple, il ne suffit pas d’une loi d’accélération pour que tout accélère ! »

Le rapport se plaît à décortiquer, au cas par cas, les situations des pays nucléarisés. En Belgique, la production d’électricité d’origine nucléaire a chuté de 25 % en 2023. D’ici à 2025, 3 des 5 unités restantes doivent fermer, l’exploitation des 2 unités les plus récentes est, elle, prolongée jusqu’en 2037, à condition que la Commission européenne donne son accord.

Au Japon, plus de treize ans après l’accident de Fukushima, la remise en service de certains réacteurs se poursuit. Lors du deuxième semestre 2023, 2 unités ont recommencé à produire de l’électricité, ce qui monte à 12 le nombre d’unités en service (tandis que 21 unités sont hors service). Sur l’archipel, l’atome ne représente plus que 5,6 % de la part totale d’électricité.

En Turquie, les autorités ont reporté à 2025 le lancement de la première unité de la centrale d’Akkuyu. Pour rappel, un tremblement de terre avait suspendu la poursuite de ce chantier, intégralement mené par les Russes.

Après onze années de construction, le quatrième réacteur de Vogtle a enfin été raccordé au réseau aux États-Unis, pour un coût global de 36 milliards de dollars (32,2 milliards d’euros) les deux unités. Aucune construction n’est désormais en cours au pays de l’Oncle Sam.

Projets de miniréacteurs annulés ou reportés

Alors que le battage médiatique se poursuit concernant les petits réacteurs modulaires (small modular reactor), très prisés des industriels souhaitant décarboner leur mix énergétique au plus près de leur site, le fossé s’agrandit avec le réel. « Vous voulez dire les small miraculous reactor ? » — les « réacteurs petitement miraculeux » — ironise Schneider.

L’industrie et les gouvernements poursuivent leurs investissements mais sur le terrain, rien ne se traduit concrètement. Les projets sont soit abandonnés comme Nuscale aux États-Unis, soit remis à plus tard comme le projet porté par EDF, Nuward, dont le report a été annoncé durant l’été. À ce jour, aucun SMR n’est actuellement en construction en Occident, aucun design n’a été certifié par les autorités de sûreté et beaucoup d’inconnues demeurent en matière de combustibles ou d’acceptabilité sociale. Par ailleurs, la rentabilité — qui est le nœud gordien du principe d’un réacteur dont on pourrait industrialiser la production — n’est pas au rendez-vous.

Le projet argentin Carem-25 en construction depuis 2014 est désormais à l’arrêt pour cause de coupes budgétaires. L’autorité de sûreté locale a lancé un audit général de son design avant d’autoriser un éventuel redémarrage du chantier. Une éventuelle date de démarrage a été fixée en 2028. D’après le rapport, ce miniréacteur pourrait bien avoisiner les 800 millions de dollars (717 millions d’euros), soit l’équivalent de 32 000 dollars le kilowattheure, un niveau absolument stratosphérique. La Chine s’est dotée de deux miniréacteurs fin 2022, dont la construction a pris une dizaine d’années.

Les énergies renouvelables décollent

Pendant que le nucléaire patine, les énergies renouvelables poursuivent leur conquête sur l’ensemble du globe. Le rapport dévoile le découplement total entre l’envolée des renouvelables et la relance poussive et coûteuse du nucléaire. « L’accélération du déploiement des renouvelables — surtout du solaire — est frappante », assure Mycle Schneider.

En 2023, plus de 623 milliards de dollars (559 milliards d’euros) ont été investis à travers le monde dans les capacités renouvelables — hors hydroélectricité. Cela représente 27 fois la mise globale destinée aux centrales nucléaires. Les capacités installées en solaire et éolien ont respectivement progressé de 73 % et 51 % accumulant un total de 460 GW installés. Les centrales photovoltaïques ou les fermes éoliennes ont généré 50 % d’électricité en plus que les usines atomiques.

« L’accélération du déploiement des renouvelables — surtout du solaire — est frappante », assure Mycle Schneider.
Wikimedia / CC BYSA 4.0 / Diego Delso

À elle seule, la Chine a déployé plus de 200 GW de solaire contre 1 seul GW de nucléaire. Ainsi, les rayons du soleil ont permis de produire plus de 578 TWh d’électricité — 40 % de plus que le parc atomique. L’ensemble des renouvelables — éolien, solaire, biomasse — a produit quatre fois plus d’électricité que les centrales.

Même l’Union européenne a battu tous ses records en 2023 : pour la première fois, les énergies renouvelables ont permis de produire plus de 44 % de l’électricité européenne. Fermes éoliennes et centrales solaires ont produit ensemble 721 TWh d’électricité, soit près d’un quart de plus que le nucléaire et ses 588 TWh. Pour la première fois, les énergies renouvelables non hydroélectriques ont généré davantage d’énergie que tous les combustibles fossiles réunis, et l’éolien seul a surpassé le gaz fossile.



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