• dim. Sep 22nd, 2024

Départ de Christophe Béchu, un ministre de l’Écologie inaudible


On n’aurait pas parié sur sa longévité. Et pourtant, Christophe Béchu a finalement tenu plus de deux ans à la tête du ministère de la Transition écologique. Il bat donc tous ses prédécesseurs depuis qu’Emmanuel Macron est président de la République, de Barbara Pompili (restée un an et dix mois) à l’éphémère Amélie de Montchalin (remplacée au bout d’un mois). Même si la composition du nouveau gouvernement tarde encore, Christophe Béchu a d’ores et déjà annoncé qu’il n’y participera pas. Reporterre esquisse son bilan contrasté.

L’affaire avait mal commencé. Au moment de sa nomination en juillet 2022, personne n’avait compris ce choix. À l’époque maire d’Angers, en Maine-et-Loire (il est depuis devenu premier adjoint) et secrétaire général du parti d’Édouard Philippe Horizons (il l’est toujours), Christophe Béchu ne semblait pas intéressé par les enjeux écologiques. Ses rares prises de parole sur le sujet consistaient à critiquer l’énergie éolienne ou à vanter les technologies comme moyen de lutter contre le changement climatique.

Pour ne rien arranger au tableau, sa prise de fonction s’était faite au cœur d’un été intense, entre une sécheresse historique et des feux de forêt extrêmes, qui atteignaient même le Finistère. Accusé d’être trop discret — voire complètement invisible — au milieu du chaos, le cinquantenaire avait affirmé lors de sa première interview sur RTL qu’il ne croyait pas à « la précipitation et l’agitation », mais plutôt à la « concertation ». Osé, au regard de l’urgence écologique.

Quelques semaines plus tard, Christophe Béchu avait admis au journal Le Monde qu’il avait raté son entrée au gouvernement. « Ses six premiers mois ont été catastrophiques », résume aujourd’hui Géraud Guibert, président de La Fabrique écologique.

Un plan d’adaptation au changement climatique aux oubliettes

Contre toute attente, Christophe Béchu a ensuite pris le temps de s’intéresser aux nombreux dossiers sur son bureau — même si, pendant deux ans, il n’a jamais pris celui de répondre aux nombreuses demandes d’entretien de Reporterre, malgré ses promesses.

« On l’a vu énormément évoluer, témoigne Anne Bringault, directrice des programmes au Réseau Action Climat (RAC). Il s’est emparé de sujets qui jusque-là avaient été complètement laissés à l’abandon, comme par exemple l’adaptation au changement climatique. »

C’est « the » sujet sur lequel Christophe Béchu a pu se distinguer. En janvier 2023, le ministre a créé la surprise en déclarant subitement qu’il fallait « modéliser un scénario de réchauffement à +4 °C en France [en 2100] » — aujourd’hui, le réchauffement moyen en France est déjà de 1,7 °C. Partant de cette hypothèse, Christophe Béchu a réuni scientifiques et associations, et a œuvré pendant des mois à élaborer le troisième plan national d’adaptation au changement climatique.

Des toits en zinc à Paris. Comment s’adapter au changement climatique ? Le plan lancé par M. Béchu a été abandonné au moment de la dissolution de l’Assemblée.
Wikimedia / CC BY 2.0 / besopha

Le texte devait être présenté et soumis au public à l’été, mais la publication a été empêchée par la dissolution de l’Assemblée nationale. Un « gâchis politique », dénonçait à l’époque sur Reporterre Quentin Ghesquière, coauteur d’un rapport sur le même sujet publié par Oxfam France. « Ce plan est loin d’être parfait, il ne prend notamment pas en compte de manière systémique les inégalités, mais il a le mérite d’exister et d’être meilleur que les précédents », affirmait-il.

Autre bon point pour Christophe Béchu : son intérêt pour les collectivités territoriales. « Il avait ce tropisme, on sentait que c’était quelque chose qui comptait pour lui, dit Morgane Piederriere, responsable du plaidoyer pour France Nature Environnement (FNE). Il s’est donc beaucoup investi sur les sujets qui touchaient aux collectivités, notamment l’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN). »

« Il s’est beaucoup investi sur les collectivités territoriales »

Cette mesure, visant à limiter l’extension des villes, et mécaniquement enrayer la chute de la biodiversité, inquiétait beaucoup les élus locaux. L’ancien maire d’Angers a donc tenté d’aller convaincre ses homologues sur le terrain. Il y est globalement parvenu, même s’il n’a pas pu empêcher d’inscrire certains reculs dans la loi. « Il a introduit la logique territoriale dans la transition écologique, beaucoup plus fortement que d’autres, estime Géraud Guibert. C’était indispensable, on ne peut pas rester sur des mesures centralisées pour faire la transition écologique. »

Sentiment de solitude au gouvernement

Malgré cette bonne volonté apparue sur le tard, les associations ne peuvent que constater une absence de résultats concrets. En juin, le Haut conseil pour le climat concluait que malgré une baisse des émissions, les politiques en place étaient toujours « insuffisantes » pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

« Il n’a pas avancé sur la question de l’eau, de la santé environnementale, de la protection de la biodiversité, des zones humides… », énumère la députée écologiste Lisa Belluco. La faute à qui ? Au lobbying des autres ministres, accusent surtout les ONG. « Christophe Béchu a perdu beaucoup d’arbitrages, face à Bercy [le ministère de l’Économie] sur les questions budgétaires, et face au ministère de l’Agriculture sur les questions agricoles », rapporte Morgane Piederriere.

« Il s’est beaucoup battu pour défendre des budgets plus importants pour la transition écologique, notamment le Fonds vert à destination des collectivités. Malheureusement, le budget de ce fonds a été sabré en 2024 et des coupes supplémentaires sont encore envisagées pour le projet de loi de finances 2025 », abonde Anne Bringault. « Je pense qu’il est resté longtemps au gouvernement seulement parce qu’il ne faisait pas trop de vagues, il n’était pas dérangeant, analyse de son côté Lisa Belluco. Il s’exprimait bien sur ses sujets publiquement, mais perdait tous ses arbitrages. C’était donc une bonne façade pour Emmanuel Macron. »

Les associations et des fonctionnaires du ministère vont jusqu’à reconnaître à Christophe Béchu une forme de « courage » dans le dossier des publicités de l’Agence de la transition écologique (Ademe). En novembre 2023, cette dernière avait lancé des spots publicitaires mettant en scène des « dévendeurs » pour lutter contre la surconsommation. La campagne avait tellement déplu à Bercy et Matignon qu’ils avaient demandé le retrait des spots. Ce que Christophe Béchu avait refusé. « C’était courageux, parce que je suis à peu près sûr qu’Emmanuel Macron lui-même n’était pas sur la ligne de Christophe Béchu », dit Géraud Guibert.

« Tant qu’il n’y aura pas une volonté écologique forte dans le duo Premier ministre/président de la République, le ministre de la Transition écologique perdra les arbitrages », pense Morgane Piederriere.
© Ludovic Marin / AFP

Même si cette position peut être applaudie, « tant qu’il n’y aura pas une volonté écologique forte dans le duo Premier ministre/président de la République, le ministre de la Transition écologique perdra les arbitrages », pense Morgane Piederriere. Selon elle — et les associations interrogées par Reporterre —, la personnalité de Christophe Béchu importe finalement peu. Tout comme celle de la personne qui lui succèdera, tant qu’Emmanuel Macron et son nouveau Premier ministre Michel Barnier ne décideront pas de mener une politique écologique de rupture. « Dans la Ve République, s’il n’y a pas le soutien de l’Élysée et de Matignon, on ne va pas bien loin », résume Morgane Piederriere.

Le « ministère de l’impossible »

Les nombreux prédécesseurs de Christophe Béchu ont d’ailleurs tous reconnu au fil du temps des difficultés à agir seuls — d’où le surnom de « ministère de l’impossible ». « Je ne pense pas qu’un futur ministre de l’Écologie, quel qu’il soit, aura la moindre marge de manœuvre dans le nouveau gouvernement », regrette Lisa Belluco.

Le nom de son successeur n’a pas encore été dévoilé, mais Christophe Béchu a d’ores et déjà annoncé qu’il allait quitter l’hôtel de Roquelaure pour rentrer à Angers. En train, on l’espère, et non en avion privé. Le média ligérien La Topette avait révélé en décembre 2023, en partenariat avec Reporterre, que le ministre de la Transition écologique multipliait les vols en France en toute discrétion. Une aberration écologique qu’il avait déclaré « assumer ».

Lire aussi : Budget 2025 : « Il existe une autre voie que l’austérité réactionnaire »

Christophe Béchu devrait être réélu à la tête de la mairie d’Angers le 23 septembre. Ce sont désormais les associations et les militants locaux qui l’attendent au tournant. En 2023, des adhérents des Écologistes dénonçaient un « surplace écologique » et un « discours non suivi d’actes » à Angers.

legende



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *