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David Foenkinos : « Le rituel du cercueil est une thérapie de choc pour renaître à la vie »

ByVeritatis

Sep 20, 2024


Avec « La vie heureuse »,  l’écrivain David Foenkinos nous fait découvrir l’étrange cérémonial des fausses funérailles en Corée du Sud. Ce roman, à la fois jubilatoire et profond, nous amène à nous interroger sur les priorités de notre existence. Entretien avec l’auteur.  

« On devrait même, pour aimer encore plus la vie, être mort une fois » : Charlotte Salomon. Avec cette épigraphe qui rend hommage à la peintre qui l’a inspiré pour écrire son chef d’œuvre « Charlotte » (2014), David Foenkinos donne le ton de son dernier roman « La vie heureuse». 

« Beaucoup de mes livres parlent de la fragilité des êtres, de la mort, de la résurrection. Sans doute parce que j’ai vécu une expérience de mort imminente qui a transformé ma vie », confie David Foenkinos à France Soir, l’auteur du best-seller « La délicatesse » traduit en une quarantaine de langues.  

Eric Kherson, originaire de Rennes, a réalisé une formidable ascension sans encombre jusqu’au poste de directeur commercial chez Décathlon. « Il avait quarante ans ; il était encore jeune pour être vieux mais l’avenir lui paraissait sans surprise. » 

Sa femme l’a quitté, il ne voit presque plus son fils. Il culpabilise suite à la mort de son père. Une forme de désintérêt général pour la vie s’est emparée de lui. A la dernière présidentielle, il n’a pas voté… 

Un personnage banal qui fait penser aux anti-héros de Houellebecq 

Après vingt ans de carrière dans le groupe, il accepte l’offre insolite d’une ancienne camarade de classe, Amélie Mortiers, énarque fraîchement nommée directrice du cabinet du secrétaire d’Etat au Commerce Extérieur. Celle-ci souhaite s’adjoindre les compétences d’un dirigeant de la « société civile » pour convaincre des investisseurs étrangers de s’implanter en France. Eric Kherson s’y applique avec talent, sans exaltation.  

Bref, c’est un personnage assez banal qui fait penser aux anti-héros de Houellebecq.  

En janvier 2020, il part en mission avec Amélie afin de convaincre le Président de Samsung de choisir la France plutôt que l’Allemagne ou la Roumanie pour implanter son usine de trottinettes connectées.  

Sur fond de « start-up nation », cette épopée en Asie du Sud-Est est d’un réalisme crû qui laisse supposer que David Foenkinos a quelques connexions politiques qui lui ont raconté leurs challenges.  

Le « Rituel du cercueil », une thérapie de choc en Corée du sud 

A la page 101, le récit bascule dans l’excentricité, le loufoque et devient jubilatoire. Il prend alors la forme d’un policier haletant alors qu’il avait démarré piano piano.    

« Dans la première partie je décris le milieu des affaires pour contrebalancer avec l’extravagance de la suite de l’histoire », explique David Foenkinos, Lauréat du Prix Renaudot. 

Dans une improbable boutique « Happy Life » de Séoul, Eric découvre le cérémonial des fausses funérailles. Il se prête au jeu : il choisit la photo et l’épitaphe qui figureront sur sa tombe, rédige une courte nécrologie. Il s’allonge dans un cercueil en bois dont le couvercle est percé de quelques trous. Dans l’obscurité totale, il respire, médite et se laisse aspirer par la puissance de l’expérience. « Le néant s’emparait de lui avec douceur, dans ce voyage statique vers l’essentiel. » . 

Le rituel du cercueil est une thérapie de choc pour Eric. Il ne sera plus jamais le même. Son personnage prend alors de la consistance. Il démissionne brutalement, puis crée sa propre entreprise de fausses funérailles en France. Le succès est spectaculaire. Emissions de télé-réalité, Smart Box, ouverture d’un réseau de franchises…  

Une femme coréenne lors de fausses funérailles en Corée du Sud @Lee/AFP

Ce rituel est-il véritablement proposé en Corée du sud ? Mais oui, ces fausses funérailles existent bel et bien dans le pays du matin clair qui enregistre le plus fort taux de suicides des pays de l’OCDE. 

Pour lutter contre ce fléau, au début des années 2000, Kim Ki-Ho a imaginé de fausses funérailles alors qu’il écrivait une thèse sur la méditation et la mort. Aujourd’hui, à la tête de l’entreprise Happy Dying, il organise jusqu’à 300 cérémonies par mois.  

