• ven. Sep 20th, 2024

Un stade abandonné reprend vie grâce aux habitants d’un quartier populaire


Anderlecht (Belgique), reportage

« Attends, ils sont où les sacs-poubelle ? » Au milieu de la piste d’athlétisme défoncée du stade Verdonck, situé à Anderlecht en Belgique, Johan-David, 16 ans, est venu donner un coup de main à une « crade party », une opération de nettoyage bruxelloise ayant déjà connu plusieurs éditions. Sur cet espace de 2 hectares abandonné depuis au moins deux décennies, les bénévoles sur place ont extirpé en une demi-journée une sacrée montagne de déchets.

L’enjeu va bien au-delà d’un simple ramassage. Depuis juillet, des habitants du quartier Scheut se réapproprient petit à petit ce stade si longtemps fermé pour en faire « leur » endroit : un espace utilisable et agréable par tous les habitants du quartier. Pour Johan-David, connaisseur du ballon rond et fan des Mauves d’Anderlecht, le destin du terrain était une évidence : « Je jouais au foot dans le quartier avec des amis, et une dame est venue nous parler du renouvellement de cet endroit. Ça m’a intéressé. Un grand terrain comme ça, ce serait dommage de pas jouer dessus. »

Lui et ses amis pourront bientôt avoir leur propre terrain où y développer leurs meilleurs dribbles chaloupés. En tout cas, ils ont « grave la déter’ », malgré la hauteur du gazon laissé à l’abandon. « Nous, on veut faire ça vite fait, bien fait. Une tondeuse, ça nous suffit ; vous nous la prêtez, en trois heures c’est fini ! » s’exclame, enthousiaste, l’un des jeunes.

Johan-David, 16 ans, participe à la « crade party » au stade Verdonck.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

Le stade Verdonck, détenu par la société publique d’administration des bâtiments scolaires (SPABS) de Bruxelles, est actuellement destiné à accueillir un complexe sportif à l’horizon 2027. Toutefois, le projet traîne depuis près d’une décennie, pour des raisons de financement, et aucune pelleteuse ne risque de fendre l’horizon à court terme. Au bonheur des riverains.

Écolos et mères des quartiers populaires

Tous ne sont pas des footeux : de nombreux habitants du quartier comptent bien se réapproprier, chacun à leur manière, cet endroit. Dans ce quartier populaire et très bétonné, pouvoir créer son propre espace de nature de manière collaborative suscite de nombreuses vocations. « J’aimerais venir passer un bon moment quand ça va pas, respirer l’air libre, faire un peu de jogging ou un pique-nique avec ma fille, témoigne Camilia, riveraine. Je veux aussi aider à nettoyer. J’aimerais planter un olivier qui prend un peu de place chez moi, et rendre cet espace agréable. »

À côté, Eurielle et Inès, 18 ans toutes les deux, nourrissent aussi de grands espoirs : elles s’occupent d’enfants du quartier en tant qu’animatrices scout. « L’endroit a beaucoup de potentiel, surtout que notre local est juste en face. Ce serait vraiment pratique, surtout s’il pleut, on pourrait rentrer rapidement. »

Voir un quartier s’impliquer autant dans un projet urbain est une chose assez rare. Le moteur de cet « empouvoirement » a été le tissu associatif, avec en première ligne les associations We Are Nature Brussels (défendant l’écologie et juridiquement engagée contre les gros projets immobiliers sur Bruxelles) et Front de mères Belgique, cousine de l’association française cofondée par Fatima Ouassak, et active pour la défense des droits des enfants à vivre décemment dans les quartiers populaires. Ensemble, elles et ils ont créé le collectif Pour les enfants, avec l’objectif de faire de cet emplacement déserté un espace partagé fait par et pour les habitants.

Selma Benkhelifa, habitante du quartier et porte-parole de Front de mères Belgique.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

L’occasion a fait les larrons : une convergence des luttes est née entre écolos et mères des quartiers populaires désireuses d’offrir un meilleur cadre à leurs enfants — et de ne pas être invisibilisées en tant que mères. Dans ce projet, des publics qui ne se seraient peut-être pas rencontrés dans un autre cadre luttent ensemble. « Anderlecht est une commune populaire, avec de nombreux descendants de personnes d’origine immigrée. La question posée, c’est “Comment unir la lutte écolo et celle des quartiers populaires ?” » explique Selma Benkhelifa, habitante du quartier et porte-parole de Front de mères Belgique.

