• ven. Sep 27th, 2024

Vivre sans smartphone en 2024 : un quotidien semé d’embûches


« Vous scannez le QR code et vous téléchargez l’appli ! » Une phrase banale, à l’heure où le smartphone semble être devenu incontournable. En 2023, 87 % des Français en étaient équipés, une part qui reste stable par rapport à 2022. Mais pour les 13 % qui résistent encore, la vie devient de plus en plus compliquée.

C’est le cas d’Elena, 33 ans, médiatrice culturelle à Orléans, qui n’a jamais eu de smartphone. La raison est simple : « Je n’en ai jamais vu l’utilité. Pourquoi acheter quelque chose dont je n’ai pas besoin ? Et puis au fil du temps, j’ai pris conscience de son impact écologique, et aujourd’hui c’est devenu un choix militant. »

Un engagement minoritaire auquel notre société est de moins en moins adaptée, constate-t-elle. Depuis 2023, dans sa région, il faut réserver un billet pour mettre son vélo dans le TER le weekend. Impossible de le faire en gare, c’est uniquement sur internet. Une grosse contrainte pour Elena, car ce système lui enlève toute flexibilité.

« Je suis obligée d’anticiper pour pouvoir imprimer les billets avant de partir, raconte-t-elle. Sauf que quand je pars en weekend à vélo, je ne sais pas toujours à l’avance quel train je vais prendre pour rentrer, et je n’ai pas forcément accès à une imprimante. Du coup, pour être sûre de pouvoir prendre mon vélo, je pars le vendredi et je rentre le lundi, où il n’y a pas besoin de réservation. »

« J’ai dû emprunter un smartphone en faisant croire que c’était le mien »

Parfois, il est possible d’obtenir gain de cause en bataillant : « Ma banque m’a dit que je ne pourrais plus valider mes paiements en ligne sans l’application sur smartphone, et, quand j’ai menacé d’aller voir ailleurs, tout d’un coup c’est devenu possible de continuer à recevoir un code par SMS. Quand on insiste un peu, il y a toujours des marges de manœuvre », dit Elena. De fait, selon la charte du Comité national des moyens de paiement, les banques doivent proposer des solutions alternatives.

Mais il y a des cas où ça bloque. « Quand j’ai voulu me servir de mon compte personnel de formation, il fallait avoir un smartphone pour vérifier son identité numérique France Connect +, raconte Elena. J’ai fini par trouver qu’il existait une procédure alternative par courrier, mais ça prenait un mois, et je ne pouvais pas attendre pour m’inscrire à ma formation. J’ai dû emprunter un smartphone en faisant croire que c’était le mien. »

« Je n’en pouvais plus d’être connecté en permanence, d’avoir ce truc qui sonne tout le temps », confie Simon, militant écologiste.
camilo jimenez / Unsplash

Une situation qui révolte Simon, 34 ans. « On dirait que tout est fait pour rendre le smartphone obligatoire », s’insurge ce militant écologiste. Lui en a eu un, avant de revenir en arrière il y a un an. « Au-delà de l’impact écologique, c’était une question de santé mentale, confie-t-il. Je n’en pouvais plus d’être connecté en permanence, d’avoir ce truc qui sonne tout le temps. Je ne voulais plus me laisser happer. »

Mais ce choix a parfois un coût. « Quand je prends le train, si je dois changer mes plans à la dernière minute, je suis obligé de prendre un TGV super cher, parce qu’on ne peut pas acheter de billet Ouigo en gare, c’est forcément sur internet. » Quand il prend le RER pour aller travailler, là c’est l’information qui manque en cas de retard. « Sur le panneau, c’est marqué “Trafic perturbé. Consultez l’application Bonjour RATP.” Et c’est tout. »

Il est aussi exclu de certains événements, comme le concert gratuit donné pour l’arrivée de la flamme olympique à Paris, le 15 juillet. « Pour réserver sa place, il fallait absolument télécharger l’application Coca-Cola [l’un des sponsors des Jeux de Paris], du coup je n’y suis pas allé. Ce qui me choque, c’est que tout le monde a l’air de trouver ça normal, personne ne se demande ce que cette appli vient faire dans ton téléphone ! »

Privée de réductions

Pour Delphine, 41 ans, se passer de smartphone n’a rien d’une démarche militante : « C’est juste que je n’en ai jamais eu envie. Je suis consciente qu’il y a un risque d’addiction, et je ne veux pas tomber là-dedans. Et puis je me suis toujours parfaitement débrouillée sans. Il y a toujours des humains pour m’aider quand je galère ! »

Mais depuis peu, de nouveaux obstacles sont apparus. « Il y a des restos où il n’y a plus de carte papier, il faut flasher un QR code. Une fois, à Roubaix, c’est le serveur qui m’a prêté son smartphone pour que je puisse voir le menu ! » raconte celle qui habite dans la campagne près de Calais.

Constructrice de décors, elle achète beaucoup de matériel dans une enseigne de bricolage. « Pour adhérer au programme de fidélité, il faut télécharger une application, donc je n’ai pas le droit aux réductions. » Encore une fois, se passer du smartphone coûte cher.

« On m’a fait sentir qu’il fallait que j’aie un smartphone »

Ce choix a même été source de tensions dans son travail. « Dans le collectif de théâtre où je travaillais avant, la communication se faisait sur un groupe WhatsApp, auquel je n’avais pas accès. Donc je n’avais pas les infos, il y avait plein de trucs que je ratais, et on m’a fait sentir qu’il fallait que j’aie un smartphone. »

Delphine n’a pas cédé. « On me demandait de changer complètement mon mode de vie, alors qu’ils auraient pu tout simplement changer de canal de communication. On aurait très bien pu faire un groupe Messenger, accessible sur smartphone et sur ordinateur ! J’ai fait de la résistance. Puisqu’ils ne voulaient pas changer, ils n’avaient qu’à me transmettre les infos par texto. »

« Pour moi, c’est un symbole de la numérisation de nos vies, que je trouve aliénante et déshumanisante, et qui consomme beaucoup de ressources et d’énergie », proteste Antoine, cantonnier dans la Meuse.

Romain, 34 ans, a rencontré le même problème dans l’entreprise où il travaillait. « Mes collègues avaient un groupe WhatsApp, et comme j’étais le seul à ne pas être dessus, parfois je me demandais s’ils parlaient de moi dans mon dos… » Pas de quoi le faire changer d’avis sur le smartphone. « Je trouve ça très cher, et je ne vois pas l’intérêt de dépenser autant pour un téléphone. »

Le principal écueil pour ce Brestois, c’est dans le militantisme, où l’usage de messageries chiffrées comme Signal devient la norme. « Il y a quelques collectifs où tout passe par ça, et je me retrouve un peu sur la touche. J’ai les infos en retard par rapport aux autres, qui sont dans l’instantanéité. »

« Même dans le mouvement écologiste, il y a un retard de prise de conscience sur le smartphone, dont le coût écologique est pourtant colossal, déplore Yves Marry, auteur de Numérique, on arrête tout et on réfléchit !. C’est un outil tellement pratique que ça s’impose, et ça devient très difficile de s’en extraire, de remettre en cause cette addiction. »

Les « dumbphones » menacés par la fin de la 2G

C’est ce que constate Antoine, 39 ans, cantonnier dans la Meuse, dans les associations et collectifs où il s’implique. « Il y a des décisions qui se prennent sur des messageries comme WhatsApp, auxquelles je n’ai pas accès, du coup je ne suis pas au courant. Je me retrouve exclu des lieux de décision », regrette-t-il. Un comble pour celui dont le refus du smartphone est un choix militant.

« Pour moi, c’est un symbole de la numérisation de nos vies, que je trouve aliénante et déshumanisante, et qui consomme beaucoup de ressources et d’énergie », poursuit-il. En 2020, le numérique représentait 10 % de la consommation électrique française. « On nous impose une vie numérisée très énergivore, et ensuite on nous dit qu’il faut relancer le nucléaire pour produire plus d’énergie ! »

Mais pour Antoine, l’étau se resserre. « Début septembre, j’ai reçu un courrier d’Orange pour me dire que les réseaux 2G et 3G n’étaient plus entretenus… et me proposer d’acheter un nouveau téléphone compatible avec la 4G ! » Car les opérateurs vont débrancher les réseaux 2G et 3G, jugés obsolètes avec le déploiement de la 4G et de la 5G. La fin de la 2G est prévue entre fin 2025 et fin 2026 selon les opérateurs, celle de la 3G pour 2028-2029.

Ce qui révolte Antoine. « Je vais être forcé de jeter mon téléphone, qui a dix ans et qui marche très bien, pour en acheter un neuf. » Mais il pourra toujours échapper au smartphone, puisque plusieurs fabricants ont sorti des mobiles simples compatibles avec la 4G. Ce qui n’apaise pas sa colère : « Ce sont des choix de société qui sont faits sans nous, on n’a aucune voix au chapitre. »

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