• mar. Oct 1st, 2024

un désastre inédit pour les troupeaux


Rochepaule (Ardèche), reportage

Sous un hangar, dans la montagne ardéchoise, trois animaux sont enfermés dans un petit enclos. Ces brebis sont les dernières en date à avoir été contaminées par la fièvre catarrhale ovine (FCO-8) à la ferme Le Repaire du lézard. Une agnelle est encore clouée au sol, incapable de se lever. Lina, 9 ans, lui offre à boire pour tenter de lui redonner des forces. « Elle a les pattes tordues, on l’a récupérée dans les ronces », explique la petite fille en tendant un seau d’eau à l’animal.

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Depuis la mi-août, cette famille d’éleveurs a vu 27 de ses bêtes périr de la FCO-8. « On a perdu 37 % du cheptel », se désole Mathilde Chopin. L’éleveuse et son compagnon, Ivan Bouvet, se remémorent ce mois d’août difficile, quand, chaque jour, ils allaient au pré la boule au ventre, sachant qu’ils trouveraient, une fois encore, une brebis morte qu’il faudrait tracter sur la pente abrupte jusqu’au bac d’équarrissage. « Ce n’était pas forcément les plus vieilles ou les plus faibles, certaines allaient très bien et, en quelques jours, on les a perdues. Franchement, c’est dur », admet l’éleveuse.

Des épizooties inédites en France

En Ardèche, la mortalité dans les élevages a explosé, multipliée par cinq certaines semaines par rapport à la normale. Les moutons sont les plus touchés avec près de 2 000 enlèvements par les services d’équarrissage depuis la mi-juillet [1]. « En sachant que le chiffre est sous-estimé en raison du décalage entre le terrain et les remontées d’information », précise Margot Brie, directrice du Groupement de défense sanitaire (GDS) de l’Ardèche.

Au sud du pays, plusieurs départements ont subi le même sort. Dans la Drôme voisine, certains éleveurs ont même perdu plus de 90 brebis en quelques semaines.

Foyers de maladies en France au 24 septembre 2024.
© GDS France

Cette grippe foudroyante n’est pourtant pas nouvelle. Décrite pour la première fois en Afrique du Sud au XIXe siècle, elle a fait son apparition en Europe méditerranéenne à la fin des années 90. Vingt-cinq ans plus tard, la France vit une situation inédite avec trois épizooties simultanées. En plus du sérotype 8 de la fièvre catarrhale ovine — il s’agit de différentes « variétés » d’un même virus —, deux autres virus mortels pour les ruminants sévissent dans le pays : la maladie hémorragique épizootique (MHE) [2] dans le quart sud-ouest, et la FCO-3 dans le nord-est. 

Toutes ces maladies ont un point commun : elles sont transmises par des moucherons infectés, les culicoïdes. Ces insectes femelles de quelques millimètres creusent la peau des moutons, vaches et chèvres jusqu’à pouvoir se nourrir de leur sang, essentiel à la maturation et la ponte de leurs œufs. D’un repas à l’autre, l’insecte transporte l’infection, contamine un nouvel animal et ainsi de suite. Des vecteurs de maladies communs, puisqu’on retrouve les culicoïdes partout dans le monde, avec plus d’un millier d’espèces recensées.

Mondialisation et crise climatique

Si les virus existent en Europe depuis deux décennies et que les insectes se sont sont adaptés aux environnements locaux, alors comment expliquer la crise sanitaire actuelle ? Face à cette question, les chercheurs restent prudents. « Pour l’instant, on ne sait pas exactement pourquoi ces maladies émergent davantage. Mais on a un faisceau de preuves », souligne Thomas Balenghien, vétérinaire entomologiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Ces indices sont en réalité deux faces d’une même pièce : l’activité humaine. D’un côté, l’accélération des échanges qui facilite l’introduction de la maladie sur de nouveaux territoires. Et de l’autre, la hausse des températures qui affecte les culicoïdes, en augmentant leur abondance ou la fréquence de leurs repas selon les zones [3].

Mathilde et Ivan soignent une de leurs brebis blessées sur le dos par des parasites.
© Pauline De Deus / Reporterre

Depuis la première introduction de la fièvre catarrhale en Europe du Nord, en 2006, les expertises sur le sujet ont fait un bond. Désormais, les culicoïdes sont étudiés de près, une veille sanitaire internationale a été mise en place et des vaccins sont développés par les laboratoires. Mais les mystères persistent… Si l’apparition de la MHE venue d’Espagne était attendue, rien n’explique l’émergence d’une nouvelle souche de FCO-8 dans le Massif central en août dernier, ni l’introduction de la FCO-3, aux Pays-Bas [4], un mois plus tard. Mutation d’un virus, arrivée de culicoïdes contaminés via l’importation, déplacements d’animaux non déclarés… Les hypothèses sont nombreuses.

« Tant qu’on n’a pas compris le mécanisme, il est probable que ça se reproduise, car on ne peut pas agir dessus », reconnaît le chercheur du Cirad. Aujourd’hui, il existe une trentaine de types de fièvre catarrhale et neuf sérotypes de maladie hémorragique. Parallèlement, d’autres épizooties sont aussi surveillées de près ; la peste porcine présente en Allemagne ou encore la peste des petits ruminants détectée en juillet dernier, en Grèce et en Roumanie.

Un modèle économique à bout de souffle

Pour l’heure, dans les fermes, chacun gère la maladie au jour le jour. Éleveurs et éleveuses tentent de soulager les bêtes qui vivent avec des articulations enflées, des abcès, de la fièvre, des congestions, parfois une cyanose de la langue, des difficultés respiratoires, entre autres symptômes.

« On a pu soigner certaines brebis, mais il fallait vraiment qu’elles soient repérées et prises en charge très vite. En plein milieu de l’été, quand les bêtes sont en montagne, cachées au milieu des fourrés, c’est quasiment mission impossible », observe Virginie Soulageon, vétérinaire en Ardèche. Au vu de la tension actuelle dans les élevages, il n’a pas été possible de la suivre en intervention. À l’autre bout du fil, sa fatigue est palpable : « On a essayé de faire au mieux, dans la panique générale… C’est du cas par cas. »

Pour cette jeune vétérinaire, cette crise sanitaire est d’abord imputable à un modèle économique dans lequel les éleveurs ovins peinent à subsister : « Cela faisait des mois qu’on appelait à la vaccination contre la FCO-8, mais les agneaux ont tellement peu de valeur que souvent les éleveurs ont préféré ne pas acheter les doses. En fait, tout le monde vit dans la misère : les animaux et les paysans. »

Le Repaire du lézard est peuplé par des brebis Shropshire, une race anglaise ancienne réputée pour l’écopaturage, dont l’avenir dans la ferme est menacé.
© Pauline De Deus / Reporterre

À Rochepaule, Mathilde Chopin fait le calcul : « Avec 70 bêtes, il fallait compter 1 200 euros les deux doses. Sachant que certaines peuvent quand même être malades derrière [parmi les effets secondaires, on compte notamment l’avortement]. » Après l’hécatombe de cet été, le couple a décidé de vacciner les survivantes, d’abord contre la FCO-8, puis contre la FCO-3 dont les doses sont financées par l’État. Une troisième campagne de vaccination contre la MHE pourrait encore venir s’ajouter à cela. « C’est tout récent, on n’a pas de retour dessus. Est-ce qu’on prend le risque de le faire à nos animaux ? Je pense qu’on verra selon ce qu’on nous dit quand la maladie commencera à s’approcher. »

Comme beaucoup d’éleveurs de brebis, Mathilde et Ivan risquent de faire face à une saison blanche. Outre la perte d’une partie du troupeau, ils s’attendent à ne pas avoir d’agneaux cette année en raison des troubles de la reproduction induits par la FCO. « Je pense aussi aux fromagers… Sans mise bas, ils n’auront pas de lait », rappelle Mathilde. À ses côtés, Ivan alerte : « C’est une crise qui secoue le pays. Il faut vraiment que le gouvernement en prenne conscience. » La nouvelle ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, est ainsi attendue de pied ferme au Sommet de l’élevage, qui s’ouvre le 1er octobre à Clermont-Ferrand. En attendant, tous espèrent voir les températures baisser pour neutraliser les culicoïdes et les épizooties, au moins pour quelques mois.

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