Le stade a désormais vocation à devenir un espace tourné vers le sport pour les jeunes et les rencontres entre habitants de Scheut, tout en gardant une philosophie respectueuse de la nature ; le site étant végétalisé et peuplé par des renards. « Le propriétaire du terrain, la SPABS, a destiné ce terrain au sport, et c’est ce que prévoit aussi le plan d’aménagement des sols. Mais on voudrait aussi y mettre des tables de pique-nique, et il y a une idée de potager collectif », résume Naïma Ben Ali, de Front de mères.

De nombreux habitants participent au projet.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

Un projet populaire et démocratique

Aujourd’hui, si la concertation est obligatoire dans la plupart des projets urbains, elle sert surtout à légitimer les politiques publiques, et n’inclut pas toujours les habitants dans la prise de décision. Nombreux sont pourtant ceux à vouloir donner un coup de main. Une avancée facilitée par le travail en amont de la Fédération des services sociaux (FDSS), partie prenante de cette réappropriation.

« On organise des moments accessibles à tous, où les gens peuvent juste venir », explique Toufik Cherifi, anthropologue, sociologue et membre de la FDSS. Ceux ne souhaitant pas se positionner ou n’ayant « rien à dire, ils sont les bienvenus. L’important, c’est de mettre à l’aise tout le monde pour briser la timidité et le “cens caché” », phénomène sociologique avantageant les personnes les mieux dotées en capital culturel ou économique.

Et surtout, « il y a un super bon repas, poursuit Toufik Cherifi. Ça a l’air bête, mais c’est super important, comme d’avoir un endroit joli et décoré. Le bouche-à-oreille a fonctionné très rapidement. On a eu plus d’une centaine de personnes en trois jours, en février, alors qu’on avait un temps dégueulasse ».

Cet espace de 2 hectares est abandonné depuis au moins deux décennies.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

De cette concertation, un vœu clair a émergé. « Dans notre rapport fait à la commune, nous avons montré que tout le monde voulait que ça s’ouvre, qu’il y ait des activités sportives et des endroits de rencontre dans le quartier », explique Selma Benkhelifa.

Le collectif et la commune d’Anderlecht doivent maintenant matérialiser cette collaboration par une convention — en bonne voie de signature selon les différentes parties. Le mode de gouvernance futur du site reste encore à inventer. « On se demande comment on va pouvoir organiser cette forme de partenariat avec la commune. Au lieu d’un partenariat public-privé, ce serait un partenariat public-citoyen », analyse Jean-Baptiste Godinot, de We Are Nature. Une étape très importante afin d’inscrire noir sur blanc les modalités de gestion de l’endroit. Et pourquoi pas créer un nouveau modèle réutilisable pour d’autres espaces vacants.

Le seul gros point noir, selon les membres du collectif Pour les enfants, serait l’attitude d’une poignée de riverains hostiles. Selma Benkhelifa et Naïma Ben Ali ont ainsi porté plainte pour une agression sur fond d’insultes racistes. « On savait qu’il y aurait des attaques. La vraie raison, c’est la valeur foncière de cet endroit : le capitalisme est toujours la vraie raison. Le vieux raciste est le clown du capitaliste », dit Selma Benkhelifa.

Naïma, membre de l’association Front de mères, a été blessée au cours d’une agression d’un des voisins du stade.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

La commune se dit « soutenante »

L’année dernière, la commune d’Anderlecht a signé une convention avec le propriétaire afin de faciliter la gestion de ce terrain abandonné. « Nous avons pris la responsabilité d’entretenir le lieu. On a pu démolir la conciergerie qui était squattée et rendre cet endroit utilisable pour un projet. L’idée, c’est que la commune serve d’intermédiaire pour des projets », explique Allan Neuzy, échevin (Écolo-Groen) de la commune d’Anderlecht.

L’endroit pourrait, au vu de sa situation centrale, intéresser les promoteurs immobiliers. Mais selon la commune, cette option n’est pas à l’ordre du jour. « À terme, il n’est pas question d’y implanter du logement, mais bien de construire des bâtiments pour l’école voisine [une partie des cours sont organisés dans des classes-conteneurs] ainsi qu’un centre sportif centré sur les sports urbains, indique Fabrice Cumps, bourgmestre (PS) d’Anderlecht candidat à sa réélection le mois prochain. […] Dans l’attente, la commune sera bien évidemment “soutenante” pour organiser sur le terrain des activités positives pour le quartier. »




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