• lun. Sep 30th, 2024

Les caméras de surveillance prolifèrent dans les villages, sans preuve d’efficacité


Saint-Martin-de-Londres (Hérault), reportage

À l’ombre des platanes, la vieille dame écoute le clapotis de la fontaine, assise sur la margelle en pierre. Soudain, son petit chien noir se met à aboyer frénétiquement. Un danger ? Non, ce n’est qu’un berger belge qui traverse nonchalamment la rue. La septuagénaire replonge dans sa contemplation. À Saint-Martin-de-Londres, petit village de 2 800 âmes au pied du rocailleux pic Saint-Loup, les jours s’écoulent paisiblement. La localité pourrait toutefois bientôt figurer en tête du palmarès des communes les plus surveillées.

Le maire compte installer 25 caméras de « vidéoprotection » [1], soit 1 appareil pour 112 habitants. C’est plus qu’à Nice, ville connue pour son zèle en la matière. Un cas symptomatique d’une tendance à l’œuvre sur tout le territoire : « On assiste à une explosion de la vidéosurveillance, en particulier dans les villages », constate Sam [2], du collectif Technopolice Montpellier.

Fred, un habitant de Saint-Martin-de-Londres et membre du collectif Technopolice Montpellier.
© David Richard / Reporterre

« Répondre à un problème qui n’existe pas »

À Saint-Martin-de-Londres, l’histoire a commencé fin 2022. « Nous avons découvert le projet à la mi-décembre dans le journal de la mairie », se rappelle Emeline Sebert, élue d’opposition, issue d’une liste participative. Aucune délibération en conseil municipal, aucune réunion publique. Rapidement, le groupe informel des Habitantes Bien Veillantes s’est insurgé contre l’initiative. Pétition, tractage au marché, alerte dans les médias. « Les relations avec le maire ont été difficiles, voire impossibles, remarque Julie Rodriguez, membre du collectif. C’était comme si notre parole, nos arguments n’avaient pas de valeur. »

Des arguments, les Habitantes Bien Veillantes en ont pourtant à revendre. « Ce qui me révolte, c’est l’inutilité totale du dispositif au regard de la réalité de notre village, dénonce la conseillère municipale minoritaire. C’est dépenser de l’argent public pour mal répondre à un problème qui n’existe pas. »

En clair, il y a peu de délinquance dans la localité, comme le reconnaissait à demi-mot le maire Gérard Brunel en mars 2023 à France Bleu Hérault : « Il ne faut pas regarder les chiffres, il faut regarder la sécurité. Il ne faut pas attendre qu’il arrive quelque chose pour réaliser des travaux, c’est trop tard. » Contacté par Reporterre, l’édile n’a pas répondu à notre sollicitation.

Dix-sept caméras ont déjà été récemment installées dans le village.
© David Richard / Reporterre

Problème, l’effet « préventif » des caméras est fortement contesté. « Toutes les études, y compris internationales, s’accordent sur le fait que la vidéosurveillance ne dissuade pas, soulignait le chercheur Guillaume Gormand dans un entretien au Monde. Les délinquants peuvent s’adapter à cette menace potentielle, mais ils ne seront jamais dissuadés par la seule présence de caméras, c’est un fantasme que l’on peut balayer. »

Quant à l’autre justification mise en avant par les défenseurs de la vidéoprotection — à savoir son rôle pour élucider des affaires et traquer les suspects —, elle est également remise en cause. Comme l’expliquait Guillaume Gormand, pour que le système soit efficace, « il faut des opérateurs qui soient constamment derrière les écrans, qui pilotent les caméras, connaissent le territoire, les policiers ». Ce qui est très rarement le cas.

La mairie de Saint-Martin-de-Londres.
© David Richard / Reporterre

D’autant que les caméras ne sont pas toujours implantées dans les lieux « à risque » — les lotissements sujets aux cambriolages par exemple : à Saint-Martin-de-Londres, il est prévu d’en installer sur la place du marché, près du skatepark familial ou de l’école. Dans le bourg voisin de Saint-Gély-du-Fesc, on a pu observer des engins enregistreurs dans un petit parc ou devant la mairie. En d’autres termes, pour Julie Rodriguez, « ce projet n’a pas de sens ».

C’est pourquoi le collectif a déposé deux recours [3], pour faire reculer le maire. « Ces caméras sont intrusives, elles portent atteinte à la vie privée, fait remarquer leur avocate, Sophie Mazas. Il faut donc que la mesure soit nécessaire et proportionnée à la préservation de l’ordre public. Ce qui n’est visiblement pas le cas. » Autrement dit, 1 caméra pour 112 habitants dans un village peu concerné par la délinquance… c’est un peu fort de café.

Une surveillance plus généralisée

Alors comment expliquer un tel engouement des édiles pour ces bijoux panoptiques ? Pour Emeline Sebert, il s’agit d’une « stratégie électoraliste » — le maire l’avait promis lors de sa campagne. Un avis partagé par Sam, de Technopolice : « Comme les caméras sont subventionnées, il s’agit d’une action à peu de frais pour une mairie, et qui permet de dire “On agit pour la sécurité”. » Même si, on l’a vu, l’effet sécuritaire est loin d’être démontré.

Ainsi, le déploiement de la vidéosurveillance se poursuit, tous azimuts. Les grandes agglomérations continuent de s’équiper, maintenant rejointes par les zones périurbaines et rurales. « La loi Sécurité globale a été un coup d’accélérateur, constate Sophie Mazas. Il y a eu des budgets alloués pour soutenir les collectivités. » Ainsi, plus de 40 % [4] des investissements nécessaires à Saint-Martin-de-Londres pourraient être couverts par des subventions.

Pour Emeline Sebert, élue d’opposition, il s’agit d’une « stratégie électoraliste ».
© David Richard / Reporterre

« Il y a clairement une politique gouvernementale qui vise un maillage territorial par des caméras, autour de l’idée d’un “continuum de sécurité”, précise Sam. On voit notamment une volonté de pouvoir suivre les véhicules sur tous les axes routiers. » Pour le militant, les petits appareils filmeurs ne sont que le premier maillon d’une chaîne de surveillance plus généralisée : « Derrière, il y a la reconnaissance faciale, le recours à des algorithmes d’analyse d’images et d’autres méthodes de fichage. »

« Une banalisation des dispositifs de surveillance » qui inquiète la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Car tout cet attirail « dénature l’espace public en suscitant un sentiment de surveillance accrue au sein de la population », selon son avis, publié en juin dernier. À Saint-Martin-de-Londres, Julie Rodriguez confirme : « Je me sens bien et en sécurité parce que j’ai des relations avec mes voisins, que je les connais et leur fais confiance, décrit-elle. Ce n’est pas avec des caméras qui me filment et le “chacun chez soi” qu’on aura plus de bienveillance. »

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