Son concept a été largement copié par plusieurs sociétés de pompes funèbres. Bouddhistes, chrétiens, athées… sont les bienvenus. Véritable « outil managérial », des entreprises offrent cette expérience à leurs salariés.  

De nombreux participants témoignent sur les forums mieux savourer la vie (ou carrément reprendre goût à la vie) après avoir vécu cette cérémonie.   

Une comédie romantique qui se déroule à l’époque du Covid  

Si le sujet de la mort est grave, il n’est jamais traité de manière anxiogène. David Foenkinos déploie un scénario bien ficelé, teinté d’humour et de dérision.  

Ce roman est aussi une comédie romantique : Eric et Amélie vivent un chassé-croisé amoureux sur plusieurs décennies.  

Le Covid bouleverse leurs vies. Amélie vit très mal la cohabitation avec son mari et ses deux filles. La « workinggirl » perd son super job lors d’un remaniement ministériel. Emmanuel Macron n’a rien à lui proposer…  

Cette fiction mêlée à la vie politique française embarque le lecteur dans une narration divertissante. Elle l’incite à s’interroger, lui aussi, sur le sens de sa vie, ce qu’il peut améliorer, voire changer. C’est la magie de ce roman. Il donne envie de « La vie heureuse » pour ne pas avoir de regrets six pieds sous terre. 

« En fait, j’ai voulu interroger le désir de changer de vie, d’aller vers ce qui est important, vers ce qui nous épanouit. La période du covid nous a rendus fragiles et a été propice à la réflexion. « Suis-je heureux ? », « Que dois-je modifier dans ma vie ? ». Elle a entraîné une vague de démissions avec le mouvement #quitmyjob, de divorces, de fuite des grandes villes… », constate David Foenkinos.  

David Foenkinos a vécu une expérience de la mort imminente à 16 ans 

Cette façon singulière d’aborder la mort a de quoi étonner. D’autant que jusqu’ici David Foenkinos parlait assez peu de sa vie personnelle. A l’occasion de ce livre, on apprend qu’il a vécu à l’âge de 16 ans une expérience de mort imminente(EMI). A la suite d’erreurs médicales, il s’est retrouvé à l’hôpital pour une opération du cœur. Pendant la prise de sang, il a perdu connaissance. « Cet évanouissement a pris la forme d’une plongée dans un tunnel de lumière jaune et bleu. J’ai glissé en arrière … ça a été un moment absolument extatique. Ma mère à mes côtés me croyait mort, puis je suis revenu à la vie » 

Après son EMI, David Foenkinos a vécu un apprentissage accéléré de la vie. « Quelque chose en moi s’est « déverrouillé » et semble avoir ancré mon destin d’écrivain. Cette expérience m’a rendu insatiable de nature, de musique, de littérature, de peinture, de musées… J’ai besoin de me relier à la beauté. » 

Certains disent vivre après cela « une seconde vie, une renaissance », souligne-t-il.  

David Foenkinos serait-il un auteur mystique ? « Je pense être extrêmement mystique. Je n’ai pas de religion. Ma religion, c’est la littérature. Je crois aux forces de l’esprit, en quelque chose qui existe et nous dépasse. La création m’aspire vers la beauté. Ecrire fait de moi un capteur de signes, de sens et d’émotions ».  

Son prochain livre qui sortira en février portera sur la réincarnation et la voyance. « Je n’ai pas de dons dans ce domaine », précise-t-il. 

Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de vivre une EMI reste le « Rituel du cercueil » ! Mais ce concept n’a pas séduit les entrepreneurs français. «  C’est dommage, regrette David Foenkinos. Cette thérapie de choc pourrait être bénéfique aux personnes dépressives ou suicidaires. Mais les mentalités ne sont pas prêtes en France. Voyez comme les débats sur l’euthanasie sont crispés. On devrait pouvoir choisir le moment de sa mort plutôt que de souffrir et d’être un poids pour ses proches comme cela se fait en Suisse et en Belgique. Nous avons un rapport à la mort très angoissé. Ce n’est pas le cas dans plein de civilisations. Au Mexique, on célèbre les morts avec des cadeaux, on fait des fêtes de manière joyeuse et colorée. »  

« La vie heureuse » David Foenkinos, Gallimard, 19 euros

 





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