• dim. Sep 29th, 2024

ces agriculteurs payés pour réduire les pesticides


Villemer, Seine-et-Marne, reportage

Un monticule surgit au milieu de la prairie scintillante de rosée. L’endroit pourrait être un bunker, perdu au fin fond de la Seine-et-Marne. Mais derrière la lourde porte se trouve un large puits d’eau translucide : la source de Saint-Thomas. Elle fait partie de la centaine de captages alimentant la capitale. Un joyau soigneusement préservé par la régie publique, Eau de Paris.

Autour de la résurgence, une quarantaine d’hectares clôturés sont « complètement protégés, sans aucune activité humaine », précise Manon Zakeossian, responsable de la protection de la ressource au sein du service municipal. Au-delà de la zone grillagée, Eau de Paris tente aussi de limiter toutes les activités qui pourraient contaminer l’or bleu. Et en premier lieu : les traitements agricoles.

Un « paiement pour services environnementaux »

Un défi de taille dans un territoire couvert de grandes cultures dopées aux engrais et aux pesticides. Pour convaincre même les plus réticents de lever le pied, la régie publique a donc sorti le portefeuille. Depuis 2020, elle déploie un dispositif inédit : le paiement pour services environnementaux. « On a mis en place un cahier des charges qui impose une réduction des produits phytosanitaires et incite à des changements de pratiques, détaille Manon Zakeossian. En échange, on rémunère les agriculteurs pour leurs efforts, à hauteur de 220 euros l’hectare. »

Eau de Paris tente de limiter toutes les activités qui pourraient contaminer l’eau. En premier lieu : les activités agricoles.
© Mathieu Génon / Reporterre

Une somme rondelette, qui a permis à David Tourte de sauter le pas. Le trentenaire exploite 130 hectares à Nanteau-sur-Lunain, non loin des sources de Villemer. Des céréales, des prairies, quelques arbres fruitiers et des animaux — vaches Aubrac aux yeux soulignés de noir et brebis Texel à la toison dense. « Grâce au soutien d’Eau de Paris, je réduis les phytos et je maintiens les prairies naturelles », explique-t-il. Pas du bio, mais du « raisonné », et de l’agriculture de conservation des sols. L’éleveur s’est engagé à réduire de près de 20 % la quantité de pesticides utilisés, contre une aide de 26 400 euros par an.

Comme lui, ils sont une centaine d’exploitants impliqués dans ce dispositif, dans toutes les aires d’alimentation des captages. « Nous avons des sources en Île-de-France mais aussi dans l’Yonne, l’Aube, l’Eure-et-Loire », liste Manon Zakeossian. Avec des effets déjà visibles sur la ressource, assure l’ingénieure : « Dans la vallée de la Vanne, en Bourgogne, on a désormais 30 % d’agriculteurs en bio, et les pics de pesticides sont moitié moins importants », constate-t-elle, enthousiaste.

« Les zones de captage sont insuffisamment protégées en France », dénonce Dan Lert, adjoint d’Anne Hidalgo.
© Mathieu Génon / Reporterre

Démarche préventive

« Cette démarche préventive fonctionne, abonde Dan Lert, adjoint d’Anne Hidalgo et président de la régie publique. Plutôt que de traiter toujours plus l’eau, comme le fait notamment le Sedif en Île-de-France, à un coût faramineux, on préfère la sobriété industrielle et la protection à la source. » Reste que la mesure à un coût — 47 millions d’euros sur douze ans, pris en charge à 80 % par l’Agence de l’eau Seine Normandie et à 20 % par Eau de Paris — pour un effet encore limité : moins de 43 % des zones sensibles sont actuellement couvertes par ces conventions environnementales. Et seuls 58 % de ces contrats concernent du 100 % bio.

Cette source de la Vanne est captée dans l’Aube, à 156 km de la capitale.
© Mathieu Génon / Reporterre

Principal frein à la conversion, le manque de débouchés pour les agriculteurs qui sortent totalement des pesticides. « Sans l’aide financière d’Eau de Paris, on ne s’en sortirait pas, surtout depuis qu’ils ont supprimé la prime au maintien en bio, indique Yannick Thierry, qui cultive 145 hectares de céréales et d’oléagineux en Seine-et-Marne. Mais sur le long terme, ça ne suffit pas : c’est bien beau de produire, mais il faut écouler. » Or depuis trois ans, la crise inflationniste a fortement restreint le marché de la bio.

« C’est bien beau de produire, mais il faut écouler »

Même son de cloche du côté du pays d’Othe, dans l’Yonne. « Le cahier des charges [pour toucher les aides d’Eau de Paris] impose une diversification et des rotations longues. On se retrouve donc avec de petits volumes de chaque production, plus difficiles à écouler », explique Zoltan Kahn. Avec d’autres, l’agriculteur a créé une entreprise qui collecte, transforme et commercialise les produits organiques d’une quarantaine de fermes. Cantines parisiennes, grandes surfaces, restaurants : l’affaire cartonne. « Bien sûr, les paiements pour services environnementaux nous aident, mais si on n’avait pas de débouchés, ça ne serait pas pérenne », affirme-t-il.

Une centaine d’exploitants franciliens (maraîchers, éleveurs…) sont impliqués dans ce dispositif, dans toutes les aires d’alimentation des captages.
© Mathieu Génon / Reporterre

Tous les paysans n’ont pas les opportunités du collectif icaunais. Consciente de cet obstacle, Eau de Paris cherche donc à ouvrir de nouveaux marchés. Création d’une usine d’ensassage de flocons d’avoine, partenariat avec des restaurateurs parisiens, recherche pour améliorer la panification des blés bio. Il y a urgence à dynamiser la machine, d’autant plus que les premiers contrats environnementaux vont arriver à échéance en 2027. Comment faire pour que les agriculteurs engagés ne fassent pas machine arrière ?

L’idée séduit hors de l’Île-de-France

Interrogée à ce sujet par Les Échos, Manon Zakeossian indiquait ne pas pouvoir leur garantir de nouvelles conventions. « Il faut d’abord faire une évaluation du dispositif actuel, puis une demande auprès de l’État et la Commission européenne, précisait-elle. Le délai d’instruction pourra durer de dix-huit mois à deux ans ». Le chemin s’annonce encore long avant que les sources ne soient parfaitement sauvegardées.

« On a mis en place un cahier des charges, dit Manon Zakeossian. En échange, on rémunère les agriculteurs pour leurs efforts, à hauteur de 220 euros l’hectare. »
© Mathieu Génon / Reporterre

Malgré tous ces obstacles, l’idée séduit au-delà des frontières franciliennes. « Nous sommes contactés chaque semaine par des collectivités intéressées par notre démarche », témoigne la responsable d’Eau de Paris. L’initiative fait des émules, non sans tension dans certains territoires : en Loire-Atlantique, la FNSEA (syndicat majoritaire) a entravé la mise en place d’un système similaire.

L’enjeu est pourtant majeur : plus d’un quart des eaux souterraines françaises serait contaminé par les polluants chimiques, principalement des pesticides. « Les zones de captage sont insuffisamment protégées en France », dénonce Dan Lert, qui se bat contre un projet de forage pétrolier en amont des sources de Villemer. L’élu pousse pour une réforme législative, afin d’interdire les activités polluantes à proximité des points d’eau.

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