• mar. Sep 24th, 2024

Un centre de thalasso risque de bétonner une plage populaire du Morbihan


Larmor-Plage (Morbihan), reportage

« Construire une thalassothérapie à notre époque est absurde au moment où on nous demande d’économiser l’eau et l’énergie. » La météo de la plage de Kerguelen dans le Morbihan est digne d’un mois de novembre. Cela n’empêche pas Annie de dire ce qu’elle a sur le cœur au sujet du projet du groupe Relais Thalasso, à quelques mètres de la mer. « C’est déjà une petite zone protégée ici, notamment par le Conservatoire du littoral, mais, avec ce projet, des bâtiments en béton vont être construits, des parkings et leurs voitures… » déplore cette retraitée, venue spontanément à notre rencontre.

Très connue des habitants de Lorient, la plage de Kerguelen est le lieu de baignade populaire des citadins de la ville portuaire qui viennent généralement en bus. Pour l’instant, le lieu est épargné de la bétonisation grâce à une zone naturelle protégée par le Conservatoire du littoral. Ses seuls voisins : un petit hôtel protégé de l’érosion par des pierres et un centre de voile vieillot. Sur ces quelques bâtiments, des tags plantent le décor : « Stop Thalasso », « Non à la Thalasso », « Thalasso paradis fiscal Luxembourg ».

Certains bâtiments voisins du terrain concerné par le projet de thalasso portent les traces de tags contre le futur établissement.
© Guy Pichard / Reporterre

Situé à quelques dizaines de mètres de la plage, le terrain qui devrait accueillir le nouvel établissement de Relais Thalasso est occupé actuellement par un champ agricole et sa zone humide, en attendant les imposantes structures du complexe prévu pour 2027. Ce serait la cinquième entité du groupe, après ceux de Benodet, Hendaye, Pornichet et de l’île de Ré. Au programme : près de 9 000 m² de bâtiments sur trois niveaux dont 130 chambres d’hôtels 4 étoiles, des restaurants, les piscines, une salle de séminaire, dix logements ou encore un parking. Une construction qui va troubler la quiétude de l’endroit.

« C’est en pleine zone humide et en bordure d’une zone naturelle protégée »

Près de 80 emplois sont promis selon la saison. Le coût total du projet avoisine les 30 millions d’euros. « On peut comprendre que Larmor-Plage ait besoin d’une offre hôtelière plus grande mais cet endroit n’est pas le bon », tranche Jimmy Pahun, député du groupe Les Démocrates (Modem). « C’est en pleine zone humide et en bordure d’une zone naturelle protégée. J’avoue que j’ai du mal à comprendre », continue cet ancien skipper, qui ne s’était jamais exprimé sur le dossier dans la presse.

Si le projet date de plus d’une dizaine d’années, l’urgence écologique a réveillé les oppositions et un collectif s’est formé : « Stop Thalasso ». Composé d’une quarantaine de membres actifs, celui-ci organise diverses actions comme des manifestations et du démarchage sur les marchés. « La force de notre collectif est qu’il y a beaucoup de citoyens qui n’ont jamais été engagés dans une cause », fait savoir depuis la plage Sophie, Lorientaise qui vient régulièrement sur le site profiter de la mer, en famille.

Seul un hôtel baptisé « Les Mouettes » occupe pour l’instant la plage de Kerguelen, à l’abri des tempêtes derrière des rochers régulièrement remis en place.
© Guy Pichard / Reporterre

« Cette parcelle a été vendue par la mandature précédente, qui était socialiste. À l’époque, même les écolos ont voté les doigts sur le pantalon », dénonce Sophie. C’est en 2019 que la communauté de communes Lorient Agglomération a vendu cette parcelle d’environ 40 000 mètres carrés, pour la somme de 2,16 millions d’euros, au groupe Relais Thalasso, qui a créé pour l’occasion la SAS Actifkerguelen.

« À 50 euros le mètre carré environ là où on doit être à 900 ou 1 000 euros, avec vue sur mer, c’est l’affaire du siècle », s’étonne Stéphane par téléphone, également membre du collectif Stop Thalasso. S’il est difficile de comparer le prix d’un terrain vendu à entreprise et celui à un particulier, une telle différence étonne, même dans la classe politique. « La collectivité n’a pas défendu ses intérêts avec un tel tarif de vente, regrette Damien Girard, député EELV du Morbihan. J’aurais préféré que Lorient Agglo ne vende pas mais, quitte à le faire, autant récupérer un maximum d’argent. Il n’y avait aucune raison de faire de cadeau. »

Le terrain où pourrait être construite la thalasso est pour l’instant agricole. La zone humide est visible par sa végétation plus verte qu’autour.
© Guy Pichard / Reporterre

Contacté par Reporterre pour, notamment, s’expliquer sur ce point, Lorient Agglomération et son président Fabrice Loher — tout juste devenu ministre délégué à la Mer et à la Pêche — n’ont pas répondu à nos sollicitations. « Monsieur Loher a déjà tout dit à ce sujet et le permis de construire a été signé, nous ne voyons pas ce que l’on pourrait dire de plus », a estimé au téléphone un membre de l’équipe de communication de Lorient Agglo.

« C’est pas cher, d’accord, mais ce n’est pas pour faire une villa »

De son côté, le groupe Relais Thalasso s’est défendu sur ce point, par la voix de son PDG, joint par téléphone. « Ce n’est pas nous ou l’Agglo qui fixons les prix mais Le Domaine [1], conteste ainsi Jean-Pascal Phélippeau. Certains disent que c’est pas cher, d’accord, mais ce n’est pas pour faire une villa. Nous allons construire une structure avec un retour sur investissement qui sera long. »

« Cette parcelle a été vendue par la mandature précédente, qui était socialiste. À l’époque, même les écolos ont voté les doigts sur le pantalon », dénonce Sophie, Lorientaise du collectif Stop Thalasso.
© Guy Pichard / Reporterre

Si la polémique sur le prix de vente persiste, un autre sujet s’affiche sur les murs avoisinant la parcelle du futur établissement mais aussi sur la route principale : « Thalasso paradis fiscal Luxembourg ». Questionné sur ce point, Jean-Pascal Phélippeau a en revanche botté en touche : « Je ne vois pas de quoi ça parle, notre siège social est à La Baule et je n’ai pas un centime au Luxembourg. » Le chef d’entreprise ne doit pourtant pas ignorer que les opposants à son projet dénoncent les liens de son groupe avec des fonds d’investissements situés dans le paradis fiscal.

Ainsi, par exemple, son établissement situé à Hendaye est possédé depuis 2021 à la fois par Relais Thalasso mais aussi par Osae Real Estate Partners #1, une filiale la société de gestion de fonds immobiliers Osae Partners. Si cette dernière est située à Paris, sa filiale ayant investi à Hendaye est en revanche localisée au Grand-Duché avec sa fiscalité plus qu’avantageuse. Rien ne dit pour autant que le même scénario arrive en Bretagne, mais les opposants ont des doutes.

La route pour aller à la plage a elle aussi été décorée pour dénoncer les liens entre les promoteurs et le Luxembourg.
© Guy Pichard / Reporterre

« Une trentaine de millions de budget pour Larmor-Plage, c’est quasi le chiffre d’affaires du groupe donc ils vont chercher des partenaires comme Osae, estime Stéphane, du collectif. Relais Thalasso gère la thalasso en payant un loyer et s’ils arrivent à payer tout va bien ; dans le cas contraire les locaux sont transformés en locatif avec un gros bénéfice à la clef vu le prix d’achat du terrain. C’est le fonctionnement de ces fonds d’investissement. »

Sur la question des financements de son futur établissement de Larmor-Plage, Jean-Pascal Phélippeau a reconnu « qu’il reste encore des partenaires à trouver car c’est un gros dossier ».

Toutes les structures et objets artificiels des environs sont bons pour un pochoir ou un graffiti des opposants.
© Guy Pichard / Reporterre

Toujours lors de notre échange téléphonique, le PDG du groupe a affirmé avoir eu « une prise de conscience personnelle, notamment écologique » ces dernières années, mais cela ne suffit pas à convaincre le collectif, opposé à toute construction. Ses membres dénoncent la destruction du paysage, la privatisation du littoral, ainsi que le pompage de l’eau pour les piscines du futur établissement questionne. Le groupe Relais Thalasso nous a affirmé que la quantité d’eau de mer pompée serait « entre 30 et 50 mètres cube d’eau » par jour. Mais l’autorisation n’a pas encore été délivrée par la préfecture.

Pression citoyenne

« Si elle est donnée, nous ferons de nouveaux recours », annonce Stéphane du collectif, bien qu’ayant déjà perdu quelques batailles juridiques. Ainsi récemment, le tribunal administratif de Rennes a annulé le permis de construire en 2022, annulation retoquée par la Cour d’appel de Nantes en juin 2023 puis rejetée début 2024 par le Conseil d’État à Paris. « L’endroit est très fragile et la station de pompage sera dans la dune et pour y accéder, il faudra passer par le terrain du Conservatoire du territoire qui n’acceptera jamais », dit-il.

Contacté à ce sujet, le Conservatoire du littoral n’a pas donné suite à nos appels. Bien que tous les recours aient donc échoué pour l’instant, les opposants gardent espoir. « Il y a une chance que la pression citoyenne gagne car nos contestations étaient hors délais, nous n’avons pas perdu sur le fond mais sur la forme », conclut Stéphane.

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