• sam. Sep 21st, 2024

Le réchauffement climatique met en péril notre passé, s’alarme l’Unesco


On se doute que Venise est menacée par la montée des eaux. On sait moins que Ferrare, faste cité au bord du Pô, l’est aussi. Tout comme le site archéologique phénicien de Tyr, au Liban. Ou encore, la citadelle de Qaitbay en Égypte, construite sur les ruines du phare d’Alexandrie. Autant de monuments classés au patrimoine mondial de l’Unesco pour lesquels la vénérable institution s’inquiète. Le changement climatique ne menace pas que notre avenir, mais aussi notre passé, ou du moins le patrimoine culturel qui en témoigne. À quel point ces célèbres sites subiront-ils le changement climatique ? Comment les préserver ? Cet immense chantier commence à peine.

La prise de conscience n’est pas nouvelle. En 2016, l’Unesco avait décidé de travailler avec le Giec afin que ses rapports incluent un chapitre sur le patrimoine. « Mais ce n’est que ces cinq dernières années que le secteur du patrimoine a réalisé que le changement climatique est un problème que nous devons prendre en compte », estime William Megarry, chercheur spécialiste de la conservation du patrimoine, en charge des questions climatiques au sein de l’Icomos, une association internationale de sauvegarde du patrimoine.

« Le patrimoine, ce n’est pas que l’Acropole ou le Pont du Gard »

« Et attention à ne pas avoir une vision étroite de ce qu’est le patrimoine, poursuit-il. Ce n’est pas que l’Acropole ou le Pont du Gard. C’est aussi des savoir-faire, des traditions, des coutumes, des histoires. Des paysages culturels, aussi. Comme aux Philippines, en Chine ou au Japon, où dans certaines zones il ne sera plus possible de faire pousser du riz juste parce qu’il fera trop chaud. » Il en va ainsi, aussi, des climats de Bourgogne et de ses vins, dont la culture allie connaissance fine des sols et microclimats d’un territoire avec des savoir-faire. Hausse des températures et évènements climatiques extrêmes les mettent déjà au défi.

« Même la fonte des glaciers a un impact direct sur le patrimoine immatériel », ajoute auprès de Reporterre Tales Carvalho Resende, expert au centre du patrimoine mondial de l’Unesco. « Par exemple en Ouganda, les glaciers du parc national du Rwenzori ont une importance symbolique pour les communautés locales. D’ici 2050, ils vont disparaître, et sans doute avec le patrimoine immatériel qui y est lié. » Les pertes sont potentiellement immenses. Et l’on commence à peine à faire l’état des lieux de ce qui est menacé. Au niveau mondial, « on n’a pas d’étude exhaustive sur l’impact du changement climatique sur les sites du patrimoine culturel », reconnaît à l’Unesco Tales Carvalho Resende. Il rappelle tout de même que des études scientifiques ont commencé à faire le point pour certaines régions.

Le Mont Speke (4 890 m) et le lac Bujuku (3 891 m) dans la chaîne du Rwenzori en Ouganda. Les glaciers qui ornent ces sommets sont en train de fondre.
Rafał Kozubek / CC BYSA 4.0 / Wikimedia Commons

Ainsi, un article paru en mars 2022 dans la revue Nature climate change s’intéresse au patrimoine des côtes africaines, soumis à la montée des eaux. Sur 71 sites inscrits au patrimoine culturel de l’Unesco, 21 (30 %) sont déjà exposés à ce risque. En 2050, sous un scénario de réchauffement climatique modéré, ils seront 40 (56 %). Parmi eux, les ruines de la ville punique et romaine de Tipasa, en Algérie. Ou l’île de Kinta Kinteh sur le fleuve Gambie, un site important pour la mémoire de l’esclavage.

Une autre étude, parue en 2018 dans Nature Communications, s’intéresse aux côtes méditerranéennes. « Sur 49 sites culturels du patrimoine mondial situés dans des zones côtières de faible altitude de la Méditerranée, 37 sont déjà aujourd’hui menacés par une inondation centennale et 42 par l’érosion côtière », indique-t-elle. Plus des trois quarts des sites en bord de mer sont en danger à des degrés divers. Le niveau maximal de risque est atteint dans le nord de l’Italie, avec Venise, la cité de la Renaissance Ferrare et la basilique d’Aquilée (reconnue notamment pour son rôle dans l’évangélisation de l’Europe centrale).

Une vulnérabilité difficile à répertorier

Au niveau européen, l’Union s’inquiète et a commandé à des experts un rapport sur « la résilience du patrimoine culturel face au changement climatique », publié en 2022. Lui aussi constatait l’absence d’évaluation globale des risques. Il notait aussi que seuls sept pays sur les 28 de l’Union ont prévu de coordonner leurs politiques en matière de patrimoine et de changement climatique. La France n’en fait pas partie. Elle « n’a pas de liste des sites patrimoniaux les plus vulnérables », remarque Ann Bourgès, secrétaire générale d’Icomos France.

Mais si l’on manque d’un état des lieux, ce n’est pas seulement par mauvaise volonté. C’est aussi que l’exercice est compliqué. Inondations, érosion, tempêtes, incendies… Les sites patrimoniaux sont certes exposés aux événements climatiques extrêmes, mais le changement climatique peut aussi les exposer à une lente dégradation. C’est le cas par exemple pour les grottes ornées de Lascaux et Chauvet. Leur microclimat est modifié par la nouvelle donne climatique, créant courants d’airs et mouvements d’eau. Les dessins de nos lointains ancêtres pourraient ainsi être effacés.

Le fort Saint-Georges-de-la-Mine à Elmina fait désormais partie de la mémoire de l’esclavage, que menace le changement climatique.
Francisco Anzola / CC BY 2.0 / Flickr via Wikimedia Commons

Dans nos cathédrales et châteaux français, le cycle de l’eau se trouve également modifié. « Cela peut lessiver, entraîner des transformations chimiques, des dilatations quand il gèle, faire gonfler les matériaux », liste Ann Bourgès, qui est aussi docteure en géoscience au centre de recherche des musées de France (C2RMF). « Le changement climatique peut augmenter la fréquence et l’intensité de ces phénomènes, et donc la dégradation des matériaux, des objets ou des monuments. » Elle se réjouit d’une thèse en cours, qui s’attache à mesurer ces infimes mouvements climatiques dans trois bâtiments français : la cathédrale de Strasbourg, le site archéologique de Bibracte et la chapelle Cocteau à Villefranche-sur-mer.

« Les dégradations biologiques provoquées par des micro-organismes, prenant la forme, par exemple, d’une prolifération de moisissures et d’algues, et les invasions d’insectes s’attaquant à la structure physique des bâtiments et aux collections des galeries, bibliothèques, archives et musées sont plus susceptibles de se produire », notait également le rapport européen. Cela devient alors un travail de fourmi d’anticiper comment chaque bien de chaque musée réagira.

Un patrimoine voué à « évoluer »

Reste que l’on sait déjà où le danger est le plus prégnant. Les experts interrogés par Reporterre citent le patrimoine situé sur les îles, celui proche des côtes, et aussi celui souffrant d’un « manque de financement comme les sites africains », souligne Tales Carvalho Resende. Car si Venise a eu les moyens d’ériger un système de défense contre la montée des eaux, ce n’est pas le cas, par exemple, du Ghana pour ses forteresses maritimes classées. « Les forts et châteaux de Volta sont des comptoirs commerciaux fortifiés qui ont servi à la traite des esclaves », rappelle l’expert de l’Unesco. « Une portion entière d’un de ces monuments a été emportée par les flots. C’est toute la mémoire attachée à ce site qui disparaît avec. »

Quant à la solution pour préserver notre patrimoine, on s’en doute. « Il faut émettre moins de gaz à effet de serre ! » s’exclame William Megarry. Il faut aussi accepter le fait qu’une partie de notre patrimoine culturel, notamment immatériel, « va évoluer », estime Ann Bourgès. « Comme les récoltes et la vinification des vignerons en Bourgogne. » L’urgence est également à documenter, enregistrer, du mieux possible, les lieux et pratiques culturels qui vont disparaître. Comme le font ces archéologues sur l’Île-d’Yeu, qui ont in extremis pu fouiller d’anciennes sépultures qui seront bientôt emportées par les eaux.

Utiliser les savoirs autochtones

Enfin, Tales Carvalho Resende rappelle que « le savoir millénaire des peuples autochtones » peut aussi inspirer des solutions. Tant au Brésil qu’en Guyana, au Surinam et au Vénézuela, les peuples autochtones savent comment, par petits feux dirigés, prévenir les grands incendies destructeurs.

En Arctique, l’un des territoires les plus exposés au changement climatique, l’érosion côtière et le dégel du pergélisol menacent les sites archéologiques Inuit. Depuis 20 ans, un archéologue collabore avec les peuples autochtones pour tenter de les préserver. Une sauvegarde d’autant plus utile que les savoir-faire architecturaux locaux ont permis de concevoir un bâtiment écologique adapté aux besoins des habitants de l’Arctique.

legende



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *