• mer. Sep 25th, 2024

une mousson destructrice dopée par le changement climatique


Plus de 2,5 millions de personnes sinistrées et au moins 465 morts. C’est le bilan — temporaire — des pluies torrentielles et des inondations qui ravagent l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest depuis plusieurs semaines, publié début septembre par l’ONU. Les catastrophes naturelles se sont poursuivies en septembre, portant le bilan à plus de 900 morts, d’après Le Monde.

Dans la large région du Sahel, et un peu au nord de celle-ci, les pluies diluviennes durant le mois d’août ont été supérieures de 120 % à 600 % à la moyenne des années 1991-2020, selon l’analyse du Centre climatique régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. Les inondations destructrices vont du Sénégal, à l’ouest, jusqu’au Soudan, à l’est.

Le nord du Tchad est l’une des régions les plus meurtries : le pays compte à lui seul près de 1,7 million de personnes touchées et 503 morts au 21 septembre, selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires. Au Nigéria, le barrage d’Alau a été détruit par la puissance des eaux, provoquant la submersion partielle de la ville de Maiduguri, comme en témoignent les images satellite ci-dessous :

La survenue de pluies intenses n’est, dans l’absolu, pas étonnante au Sahel : la région est sujette tous les ans à de fortes précipitations durant la mousson, qui s’étend de juin à octobre environ. Mais deux phénomènes ont rendu la mousson extrême cette année.

D’abord, elle s’est étendue davantage vers le nord que d’habitude. Le nord du Tchad, particulièrement touché, n’est normalement pas concerné par la mousson. « Mes collègues sur place n’avaient jamais vu ça. Là-bas, ce sont les portes du Sahara. La mousson est remontée dans une zone vraiment inhabituelle », dit Benjamin Sultan, climatologue, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Ensuite, même là où la mousson est un phénomène normal, elle est cette année d’une rare intensité. « Il y a une variabilité naturelle, décennale, de la quantité de pluie déversée par la mousson, précise Françoise Vimeux, également climatologue à l’IRD. Depuis le milieu des années 2000, on est dans une phase où la mousson est plus active. »

Cette variabilité est-elle uniquement d’origine naturelle, ou le réchauffement anthropique du climat influence-t-il ces mécanismes ? Pour le comprendre, revenons sur la manière dont fonctionne la mousson.

Plus l’air est chaud, plus il peut contenir d’humidité. Les masses d’air chaudes transportent donc de grandes quantités de vapeur d’eau. Mais l’air chaud a une autre propriété : il est moins dense que l’air froid et tend donc à monter en altitude (c’est ce qui fait voler les montgolfières, par exemple). En montant, il refroidit et perd de sa capacité à contenir de l’eau : celle-ci se condense, ce qui forme les nuages, puis les pluies. La rencontre entre des masses d’air aux propriétés différentes peut engendrer ce type de réactions.

« Les pluies ont tendance à être de plus en plus intenses »

« Tout est une question de contraste, résume Benjamin Sultan. La mousson résulte du contraste entre la température de l’air chargé d’humidité venu de l’océan et l’air des continents. Le relief joue également : lorsque les alizés arrivent perpendiculairement à la masse d’air continentale, et se trouvent confrontés à des reliefs continents très élevés, cela augmente la capacité de l’air à s’élever. Il devient plus froid et doit relâcher de l’eau sous forme de précipitations. »

Le changement climatique agit de différentes manières sur tout cela. D’abord, il a tendance à rendre les pluies plus intenses puisque cet air contient plus d’humidité et donc de pluie potentielle. La relation est linéaire : à chaque degré de chaleur supplémentaire, l’air peut contenir 7 % d’eau en plus. « C’est vrai partout dans le monde, y compris en France : lorsqu’il pleut, les pluies ont tendance à être de plus en plus intenses », note le climatologue.

Une mousson de plus en plus extrême

C’est aussi ce que l’on observe ces dernières années pour la mousson au Sahel. « De fortes inondations ont aussi eu lieu en 2022 au Tchad, au Nigéria et sur le bassin du Niger. Une étude d’attribution avait alors montré que l’évènement avait été rendu jusqu’à quatre-vingt fois plus probable par le changement climatique, dans la région du lac Tchad, et jusqu’à 20 % plus intense », rapporte Françoise Vimeux.

Le chapitre du dernier rapport du Giec consacré à l’Afrique signale que la fréquence et l’intensité des fortes pluies vont augmenter, au Sahel notamment, dans tous les scénarios de réchauffement, accroissant l’exposition aux inondations. Les différents modèles climatiques utilisés par les chercheurs convergent vers une même conclusion : lorsque les pluies extrêmes tombent pendant la mousson, elles risquent de devenir de plus en plus violentes sous l’effet du changement climatique.

Avec une subtilité importante : « Si les modèles s’accordent sur l’évolution des pluies extrêmes, ils ne sont pas tous d’accord sur l’évolution des cumuls de pluie pendant la mousson. Certains montrent une hausse, d’autres montrent l’inverse, donc il existe une forte incertitude sur ce cumul saisonnier », nous explique Françoise Vimeux. Autrement dit, même si des événements pluvieux de plus en plus intenses concentreront les précipitations, il n’est pas sûr que le Sahel reçoive au cours de l’ensemble de la saison une quantité d’eau totale plus élevée qu’avant.

Mécanique des vents

Un autre effet du changement climatique influence la mousson : les continents se réchauffent plus vite que les océans. Ces derniers, très profonds, emmagasinent la chaleur avec une bien plus forte inertie. Résultat : le contraste thermique augmente, ce qui amplifie la mousson.

Ce contraste pourrait aussi expliquer la remontée exceptionnelle de la mousson vers le nord. « Plus il fait chaud, plus la dépression thermique au Sahara a un pouvoir d’aspiration des vents du sud », dit Benjamin Sultan. Un peu à la manière d’engrenages mécaniques, ces vents secs qui tournent dans le sens inverse des vents de mousson les font remonter vers le nord, jusqu’à ce que leur élévation en altitude provoque ces pluies intenses.

Mais cette remontée ponctuelle est aussi complexe à projeter pour le futur. « On ne sait pas bien expliquer quels seraient les autres mécanismes sous-jacents à cette montée de la mousson en latitude. Il faut encore l’étudier plus en détail », ajoute Françoise Vimeux.

Un crucial besoin d’adaptation

Reste un facteur décisif dans la survenue de ces catastrophes : l’adaptation. La rupture dramatique du barrage d’Alau, au Nigéria en septembre dernier, en est une illustration : l’adaptation de nos infrastructures et l’aménagement du territoire (renforcer les ouvrages vétustes, limiter l’artificialisation des sols qui aggrave les inondations, etc.) sont cruciaux pour que les aléas climatiques extrêmes deviennent le moins possible des vulnérabilités humaines.

Un rapport de l’Organisation météorologique mondial publié début septembre soulignait l’exposition particulièrement forte de l’Afrique subsaharienne aux aléas climatiques, faisant peser sur le continent « des charges et des risques disproportionnées ». En l’absence de mesures adéquates, jusqu’à 118 millions de personnes extrêmement pauvres pourraient être exposées à la sécheresse, aux inondations et aux chaleurs extrêmes en Afrique d’ici à 2030.

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